Page images
PDF
EPUB

Ses plaisirs sont au comble, et n'ont rien de mortel;
Il voit, il sent, il connaît, il respire

Le Dieu qu'il a servi, dont il aima l'empire;

Il en est plein, il chante ses bienfaits.
L'Éternel a brisé son tonnerre inutile;
Et d'ailes et de faux dépouillé désormais,
Sur les mondes détruits le Temps dort immobile.

LE BRUN.

Le Brun est un écrivain qui a de la chaleur et de l'enthousiasme; mais son feu ressemble trop souvent à celui de certaines matières, qui répandent plus de fumée qu'elles ne jettent de flamme; et son enthousiasme a presque toujours quelque chose de pénible et de forcé; il ne conçoit jamais bien ses sujets, et le mauvais sens règne dans ses idées, comme le mauvais goût dans ses expressions; il veut toujours être hardi, et il est presque toujours malheureux dans ses hardiesses 1.

Le Brun naquit à Paris en 1729, et mourut le 2 septembre 1807.

ODE

TIRÉE DU PSAUME CXXXVIII.

Le Seigneur écoute ma plainte;
Mes cris ont attiré ses regards paternels:
J'ai percé la majesté sainte

Dont l'éclat l'environne et le cache aux mortels.

Mes regrets, mes clameurs funèbres
Au lever de l'aurore imploraient son appui ;
Je l'invoquais dans les ténèbres,

Et mes tremblantes mains s'élevaient jusqu'à lui.

Dans les plus cruelles alarmes,

Aux douleurs, aux remords, à la crainte immolé,
Je m'excitais moi-même aux larmes :

Mais Dieu se fit entendre, et je fus consolé.

1 Dussault, Ann. litt.

[ocr errors]

Je suivais jusqu'aux premiers åges

Ses soins pour nos aïeux, son amour, ses bienfaits:
Partout s'offraient des témoignages

De ce qu'il fit pour eux, sans se lasser jamais.

Quoi! m'écriais-je, il fut leur père,

Leur chef, leur conducteur en tout temps, en tout lieu; Oublira-t-il, dans sa colère,

Que nous sommes son peuple, et qu'il est notre Dieu ?

Non, l'espérance m'est rendue;

Je sens fuir loin de moi les périls que je crains :
Dieu soutient mon âme abattue,

Et ce prompt changement est l'œuvre de ses mains.

J'ai rappelé dans ma mémoire
Des bontés du Seigneur l'inaltérable cours :
Mon cœur méditera sa gloire,

Et ma bouche aux mortels l'annoncera toujours.

Eh! quel Dieu plus grand que le nôtre,

Quel Dieu peut égaler sa force et son pouvoir?
Israël n'en aura point d'autre :

Lui seul de nos tyrans a confondu l'espoir.

Dieu puissant, du sein de la nue,
Ta main guidait Jacob par l'Égypte investi :
Les flots troublés l'ont reconnue,

Et du son de ta voix leur gouffre a retenti.

Tes cris, semblables au tonnerre,

Jusqu'au fond de l'abîme ont porté la terreur ;
Et les fondements de la terre,

Par ta course ébranlés, ont tressailli d'horreur.

Le tourbillon qui t'environne

Vomit des traits brûlants qui répandent l'effroi ;
Les éclairs brillent, le ciel tonne,

La mer frémit, recule, et s'ouvre devant toi.

Ton char, dans ces routes profondes,
Ne laisse point de trace, et court à l'autre bord.
Pharaon te suit dans les ondes:

Il y cherche ton peuple, il y trouve la mort.

Israël, après mille obstacles,

Va remplir le désert de ses cris triomphants:
Seigneur, un seul de tes miracles
Anéantit l'Égypte, et sauve tes enfants.

MELLEVOTE.

Charles-Hubert Millevoye naquit à Abbeville le 24 décembre 1782, et mourut le 12 août 1816. Ses principaux titres littéraires sont les Plaisirs d'un poëte, l'Amour maternel, et un grand nombre d'élégies qui se font remarquer par une touche gracieuse et délicate, et dont quelques-unes sont empreintes d'une mélancolie rêveuse extrêmement touchante.

LA CHUTE DES FEUILLES.

De la dépouille de nos bois
L'automne avait jonché la terre :
Le bocage était sans mystère,
Le rossignol était sans voix.
Triste et mourant, à son aurore,
Un jeune malade, à pas lents,
Parcourait une fois encore

Le bois cher à ses premiers ans :

<< Bois que j'aime! adieu... je succombe;
>> Votre deuil me prédit mon sort;
>> Et dans chaque feuille qui tombe,
>> Je vois un oracle de mort. >>
Fatal oracle d'Epidaure,

Tu m'as dit : « Les feuilles des bois
» A tes yeux jauniront encore,
>> Mais c'est pour la dernière fois.
» L'éternel cyprès t'environne:
>> Plus pâle que la pâle automne,
>> Tu t'inclines vers le tombeau.

>> Ta jeunesse sera flétrie
» Avant l'herbe de la prairie,
» Avant les pampres du coteau, »

Et je meurs!... De leur froide haleine
M'ont touché les sombres autans:
Et j'ai vu, comme une ombre vaine,
S'évanouir mon beau printemps.
Tombe, tombe, feuille éphémère !
Voile aux yeux ce triste chemin,
Cache au désespoir de ma mère
La place où je serai demain.
Mais, vers la solitaire allée,
Si mon amante échevelée
Venait pleurer quand le jour fuit,
Réveille par ton léger bruit
Mon âme un instant consolée !

Il dit, s'éloigne... et sans retour!...
La dernière feuille qui tombe

A signalé son dernier jour.

Sous le chêne on creusa sa tombe...

Mais son amante ne vint pas

Visiter la pierre isolée :

Et le pâtre de la vallée

Troubla seul, du bruit de ses pas,

Le silence du mausolée.

DELAVIGNE.

Casimir Delavigne, né au Havre en 1794, annonça de bonne heure des dispositions heureuses pour la poésie. Il consacra au récit des malheurs de son pays plusieurs élégies auxquelles il donna le nom de Messéniennes. Toutes ses poésies ont été inspirées par un sentiment patriotique. La bataille de Waterloo, la dévastation du Musée, la vie et la mort de Jeanne d'Arc, la Grèce dans l'esclavage, Napoléon exilé sur un rocher désert, voilà les grands événements que chante le jeune poëte. Son expression est noble, grave, lyrique. Quelques épithètes un peu pâles, quelques vers prosaïques, quelques tournures rhétoriciennes, quelques périphrases un peu vides, quelques antithèses accusent les traditions du colléges, les études encore toutes classiques du jeune homme; mais il y a du mouvement dans le rhythme, de la verve, de la chaleur, des pensées fortes, des pensées gracieuses, de la poésie, enfin,

MORT DE JEANNE D'ARC.

A qui réserve-t-on ces apprêts meurtriers?

Pour qui ces torches qu'on excite?

L'airain sacré tremble et s'agite...

D'où vient ce bruit lugubre? où courent ces guerriers Dont la foule à longs flots roule et se précipite?

La joie éclate sur leurs traits;

Sans doute l'honneur les enflamme;

Ils vont pour un assaut former leurs rangs épais:
Non, ces guerriers sont des Anglais

Qui vont voir mourir une femme.

Qu'ils sont nobles dans leur courroux!

Qu'il est beau d'insulter au bras chargé d'entraves!
La voyant sans défense, ils s'écriaient, ces braves:
« Qu'elle meure! Elle a contre nous
• Des esprits infernaux suscité la magie... >>
Lâches, que lui reprochez-vous ? .
D'un courage inspiré la brûlante énergie,
L'amour du nom français, le mépris du danger,
Voilà sa magie et ses charmes :

En faut-il d'autres que des armes

Pour combattre, pour vaincre et punir l'étranger?

Du Christ, avec ardeur, Jeanne baisait l'image;
Ses longs cheveux épars flottaient au gré des vents;
Au pied de l'échafaud, sans changer de visage,

Elle s'avançait à pas lents.

Tranquille elle y monta. Quand, debout sur le faîte,
Elle vit ce bûcher qui l'allait dévorer,

Les bourreaux en suspens, la flamme déjà prête,
Sentant son cœur faillir, elle baissa la tête,

Et se prit à pleurer.

Ah! pleure, fille infortunée !

Ta jeunesse va se flétrir

Dans sa fleur trop tôt moissonnée!
Adieu, beau ciel, il faut mourir !

Tu ne reverras plus tes riantes montagnes,

« PreviousContinue »