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Le temple, le hameau, les champs de Vaucouleurs, Et ta chaumière, et tes compagnes,

Et ton père expirant sous le poids des douleurs.

Après quelques instants d'un horrible silence,
Tout à coup le feu brille, il s'irrite, il s'élance.....
Le cœur de la guerrière alors s'est ranimé :
A travers les vapeurs d'une fumée ardente,
Jeanne, encor menaçante,

Montre aux Anglais son bras à demi consumé.
Pourquoi reculer d'épouvante?

Anglais, son bras est désarmé;

La flamme l'environne, et sa voix expirante
Murmure encore: «O France! ô mon roi bien-aimé! »

Qu'un monument s'élève aux lieux de ta naissance,
O toi qui des vainqueurs renversas les projets!

La France y portera son deuil et ses regrets,

Sa tardive reconnaissance;

Elle y viendra gémir sous de jeunes cyprès :
Puissent croître avec eux ta gloire et sa puissance!

Que sur l'airain funèbre on grave des combats,
Des étendards anglais fuyant devant tes pas,

Dieu vengeant par tes mains la plus juste des causes!
Venez, jeunes beautés; venez, braves soldats :
Semez sur son tombeau les lauriers et les roses.

Qu'un jour le voyageur, en parcourant ces bois,
Cueille un rameau sacré, l'y dépose, et s'écrie:
A celle qui sauva le trône et la patrie,

Et n'obtint qu'un tombeau pour prix de ses exploits!

WATERLOO.

Ils ne sont plus, laissez en paix leurs cendres:
Par d'injustes clameurs ces braves outragés,
A se justifier n'ont pas voulu descendre;
Mais un seul jour les a vengés :
Ils sont tous morts pour vous défendre.

Malheur à vous, si vos yeux inhumains
N'ont point de pleurs pour la patrie!
Sans force contre vos chagrins,

Contre le mal commun, votre âme est aguerrie:
Tremblez! la mort peut-être étend sur vous ses mains.

Que dis-je? quel Français n'a répandu des larmes
Sur nos défenseurs expirants?

Prêt à revoir les rois qu'il regretta vingt ans,
Quel vieillard n'a rougi du malheur de nos armes?
En pleurant ces guerriers par le destin trahis,
Quel vieillard n'a senti s'éveiller dans son âme
Quelque reste assoupi de cette antique flamme
Qui l'embrasait pour son pays?

Que de leçons, grand Dieu! que d'horribles images
L'histoire d'un seul jour présente aux yeux des rois !
Clio, sans que la plume échappe de ses doigts,
Pourra-t-elle en tracer les pages?

Cachez-moi ces soldats sous le nombre accablés,
Domptés par la fatigue, écrasés par la foudre;
Ces membres palpitants, dispersés sur la poudre,
Ces cadavres amoncelés.

Eloignez de mes yeux ce monument funeste
De la fureur des nations:

O mort! épargne ce qui reste;
Varus, rends-nous nos légions.

Les coursiers frappés d'épouvante,
Les chefs et les soldats épars,
Nos aigles et nos étendards
Souillés d'une fange sanglante,

Insultés par les léopards,

Les blessés mourant sur les chars,

Tout se presse sans ordre, et la foule incertaine,
Qui se tourmente en vains efforts,

S'agite, se heurte, se traîne,
Et laisse après soi dans la plaine

Du sang, des débris et des morts!

Parmi des tourbillons de flamme et de fumée,

O douleur! quel spectacle à mes yeux vient s'offrir? Le bataillon sacré, seul devant une armée,

S'arrête pour mourir!

C'est en vain que, surpris d'une vertu si rare,

Les vainqueurs dans leurs mains retiennent le trépas: Fier de le conquérir, il court, il s'en empare:

LA GARDE, avait-il dit, MEURT ET NE SE REND PAS!

On dit qu'en les voyant couchés sur la poussière,
D'un respect douloureux frappé par tant d'exploits,
L'ennemi, l'œil fixé sur leur face guerrière,
Les regarda sans peur pour la première fois.
Les voilà, ces héros si lontemps invincibles :
Ils menaçaient encor les vainqueurs étonnés.
Glacés par le trépas, que leurs yeux sont terribles,
Que de hauts faits écrits sur leurs fronts sillonnés!
Ils ont bravé les feux du soleil d'Italie,

De la Castille ils ont franchi les monts!
Et le nord les a vus marcher sur les glaçons
Dont l'éternel rempart protége la Russie!
Ils avaient tout dompté..... le destin des combats
Leur devait, après tant de gloire,

Ce qu'aux Français naguère il ne refusait pas,
Le bonheur de mourir dans un jour de victoire.

Ah! ne les pleurons pas! sur leurs fronts triomphants
La palme de l'honneur n'a pas été flétrie ;

Pleurons sur nous, Français, pleurons sur la patrie:
L'orgueil et l'intérêt divisent ses enfants.
Quel siècle en trahison fut jamais plus fertile?
L'amour du bien commun de tous les cœurs s'exile.
La timide amitié n'a plus d'épanchements;
On s'évite, on se craint; la foi n'a plus d'asile,

Et s'enfuit d'épouvante au bruit de nos serments.
O vertige fatal! déplorables querelles

Qui livrent nos foyers au fer de l'étranger!
Le glaive étincelant, dans nos mains infidèles,
Ensanglante le sein qu'il devrait protéger.
L'ennemi cependant renverse les murailles
De nos forts et de nos cités;

La foudre tonne encore, au mépris des traités;
L'incendie et les funérailles

Epouvantent encor nos hameaux dévastés;
D'avides proconsuls dévorent nos provinces,
Et sous l'écharpe blanche, ou sous les trois couleurs,
Les Français, disputant pour le choix de leurs princes,
Détrônent des drapeaux et proscrivent des fleurs.
Des soldats de la Germanie

J'ai vu les coursiers vagabonds

Dans nos jardins pompeux errer sur les gazons;
Parmi ces demi-dieux qu'enfanta le génie,
J'ai vu des bataillons, des tentes et des chars,
Et l'appareil d'un camp dans le temple des arts.
Faut-il, muets témoins, dévorer tant d'outrages?
Faut-il que le Français, l'olivier dans la main,
Reste insensible et froid comme ces dieux d'airain
Dont ils insultent les images?

Nous devons tous nos maux à ces divisions
Que nourrit notre intolérance:

Il est temps d'immoler au bonheur de la France
Cet orgueil ombrageux de nos opinions.
Etouffons le flambeau des guerres intestines.
Soldats, le ciel prononce, il relève les lis :
Adoptez les couleurs du héros de Bovines,
En donnant une larme au drapeau d'Austerlitz.
France, réveille-toi! qu'un courroux unanime
Enfante des guerriers autour du souverain!
Divisés, désarmés, le vainqueur nous opprime;
Présentons-lui la paix, les armes à la main.
Et vous, peuples si fiers du trépas de nos braves,
Vous, les témoins de notre deuil,

Ne croyez pas, dans votre orgueil,

Que, pour être vaincus, les Français soient esclaves!
Gardez-vous d'irriter nos vengeurs à venir;
Peut-être que le Ciel, lassé de nous punir,
Seconderait notre courage,

Et qu'un autre Germanicus

Irait demander compte aux Germains d'un autre âge

De la défaite de Varus!

VICTOR HUGO.

M. Victor Hugo a écrit dans tous les genres, et dans tous les genres il a su se donner une physionomie particulière, originale : c'est celui qui est entré le plus franchement dans ce qu'on appelle l'école romantique, qui a divorcé le plus témérairement avec les principes littéraires; c'est le seul peut-être auquel tous les partis ne contestent pas le génie. Le vrai, c'est le beau, voilà les paroles sacramentelles qu'il inscrit sur son drapeau, autour duquel s'empressent de se grouper de jeunes enthousiastes qui l'encensent comme une divinité; c'est le même engouement que celui qu'on montrait au XVIe siècle pour Ronsard; mais il se trouve peu de Malherbes qui osent effacer tous les vers du prince des poëtes novateurs. Dans la poésie lyrique, dans le roman, dans le drame, dans toutes ses compositions, il semble laisser courir au gré du caprice de son imagination sa plume tour à tour naïve et passionnée, savante et fantasque, harmonieuse et triviale, dure et correcte, plaisante et pathétique 1.

BONAPARTE.

Quand la terre engloutit les cités qui la couvrent,
Que le vent sème au loin un poison voyageur;
Quand l'ouragan mugit, quand des monts brûlants s'ouvrent,
C'est le réveil du dieu vengeur.

Et si, lassant enfin les clémences célestes,

Le monde à ces signes funestes

Ose répondre en les bravant,

Un homme alors, choisi par la main qui foudroie,
Des aveugles fléaux ressaisissant la proie,

Paraît comme un fléau vivant!

Naguère, de lois affranchie,

Quand la reine des nations
Descendit de la monarchie,
Prostituée aux factions,
On vit, dans ce chaos fétide,
Naître de l'hydre régicide

1 Levi, Esq. litt.

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