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enterré dans l'église des religieuses de la Trinité de cette ville 1. Il en est de la peinture comme de la poésie. Écoutons un observateur de génie. « Toute l'Europe ignorait que l'Espagne eût une école (de peinture); et quelle école! la première et la plus nombreuse de l'Europe, celle de Raphaël exceptée. Les armées de la révolution (française), essentiellement athées, avaient dépouillé les églises étrangères de préférence aux palais et aux châteaux. Comme c'est à la religion que les artistes doivent leurs plus nobles inspirations, le musée de Paris contenait les chefs-d'œuvre que la catholicité avait produits depuis trois siècles. Les souverains, les grands, les riches, toute l'Europe enfin, ont eu à Paris deux célèbres rendezvous en 1814 et 1815, et, dans ces nouveaux jeux olympiques, à quel tableau la couronne a-t-elle été décernée? A un tableau de Zurbaran, l'Apothéose de saint Augustin. Jamais l'enthousiasme de l'art ne créa rien d'aussi vivant; les hommes et les anges, la terre et l'air exprimaient toutes les beautés de la création; la vie de ce tableau, la transparence des lumières ne nuisent en rien à la noblesse de son ordonnance et à la correction de son dessin. Qui venait ensuite? un tableau semi-circulaire, de Murillo : il exprimait un songe, et par sa poésie il échappe à l'analyse de l'art; il n'y eut qu'un cri d'admiration, et il fut arraché en présence de la Transfiguration, de Raphaël, et du saint Jérôme, du Dominicain, et de tant d'autres chefs-d'œuvre 2.

Or, pendant longtemps, Zurbaran, l'auteur espagnol du tableau le plus parfait qui soit en Europe, n'eut pas même une mention dans les biographies universelles. Murillo, né à Séville, le 1er janvier 1618, et mort en la même ville, le 3 avril 1682, ne sortit jamais de l'Espagne, n'eut le plus souvent d'autre maître que lui-même, peignit d'abord des bannières et d'autres sujets de dévotion: ses principaux chefs-d'œuvre furent pour les Franciscains et les Capucins de sa ville natale.

Avec des poëtes et des peintres, l'Espagne eut des historiens et des théologiens célèbres. Jean Mariana, né l'an 1537, à Talavéra, au diocèse de Tolède, entré chez les Jésuites à l'âge de dix-sept ans, a écrit en latin et traduit en espagnol une histoire d'Espagne en trente livres. Elle est estimée pour le mérite des recherches, l'exactitude des faits, la sagesse des réflexions, et surtout pour l'agrément du style, à la fois simple et élégant, et qui approche beaucoup de celui de Tite-Live, que l'auteur avait pris pour modèle. François Suarès, Jésuite, ainsi que Mariana, a écrit avec beaucoup d'ordre et de net1 Biographie univers., t. 7. 2 Rubichon, De l'action du clergé dans les sociétés modernes, c. 9.

teté, vingt-trois volumes in-folio sur la théologie. Tous deux ayant écrit en Espagne 1, et sous l'inspection de l'inquisition royale, il était naturel de les voir soutenir le pouvoir absolu, irresponsable et inamissible des rois, à l'exclusion de tout contrôle du peuple et de toute subordination quelconque à un autre pouvoir. Et pourtant ils enseignent ouvertement, avec un grand nombre de théologiens et de jurisconsultes, que le pouvoir des rois leur vient de Dieu par le peuple; que l'usage qu'ils en font est subordonné à la loi de Dieu interprétée par l'Église. Il y a plus : dans son ouvrage Du Roi et de son institution, Mariana examine s'il est permis de tuer un tyran; et il penche pour l'affirmative, dans le cas où le prince renverse la religion et les lois publiques, sans égard pour les remontrances de la nation. L'édition originale de cet ouvrage se fit à Tolède, l'an 1599. Elle est revêtue de l'approbation des docteurs qui avaient visé ce livre, et du privilége pour l'impression, et elle put circuler librement dans toute l'Europe. Ce n'est pas tout. L'an 1613, Philippe III fit l'apologie des doctrines populaires de Suarès contre le roi d'Angleterre, Jacques Stuart: ce qui, certes, ne prouve guère que les rois d'Espagne fussent des tyrans et des despotes, ou qu'ils eussent envie de l'être, ni que les Espagnols fussent un peuple servile. L'Espagne passe ainsi avec honneur et gloire du seizième siècle au dix-septième.

L'Italie, comme nous l'avons vu de Paul V à Alexandre VII, continuait de donner de bons Papes à l'Église. Elle vit au même temps des personnes et des œuvres saintes. Venu d'Espagne, saint Joseph Casalanz fondait à Rome la congrégation des Écoles-Pies ou pieuses, pour l'instruction chrétienne de la jeunesse. Un saint d'Italie fondait une œuvre semblable à Florence.

Le bienheureux Hippolyte Galanti naquit à Florence même, le 12 octobre 1565, de parents dont la probité et la vertu étaient la principale richesse. Sa jeunesse fut si édifiante, que, à peine âgé de douze ans, il attira sur lui l'attention de l'archevêque de Florence, Alexandre de Médicis, depuis pape sous le nom de Léon XI, et fut chargé par ce prélat d'enseigner les premiers éléments de la religion à d'autres jeunes gens de son âge. Pendant de longues années, il partagea son temps entre le travail qu'exigeait sa profession (il était fabricant d'étoffes de soie), les œuvres de charité et le soin de sa propre sanctification.

On est étonné que, sans biens, sans protecteurs, sans connais

1 Suarès, qui a professé la théologie à Rome et en Portugal, a publié aussi un grand nombre d'ouvrages qui ne sont pas sortis des presses de la monarchie espagnole.

sances, il ait pu faire tant de bien dans une ville telle que Florence. Il fonda une congrégation uniquement occupée d'instruire des vérités de la religion et de former à la vertu les enfants des deux sexes, et même des personnes adultes qui vivaient dans l'ignorance de leurs devoirs et des premiers mystères de la religion. Le nombre des âmes qu'il retira par ce moyen de l'abîme de la perdition et du désespoir est presque infini.

Le zèle d'Hippolyte eut de nombreux imitateurs dans toute l'Italie, et en peu d'années il s'y établit, sous le nom d'Ordre de la doctrine chrétienne, une multitude de congrégations qui se proposèrent le même but et suivirent la même règle qu'il avait donnée à la sienne. Il mourut en odeur de sainteté, le 20 mars 1619, âgé seulement de cinquante-cinq ans. Il avait reçu plusieurs fois le don de prophétie. Son nom est encore aujourd'hui en grande vénération dans la Toscane et les provinces adjacentes. Il a été béatifié par Léon XII, le 15 mai 1825 1.

Dans le même temps, un autre saint fondait, à Rome encore, l'ordre des Clercs réguliers pour le service des malades.

Saint Camille de Lellis naquit en 1550, à Bacchianico, petite ville de l'Abruzze, au royaume de Naples. A peine fut-il né, qu'il perdit sa mère. Il n'avait encore que six ans, lorsque la mort lui enleva son père, qui avait servi en qualité d'officier dans les guerres d'Italie. Ayant appris à lire et à écrire, il embrassa aussi la profession des armes, à laquelle il renonça pour toujours en 1574. Il avait contracté une violente passion pour le jeu, et il fit des pertes considérables. Bientôt il fut ruiné et réduit à une telle misère, qu'il se vit obligé, pour vivre, de travailler comme aide-maçon à un bâtiment que faisaient faire les Capucins. Cependant la grâce parlait à son cœur. Le supérieur du couvent lui ayant fait un jour une exhortation touchante, il fondit en larmes et détesta sa vie passée. Agé alors de vingtcinq ans, il entra successivement au noviciat chez les Capucins et les Cordeliers; mais on ne voulut pas le recevoir à cause d'un ulcère qu'il avait à la jambe, et que les médecins jugèrent incurable. Alors il se rendit à Rome, et y servit l'espace de quatre ans les malades d'un hôpital, celui de Saint-Jacques. Il portait divers instruments de pénitence, et veillait jour et nuit auprès des pauvres, s'attachant surtout aux moribonds. Il tâchait de leur procurer tous les secours corporels et spirituels, et de leur suggérer tous les actes de vertu relatifs à leur situation. Sa prière était continuelle. Il choisit pour confesseur saint Philippe de Néri; il communiait tous les dimanches et toutes les fêtes. Sa charité, jointe à une rare prudence, le fit élire directeur de l'hôpital. 1 Godescard, 20 mars.

Camille était pénétré de douleur à la vue du peu de zèle des domestiques que l'on employait au service des malades. Il résolut de former une congrégation religieuse qui se dévouât à cette bonne œuvre. Pour se mettre lui-même en état d'assister plus utilement les malades et les mourants, il étudia la théologie et reçut la prêtrise. Des compagnons de charité lui étant venus, ils allaient tous les jours à l'hôpital du Saint-Esprit, où ils servaient les pauvres avec autant de zèle et de ferveur que si c'eût été Jésus-Christ en personne, faisant les lits des malades et exerçant à leur égard les fonctions les plus dégoûtantes. Ils s'engagèrent même par vœu à servir les pestiférés, les prisonniers et ceux même qui mouraient dans leurs propres maisons. Leur principal soin était de secourir les âmes, en suggérant aux malades des actes de religion convenables à l'état où ils se trouvaient. Malgré de grands et nombreux obstacles, sa congrégation, approuvée et confirmée par les Papes, se répandit dans toute l'Italie; il envoya même de ses frères jusqu'en Hongrie et en d'autres lieux affligés de la peste. Il mourut, le 14 juillet 1614, doué du don de prophétie et de miracles. Sa charité pour les malades était d'autant plus admirable, qu'il fut lui-même souffrant toute sa vie, et souvent de plusieurs maladies à la fois. Il a été béatifié et canonisé par Benoît XIV'.

L'Italie vit une sainte veuve fonder un nouvel ordre de religieuses, les Annonciades célestes. Marie-Victoire Fornari, née à Gênes, l'an 1562, de parents nobles et vertueux, fut une enfant de bénédiction. dès l'âge le plus tendre. Les jeux de son enfance étaient la prière, la retraite et l'étude de la loi divine. Elle obtint la guérison d'un de ses frères qui était à l'extrémité. A dix-sept ans, elle sentit de l'attrait pour la vie religieuse. Toutefois, pour obéirà son père, elle épousa un noble génois, Ange Strata, qui, bien loin de la contrarier dans ses œuvres de piété, lui en donnait lui-même l'exemple. Quand quelqu'un lui demandait pourquoi son épouse ne paraissait point dans les sociétés mondaines, il avait coutume de répondre Ma femme n'est bonne qu'à prier Dieu et à prendre soin de sa famille. Dieu bénit leur union. Marie-Victoire eut six enfants, quatre garçons et deux filles, qu'elle consacra tous à la sainte Vierge dès le moment de leur naissance. Tous embrassèrent l'état religieux, et y vécurent dans la plus haute piété. Un seul, nommé Alexandre, mourut à l'âge de dix ans, après avoir supporté une longue maladie avec la plus admirable patience. Marie-Victoire perdit son vertueux époux et resta veuve à l'âge de vingt-cinq ans. Résignée, mais inconsolable, elle eut recours à la consolatrice des affligés. Vierge sainte, lui dit-elle baignée de

1 Godescard, 14 juillet.

larmes, Vierge qui fûtes toujours pleine de compassion, prenez ces petits enfants que je vous présente; adoptez-les pour vos enfants, puisqu'ils n'ont plus de père, et qu'à mon égard ils peuvent se regarder comme orphelins, puisque je ne suis pas capable de leur servir de mère. Cette prière touchante fut sur-le-champ exaucée. La sainte Vierge lui apparut, et lui adressa ces paroles, que la pieuse veuve écrivit dans la suite par ordre de son confesseur : « Victoire, ma fille, aie bon courage! ne crains rien, parce que je veux mettre les enfants et la mère sous ma protection. Laisse-moi faire; c'est moi qui prendrai un soin particulier de ta maison. Vis contente, et n'aie plus d'inquiétude. La seule chose que je demande de toi, c'est que tu te reposes de tout sur ma bonté, et que tu ne t'occupes désormais que du soin d'aimer Dieu par-dessus toutes choses. >>

La vision disparut, mais la consolation ne disparut pas avec elle. Marie-Victoire fit dès lors vœu de chasteté, et s'imposa la loi de vivre dans une retraite absolue. Le monde et l'enfer firent leurs efforts pour la détourner de la vie parfaite. Guidée par un directeur habile, protégée par la sainte Vierge et soutenue par la fréquente communion, elle rendit vaines et les tentations du démon et les séductions du monde. Elle renonça aux riches habits, aux meubles somptueux et à tout ce qui sentait l'opulence. Ses vêtements furent des plus simples et son lit très-pauvre. Quelques images de piété faisaient tout l'ornement de sa chambre, qui n'avait plus de tapisseries. C'est ainsi qu'elle se préparait à la pauvreté absolue qu'elle devait bientôt pratiquer dans l'état religieux. A ce détachement parfait elle joignait une humilité profonde et une rigoureuse pénitence. Elle jeûnait au pain et à l'eau, non-seulement le carême entier, mais aussi tous les vendredis de l'année et toutes les vigiles d'obligation. Elle avait tellement gravé dans l'esprit le souvenir des souffrances de Jésus-Christ, qu'elle ne voulait pas vivre un instant sans pratiquer quelque mortification.

Favorisée si merveilleusement par la sainte Vierge, Marie-Victoire conçut un grand désir d'établir un ordre religieux spécialement consacré à son culte. Quand elle vit tous ses enfants voués à la profession religieuse, elle fit part de son projet à l'archevêque de Gênes. Il refusa d'abord son approbation: elle n'avait plus rien pour l'exécuter, ayant tout donné aux pauvres, et ne pouvant plus rien attendre de sa famille, qui était mécontente de son genre de vie. Il finit toutefois par acquiescer à ses raisons et à ses instances. Aussitôt la sainte veuve donna la forme de monastère à une maison qu'elle avait achetée dans un quartier isolé de la ville de Gênes, et s'y enferma avec dix compagnes. Tels furent les commencements de l'ordre des Annonciades

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