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De Saint-Denis, de Sainte-Hélène
Ainsi je méditais le sort,

Sondant d'une vue incertaine
Ces grands mystères de la mort.
Qui donc êtes-vous, Dieu superbe ?
Quel bras jette les tours sous l'herbe,
Change la pourpre en vil lambeau ?
D'où vient votre souffle terrible,
Et quelle est la main invisible
Qui garde les clefs du tombeau?

LAMARTINE.

M. de Lamartine est une preuve de plus à quel point se lient les saines doctrines en religion, en politique et en littérature: ses inspirations sont toutes dominées par le goût.

Ses Meditations, genre de poésie qui lui appartient, se prêtent à tous les sujets sublimes ou tendres; et il passe de l'un à l'autre avec une facilité prodigieuse. Ses stances sont pleines de mélancolie; ses épîtres, d'élévation et de verve. M. Lamartine, en véritable poëte, a fait passer dans ses Méditations tout le génie de la langue française. Les rimes, dans ses vers, perdent de leur monotonie; il les dispose et les entremêle si habilement, pour parler comme Fénelon, que leur retour paraît une grâce et non une nécessité '.

L'IMMORTALITÉ.

Je te salue, ô mort! libérateur céleste,

Tu ne m'apparais point sous cet aspect funeste
Que t'a prêté longtemps l'épouvante ou l'erreur;
Ton bras n'est point armé d'un glaive destructeur,
Ton front n'est point cruel, ton œil n'est point perfide;
Au secours des douleurs un Dieu clément te guide;
Tu n'anéantis pas; tu délivres ! ta main,
Céleste messager, porte un flambeau divin.

Quand mon œil fatigué se ferme à la lumière,

Tu viens d'un jour plus pur inonder ma paupière;
Et l'espoir près de toi rêvant sur un tombeau,

1 R. Genoude.

Appuyé sur la foi, m'ouvre un monde plus beau!
Viens donc, viens détacher mes chaînes corporelles.
Viens, ouvre ma prison; viens, prête-moi tes ailes;
Que tardes-tu? parais; que je m'élance enfin
Vers cet être inconnu, mon principe et ma fin.

Qui m'en a détaché? qui suis-je et que dois-je être?
Je meurs et ne sais pas ce que c'est que de naître.
Toi qu'en vain j'interroge, esprit, hôte inconnu,
Avant de m'animer, quel ciel habitais-tu?
Quel pouvoir t'a jeté sur ce globe fragile?

Quelle main t'enferma dans ta prison d'argile?
Par quels nœuds étonnants, par quels secrets rapports,
Le corps tient-il à toi comme tu tiens au corps?
Quel jour séparera l'âme de la matière ?
Pour quel nouveau palais quitteras-tu la terre?
As-tu tout oublié ? par-delà le tombeau
Vas-tu renaître encor dans un oubli nouveau ?
Vas-tu recommencer une semblable vie?
Ou dans le sein de Dieu, ta source et ta patrie,
Affranchi pour jamais de tes liens mortels,
Vas-tu jouir enfin de tes droits éternels?
Oui, tel est mon espoir, ô moitié de ma vie !
C'est par lui que déjà mon âme raffermie
A pu voir sans effroi sur tes traits enchanteurs
Se faner du printemps les brillantes couleurs;
C'est par lui que, percé du trait qui me déchire,
Jeune encor, en mourant vous me verrez sourire,
Et que des pleurs de joie, à nos derniers adieux,
A ton dernier regard, brilleront dans mes yeux.

Vain espoir! s'écrîra le troupeau d'Epicure,
Et celui dont la main disséquant la nature,
Dans un coin du cerveau nouvellement décrit,
Voit penser la matière et végéter l'esprit ;
Insensé! diront-ils, que trop d'orgueil abuse,
Regarde autour de toi : tout commence et tout s'use,
Tout marche vers un terme et tout naît pour mourir;
Dans ces prés jaunissants tu vois la fleur languir;
Tu vois dans ces forêts le cèdre au front superbe

Sous le poids de ses ans tomber, ramper sous l'herbe ;
Dans leurs lits desséchés tu vois les mers tarir;
Les cieux mêmes, les cieux commencent à pâlir;
Cet astre dont le temps a caché la naissance,
Le soleil, comme nous, marche à sa décadence,
Et dans les cieux déserts les mortels éperdus
Le chercheront un jour et ne le verront plus!
Tu vois autour de toi dans la nature entière
Les siècles entasser poussière sur poussière,
Et le temps, d'un seul pas confondant ton orgueil,
De tout ce qu'il produit devenir le cercueil.

Et l'homme, et l'homme seul, ô sublime folie!
Au fond de son tombeau croit retrouver la vie,
Et, dans le tourbillon au néant emporté,
Abattu par le temps, rêve l'éternité!

Qu'un autre vous réponde, ô sages de la terre!
Laissez-moi mon erreur: j'aime, il faut que j'espère;
Notre faible raison se trouble et se confond.

Oui, la raison se tait; mais l'instinct vous répond.
Pour moi, quand je verrais, dans les célestes plaines,
Les astres s'écartant de leurs routes certaines,
Dans les champs de l'éther l'un par l'autre heurtés,
Parcourir au hasard les cieux épouvantés;
Quand j'entendrais gémir et se briser la terre;
Quand je verrais son globe errant et solitaire,
Flottant loin des soleils, pleurant l'homme détruit,
Se perdre dans les champs de l'éternelle nuit;
Et quand, dernier témoin de ces scènes funèbres,
Entouré du chaos, de la mort, des ténèbres,
Seul je serais debout; seul, malgré mon effroi,
Être infaillible et bon, j'espérerais en toi,
Et, certain du retour de l'éternelle aurore,
Sur les mondes détruits je t'attendrais encore!
Méditations poétiques.

LE CRUCIFIX.

Toi que j'ai recueilli sur sa bouche expirante
Avec son dernier souffle et son dernier adieu,

Symbole deux fois saint, don d'une main mourante, Image de mon Dieu !

Que de pleurs ont coulé sur tes pieds que j'adore, Depuis l'heure sacrée où, du sein d'un martyr, Dans mes tremblantes mains tu passas, tiède encore De son dernier soupir!

Les saints flambeaux jetaient une dernière flamme,
Le prêtre murmurait ces doux chants de la mort,
Pareils aux chants plaintifs que murmure une femme
A l'enfant qui s'endort.

De son pieux espoir son front gardait la trace,
Et sur ses traits, frappés d'une auguste beauté,
La douleur fugitive avait empreint sa grâce,
La mort sa majesté.

Le vent, qui caressait sa tête échevelée,

Me montrait tour à tour ou me voilait ses traits,
Comme l'on voit flotter sur un blanc mausolée
L'ombre des noirs cyprès.

Un de ses bras pendait de la funèbre couche;
L'autre, languissamment replié sur son cœur,
Semblait chercher encore et presser sur sa bouche
L'image du Sauveur.

Ses lèvres s'entr'ouvraient pour l'embrasser encore,
Mais son âme avait fui dans ce divin baiser,
Comme un léger parfum que la flamme dévore
Avant de l'embraser.

Maintenant tout dormait sur sa bouche glacée,
Le souffle se taisait dans son sein endormi,
Et sur l'œil sans regard la paupière affaissée
Retombait à demi.

Et moi, debout, saisi d'une terreur secrète,
Je n'osais m'approcher de ce reste adoré,
Comme si du trépas la majesté muette
L'eût déjà consacré.

Je n'osais.... mais le prêtre entendit mon silence,
Et de ses doigts glacés prenant le crucifix :
<< Voilà le souvenir et voilà l'espérance :
Emportez-les, mon fils. >>

Oui, tu me resteras, ô funèbre héritage!
Sept fois depuis ce jour l'arbre que j'ai planté

Sur sa tombe sans nom a changé son feuillage :
Tu ne m'as pas quitté.

Placé près de ce cœur, hélas! où tout s'efface,
Tu l'as contre le temps défendu de l'oubli,

Et mes pleurs goutte à goutte ont imprimé leur trace
Sur l'ivoire amolli.

O dernier confident de l'âme qui s'envole,

Viens, reste sur mon cœur, parle encore et dis-moi
Ce qu'elle te disait quand sa faible parole
N'arrivait plus qu'à toi!

Pour éclaircir l'horreur de cet étroit passage,
Pour relever vers Dicu son regard abattu,
Divin consolateur, dont nous baisons l'image,
Réponds, que lui dis-tu ?

Tu sais, tu sais mourir ! et tes larmes divines,
Dans cette nuit terrible où tu prias en vain,
De l'olivier sacré baignèrent les racines

Du soir jusqu'au matin.

De la croix, où ton œil sonda ce grand mystère,
Tu vis ta mère en pleurs et la nature en deuil;
Tu laissas, comme nous, tes amis sur la terre,
Et ton corps au cercueil!

Au nom de cette mort, que ma faiblesse obtienne
De rendre sur ton sein ce douloureux soupir:
Quand mon heure viendra, souviens-toi de la tienne,
O toi qui sais mourir!

Je chercherai la place où sa bouche expirante
Exhala sur tes pieds l'irrévocable adieu,

Et son âme viendra guider mon âme errante
Au sein du même Dieu.

Ah! puisse alors sur ma funèbre couche,
Triste et calme à la fois, comme un ange éploré,
Une figure en deuil recueillir sur ma bouche

L'héritage sacré !

Soutiens ses derniers pas, charme sa dernière heure, Et, gage consacré d'espérance et d'amour,

De celui qui s'éloigne à celui qui demeure

Passe ainsi tour à tour!

Jusqu'au jour où, des morts perçant la voûte sombre,

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