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Et d'un despit contre le bœuf souffla.
Son fils lui dit : Mère, vous creverez,
Et de ce bœuf victrice1 ne serez.
Mais à ce mot de plus en plus renfla.
Par fier dedain et ire qui surmonte
Le jugement, et aveugle la honte,
Enfla son ventre, et sur pieds se leva ;
Mais tout soudain par le milieu creva:
A ce moyen fut bien loin de son compte.

TSOPBT.

On a donné le nom d'Ysopet à des collections de fables traduites en vers français, et dont les sujets ont été tirés d'Esope. On n'a pu rien découvrir sur leurs auteurs.

LES LIÈVRES QUI S'ENFUYAIENT.

Li bois par grand vent fremissoient.
Les lièvres qui s'y tapissoient3
S'en issirent*, tel pour en eurent;
Mais gaires loing fuire ne péurent.
Savez-vous pourquoy? Pour un mardrés
Qui du bois estoit assez prés,
Arrestés sont trestuit ensemble;
Tel paour ont chacun qui tremblent
Et dient qu'ils se noieront

Si mardrés passe voulont.
Grenouilles sur la terre estoient;
Oyrent les lievres qui venoient
De grant force et tous bruyans,
Au mardre s'en saillent fuyans,
Dont li lièvre estre cremu cuident,
Parce que la place leur vuident.

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Li en rient si durement,
Ce dist la fable vrayement,

Que du ris leur fendy la bouche
Si que aus oreilles leur touche.
Dist li uns: Or n'aions doutance:
Mais soyons en bonne espérance;
Car si nous sommes paoureux
Et couars, ne sommes pas seux1:
Véez ces raines; tant nous doubtent
Que pour nous en l'iave se boutent.

LA FONTAINE,

Jean de La Fontaine naquit à Château-Thierry, en Champagne, le 8 juillet 1621. Il a surpassé dans ses Fables, ouvrage immortel et inimitable, tout ce que les anciens et les modernes ont fait en ce genre. Ce Fablier, comme le nommait la duchesse de Bouillon, ce bon homme, comme disait Molière, nous ravit par la naïveté, le naturel, la bonne foi, la vraisemblance, la vivacité dramatique qui règnent dans ses écrits. Il se pénètre tellement de son sujet, qu'aucun de ces mots caractéristiques et pittoresques, aucun de ces traits propres à chaque personnage et à chaque situation ne lui échappe. Ce n'est point un historien qui raconte, ce n'est point un peintre qui retrace: c'est un magicien qui nous transporte au lieu de la scène, qui met sous nos yeux et l'action, et les acteurs, et le jeu des caractères, et le mouvement des passions. De là cet intérêt propre à La Fontaine. Mais ce même intérêt, cette vérité qui reproduit les objets, ce ton d'un homme persuadé qui complète l'illusion, cette naïveté, en un mot, se retrouve dans toutes ses bonnes fables, quels qu'en soient les personnages, hommes, bêtes ou plantes *.

LA LAITIÈRE ET LE POT AU LAIT.

Perrette, sur sa tête ayant un pot au lait
Bien posé sur un coussinet,

Prétendait arriver sans encombre à la ville.
Légère et court vêtue, elle allait à grands pas,
Ayant mis ce jour-là, pour être plus agile,

Cotillon simple et souliers plats.

Notre laitière, ainsi troussée,

Seux, seuls. =2 Gérard.

Comptait déjà dans sa pensée

Tout le prix de son lait : en employait l'argent;
Achetait un cent d'œufs, faisait triple couvée.
La chose allait à bien par son soin diligent.
<< Il m'est, disait-elle, facile

D'élever des poulets autour de ma maison:
Le renard sera bien habile

S'il ne m'en laisse assez pour avoir un cochon.
Le porc à s'engraisser coûtera peu de son:
Il était, quand je l'eus, de grosseur raisonnable;
J'aurai, le revendant, de l'argent bel et bon.
Et qui m'empêchera de mettre en notre étable,
Vu le prix dont il est, une vache et son veau,
Que je verrai sauter au milieu du troupeau? »
Perrette là-dessus saute aussi, transportée,

Le lait tombe; adieu veau, vache, cochon, couvéo.
La dame de ces biens, quittant d'un air marri

Sa fortune ainsi répandue,

Va s'excuser à son mari,

En grand danger d'être battue.

Le récit en farce en fut fait,
On l'appela le Pot au lait.

Quel esprit ne bat la campagne?
Qui ne fait châteaux en Espagne ?

Quand je suis seul, je fais au plus brave un défi,
Je m'écarte, je vais détrôner le sophi;

On m'élit roi, mon peuple m'aime;
Les diadèmes vont sur ma tête pleuvant.
Quelqu'accident fait-il que je rentre en moi-même,
Je suis Gros-Jean comme devant.

LE CHAT, LA BELETTE ET LE PETIT LAPIN.

Du palais d'un jeune lapin,
Dame belette un beau matin
S'empara : c'est une rusée.

Le maître étant absent, ce lui fut chose aisée ;

Elle porta chez lui ses pénates, un jour

Qu'il était allé faire à l'aurore sa cour,

Parmi le thym et la rosée.

Après qu'il eut broutté, trotté, fait tous ses tours,
Jeannot lapin retourne aux souterrains séjours;
La belette avait mis le nez à la fenêtre.

<< O dieux hospitaliers, que vois-je ici paraître ?
Dit l'animal chassé du paternel logis.

Hola! madame la belette,

Que l'on déloge sans trompette,

Ou je vais avertir tous les rats du pays. »

La dame au nez pointu répondit que la terre
Etait au premier occupant.

C'était un beau sujet de guerre,

Qu'un logis où lui-même il n'entrait qu'en rampant! << Et quand ce serait un royaume,

Je voudrais bien savoir, dit-elle, quelle loi

En a pour toujours fait l'octroi

A Jean, fils ou neveu de Pierre ou de Guillaume,
Plutôt qu'à Paul, plutôt qu'à moi ? »

Jean lapin allégua la coutume et l'usage.

<< Ce sont, dit-il, leurs lois qui m'ont de ce logis
Rendu maître et seigneur, et qui, de père en fils,
L'ont de Pierre à Simon, puis à moi Jean, transmis.
Le premier occupant, est-ce une loi plus sage?
Or bien, sans crier davantage,
Rapportons-nous, dit-elle, à Raminagrobis. »
C'était un chat vivant comme un dévot ermite,
Un chat faisant la chatemite,

Un saint homme de chat, bien fourré, gros et gras,
Arbitre expert sur tous les cas.

Jean lapin pour juge l'agrée;
Les voilà tous deux arrivés

Devant sa majesté fourrée.

Grippeminaud leur dit : « Mes enfants, approchez, Approchez, je suis sourd, les ans en sont la cause. » L'un et l'autre approcha, ne craignant nulle chose. Aussitôt qu'à portée il vit les contestants,

Grippeminaud, le bon apôtre,

Jetant des deux côtés la griffe en même temps,
Mit les plaideurs d'accord en croquant l'un et l'autre.

Ceci ressemble fort aux débats qu'ont parfois
Les petits souverains se rapportant aux rois.

LE CHENE ET LE ROSEAU.

Le chêne un jour dit au roseau :
<< Vous avez bien sujet d'accuser la nature :
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau;
Le moindre vent qui d'aventure

Fait rider la face de l'eau,

Vous oblige à baisser la tête;

Cependant que mon front au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil,
Brave l'effort de la tempête.

Tout vous est aquilon, tout me semble zéphir.
Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,

Vous n'auriez pas tant à souffrir,
Je vous défendrais de l'orage;

Mais vous naissez, le plus souvent,

Sur les humides bords des royaumes du vent. La nature envers vous me semble bien injuste. Votre compassion, lui répondit l'arbuste,

-

Part d'un bon naturel; mais quittez ce souci, Les vents me sont moins qu'à vous redoutables : Je plie et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici, Contre leurs coups épouvantables,

Résisté sans courber le dos,

Mais attendons la fin. » Comme il disait ces mots, Du bout de l'horizon s'élance avec furie

Le plus terrible des enfants

Que le nord eût portés jusque-là dans ses flancs.
L'arbre tient bon, le roseau plie;

Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu'il déracine

Celui de qui la tête au ciel était voisine,

Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts.

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