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Son cercueil est fermé: Dieu l'a jugé.... silence!
Son crime et ses exploits pèsent dans la balance :
Que des faibles mortels la main n'y touche plus !
Qui peut sonder, Seigneur, ta clémence infinie?
Et vous, fléaux de Dieu, qui sait si le génie
N'est pas une de vos vertus ?

LYRIQUES ANGLAIS.

OSSIAN.

Ossian, le plus célèbre de tous les bardes, parut au commencement du Ive siècle. Ce poëte était aveugle. Ayant perdu un fils qu'il aimait tendrement, il composa des chants pour soulager ses douleurs. Ses ouvrages ont été traduits dans toutes les langues, et tous les peuples admirent le génie brut du barde, ses couleurs fortes, sa touche sombre. Bien des incohérences et des répétitions, ainsi que tous ces nuages et ces brouillards de la Calédonie, peuvent fatiguer l'esprit du lecteur, mais souvent il s'arrête avec plaisir devant quelque grand tableau, et contemple avec étonnement la pompe des images, le charme des fictions et la noblesse des sentiments.

HYMNE AU SOLEIL.

Roi du monde et du jour, guerrier aux cheveux d'or,
Quelle main, te couvrant d'une armure enflammée,
Abandonna l'espace à ton rapide essor,

Et traça dans l'azur ta route accoutumée?
Nul astre à tes côtés ne lève un front rival;
Les filles de la nuit à ton éclat pâlissent;

La lune devant toi fuit d'un pas inégal,

Et ses rayons douteux dans les flots s'engloutissent.
Sous les coups réunis de l'âge et des autans
Tombe du haut sapin la tête échevelée;
Le mont même, le mont, assailli par le temps,
Du poids de ses débris écrase la vallée :
Mais les siècles jaloux épargnent ta beauté,
Un printemps éternel embellit ta jeunesse ;
Tu t'empares des cieux en monarque indompté,

Et les vœux de l'amour t'accompagnent sans cesse.
Quand la tempête éclate et rugit dans les airs,
Quand les vents font rouler, au milieu des éclairs,
Le char retentissant qui porte le tonnerre,
Tu parais, tu souris, et consoles la terre.
Hélas! depuis longtemps tes rayons glorieux
Ne viennent plus frapper ma débile paupière !
Je ne te verrai plus, soit que, dans ta carrière,
Tu verses sur la plaine un océan de feux;
Soit que vers l'occident le cortége des ombres
Accompagne tes pas, ou que les vagues sombres
T'enferment dans le sein d'une humideprison!
Mais peut-être, ô soleil, tu n'as qu'une saison;
Peut-être, succombant sous le fardeau des âges,
Un jour tu subiras notre commun destin,
Tu seras insensible à la voix du matin,
Et tu t'endormiras au milieu des nuages.

Traduction de Baour-Lormian.

LE DERNIER HYMNE D'OSSIAN.

O de Lutha torrent impétueux,

Roule tes flots d'azur dans le vallon tranquille!
Forêts, versez sur lui votre ombrage mobile,
Et d'un jour trop ardent amortissez les feux!
Non loin croît la fleur solitaire
Qui, balançant au souffle du zéphir
Sa tête humide et printanière,
Semble dire avec un soupir:

<< Zéphir jaloux, dans la rosée

>> Laisse-moi rafraîchir mes attraits languissants;

» Bientôt, sur ma tige brisée,

» Je serai le jouet des vents:
» Aujourd'hui le chasseur s'enivre
>> Des parfums qu'exhale mon sein...
» Hélas! il reviendra demain...
>> Demain j'aurai cessé de vivre. >>
Demain aussi, quand la nuit sur les bois

Étendra son écharpe immense,
Le chasseur d'Ossian n'entendra plus la voix;
Épouvanté de mon silence,

Il portera ses pas vers l'asile des rois ;
Ma harpe, veuve et détendue,

Ma harpe, dont les chants l'émurent tant de fois,
Soudain viendra frapper sa vue,
Et de sa tristesse imprévue

Des pleurs soulageront le poids.

Conduis, fils d'Alpin, le vieillard dans ses bois :
Les sombres flots du lac que l'aquilon tourmente
Retombent à grand bruit sur leur rive écumante...
Le Barde va chanter pour la dernière fois.

Sur le torrent se balance un vieux chêne
Que d'un souffle de glace ont blanchi les hivers ;
Ma harpe est suspendue à sa branche prochaine,
Je l'entends qui frémit au sein de ces déserts...
Est-ce le vent, ma harpe, ou bien quelque ombre vaine
Qui t'arrache en passant ces funèbres concerts ?
Quel transport m'agite et m'enflamme?
Approche, fils d'Alpin! O mes chants, dans les airs,
Accompagnez le départ de mon âme.

Mais l'aquilon se tait; un bruit sourd et confus
S'est élevé dans la bruyère,

Et meurt dans les chênes touffus.

Un héros m'apparaît sur son char de lumière ;
Il m'appelle et m'invite à m'élancer vers lui.
«Ossian, me dit-il, ton dernier jour a lui :

>> Rien ne manque à ma renommée :
>> Tes chants, la gloire de Selma,

>> Frappent depuis longtemps mon oreille charmée.
>> Réunis-toi, mon fils, à tout ce qui t'aima.

» Viens... » Le char, à ces mots, se dérobe à ma vue,

Et, comme un feu léger, remonte dans la nue.
Toi que j'ai tant chéri, toi que j'ai tant pleuré,
O le plus grand des rois ! je vais te voir encore,
Et goûter le repos si souvent désiré.

Vents orageux du soir, ma bouche vous implore;

De vos bruyantes voix retenez les éclats:

Ossian va dormir... ne le réveillez pas.

Traduction de Baour-Lormian.

GRAT.

Thomas Gray naquit à Londres le 26 décembre 1716. Il mourut le 30 juillet 1771.

Les ouvrages de ce poëte sont peu nombreux. Les odes à l'Adversité, au Printemps et à la Musique, l'ode intitulée le Barde, toutes ces compositions diverses sont de la plus grande force, et placent Gray au rang des premiers lyriques de son pays. Son chef-d'œuvre est l'élégie sur le Cimetière de campagne. Il n'existe peut-être pas dans la langue anglaise une pièce de vers qui surpasse celle-ci par la solennité du sujet, la grandeur des pensées, la délicatesse des sentiments, la magnificence des images et l'harmonie du style. C'est une composition éminemment anglaise, d'une teinte mélancolique et touchante.

LE CIMETIÈRE DE CAMPAGNE.

ÉLÉGIE.

Le jour fuit: de l'airain les lugubres accents
Rappellent au bercail les troupeaux mugissants;
Le laboureur lassé regagne sa chaumière.
Du soleil expirant la tremblante lumière
Délaisse par degrés les monts silencieux;
Un calme solennel enveloppe les cieux,
Et sur un vieux donjon, que le lierre environne,
Les sinistres oiseaux, par un cri monotone,
Grondent le voyageur, dans sa route égaré,
Qui vient troubler l'empire à la nuit consacré.
Près de ces ifs noueux dont la verdure sombre
Sur les champs attristés répand le deuil et l'ombre,
Sous ces frêles gazons, parure du tombeau,
Dorment les villageois, ancêtres du hameau.
Rien ne peut les troubler dans leur couche dernière,
Ni le clairon du coq annonçant la lumière,
Ni du cor matinal l'appel accoutumé,

Ni la voix du printemps au souffle parfumé.
Des enfants, réunis dans les bras de leur mère,

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