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POÉSIE PERSANE.

KAFIZ.

Hafiz, le prince des poëtes lyriques de l'Asie, naquit à Chiraz. Son véritable nom était Chams-Oud-Dine; il adopta le sobriquet de Hafiz qui signifie: Lecteur assidu du Coran. Sa vie fut douce et glorieuse; la plupart des hommes puissants de l'Asie l'honorèrent et l'invitèrent à les visiter : il aima mieux se renfermer dans sa charmante solitude de Mosalla, à deux milles de Chiraz, dans une retraite où affluaient tous les hommes distingués de ces régions. « Que me parlez-vous de tous les honneurs du monde? demande dans une de ses odes cet Horace de la Perse; je leur préfère deux amis aimables et spirituels, une mesure de vieux vin, des roses, un livre, le silence et le repos dans une retraite champêtre 1. >>

Les odes de Hafiz ressemblent beaucoup à celles d'Anacréon. Le poëte parle sans cesse de plaisirs, de vin, de roses, et toutes ces poésies légères sont entremêlées de réflexions sur l'instabilité de la fortune, et sur la vanité de nos désirs. Elles sont nommées Gazels, et contiennent rarement moins de cinq strophes chacune, et jamais plus de seize. Quoique les Gazels ou odes soient dignes de la curiosité des littérateurs, il faut avouer que les pensées en sont souvent bien monotones. La fertilité de la langue et la richesse des expressions font disparaître ce défaut dans l'original 2.

ODE DE HAFIZ.

Levez-vous, enfant, votre coupe est pleine de vin. Laissez là votre humeur sévère? dissipez tous vos chagrins : plus d'orgueil, plus de dédain !

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Le temps a humilié la couronne des empereurs, et le diadème de Chosru a roulé dans la poussière.

Oh! soyez sage! réveillez-vous! le sommeil de l'éternité approche.

Il ne faut pas compter sur les faveurs de la fortune, sur son sourire trompeur.

Malheur à celui qui se croit à l'abri de ses coups.

Demain peut-être les flots de Cuther et les nymphes du Paradis se prépareront pour vous recevoir.

Mon enfant, apportez donc le vin, il fortifiera nos cœurs, il dissipera nos chagrins.

N'admirez pas l'éclat et la beauté de la rose, car le vent dissipera ses feuilles, elles seront éparpillées sur la terre et vous les foulerez aux pieds.

Apportez donc une coupe plus large, et je boirai à la mémoire de Hatem Taï... et soyez attentif, car les musiciens du bosquet ont commencé leur concert. Ils mêlent les notes de la lyre et de la harpe aux doux accords de la flûte et de la guitare.

Portez le divan dans le jardin et hâtez-vous, car le cyprès qui vous attend est là devant vous...

O Hafiz, la renommée de ta voix douce et magique s'est étendue des extrémités de Rei et de Rum jusqu'aux frontières de la Chine et de l'Égypte1.

SAADI.

Saadi, célèbre poëte persan, naquit à Chiraz vers l'an 589. Le recueil de ses œuvres se compose principalement de poésies, et contient quelques autres productions en prose, ou en prose mêlée de vers. Parmi ces derniers, le Gulistan tient le premier rang, tant par son importance, que par la réputation dont il jouit à juste titre. C'est un recueil de préceptes de morale et de politique, et de sentences philosophiques presque toujours amenées par des anecdotes piquantes et racontées avec un style élégant et enchanteur. Un caractère qui se fait remarquer dans les écrits de Saadi, surtout dans le Gulistan, c'est qu'il use de l'hyperbole, et, en général, du style figuré 1 Trad. du persan en anglais par Will, Jones,

avec bien plus de sobriété que la plupart des écrivains de l'Orient, et qu'il tombe rarement dans l'amphigouri et l'obscurité 1.

NURSHIRVAN SUR SON LIT DE MORT.

J'ai entendu dire que le roi Nurshirvan, étant sur son lit de mort, fit mander son fils Hormuz, et lui parla ainsi : « Mon fils, sois le protecteur du pauvre et de l'opprimé, ne reste pas enseveli dans l'indolence: si tu cherches ton repos, si tu dis jamais : C'est assez, aucun homme ne pourra vivre en paix dans ton empire. L'homme sage blâmera le pasteur qui dort, tandis que le loup est dans la bergerie. Va, mon fils, protége ton peuple qui est pauvre et faible. C'est par le peuple qu'un roi est élevé sur le trône; le roi est un arbre et le peuple est la racine. Mais souviens-toi, ô mon fils, que toute la force de l'arbre se trouve dans les racines 2. >>

LE ROI TOGROUL ET LE SOLDAT.

J'ai entendu raconter que le roi Togroul, venant à passer pendant une nuit d'hiver devant une sentinelle de l'Inde, jeta un regard sur le soldat et vit qu'il tremblait de froid, car la grêle tombait et la neige couvrait la terre. Le roi fut ému de compassion et dit à la sentinelle : « Vois-tu, ce manteau de fourrure que je porte, reste là un moment sur la terrasse, et je te l'enverrai par un de mes esclaves. » Le souffle du vent était froid et perçant, et le roi se retira dans son somptueux palais... Mais la pauvre sentinelle fut entièrement oubliée. Le monarque s'enveloppa de son manteau de fourrure, qui ne devait jamais devenir le partage de l'homme malheureux; et pendant la longue nuit, le soldat eut à souffrir du froid. Mais ses espérances trompées, et l'oubli du roi, furent encore bien plus pénibles pour lui. Et tandis que le Sultan, au lever de l'aurore, était encore plongé dans le sommeil, le soldat, qui veillait encore, disait en lui-même : « Peut-être, dans ton bonheur, tu as oublié mon triste sort, et tandis qu'une nuit tranquille et 1 Silvestre de Sacy.

2 Extrait du Bostaun; trad. du persan en angl. par W. Jones,

agréable s'écoule rapidement pour toi, combien elle est différente la nuit du soldat qui veille à la porte de ton palais! Souvent aussi les voyageurs vont s'arrêter dans un caravansérail; ils se gorgent de viandes et de liqueurs, et ne songent pas à leur compagnon qu'ils ont laissé derrière eux, et qui est au milieu des sables du désert1. >>

SUR L'AMOUR DE DIEU.

Si une affection ridicule et passagère comme le vent tourmente ton âme, et règne sur elle avec une puissance si grande, pourquoi regarder avec étonnement ces hommes qui marchent dans la voie droite et qui sont plongés dans une mer d'adoration mystérieuse? Ils méprisent la vie, parce qu'ils aiment celui qui la donne. Ils abandonnent le monde, parce qu'ils pensent à celui qui l'a créé. Ils sont enivrés d'une sainte mélodie de douces prières. Ils ont toujours à la mémoire le souvenir de leur bien-aimé, et ils déposent entre ses mains le soin de cette vie et de l'autre. La pensée du Créateur les éloigne des hommes; et ils sont tellement ravis du divin échanson qui leur présente la coupe du bonheur, qu'ils répandent à terre tout le vin qu'elle renferme. Aucune plante ne peut les guérir, car aucun mortel ne comprend leur maladie. Depuis le commencement des temps, les exclamations enthousiastes des bienheureux, les divines paroles de Beli et d'Aleft ont retenti dans leurs oreilles. Ce sont des hommes grandement occupés, et qui cependant restent assis dans la solitude. Leurs pieds sont composés d'un peu de terre, mais le souffle de leur respiration est une flamme. Un seul de leurs gémissements renverserait les montagnes; un seul de leurs cris porterait la confusion au milieu des villes. Comme le vent, on ne peut les apercevoir; et ils sont aussi rapides que le vent. Comme la pierre ils sont silencieux, et cependant ils chantent les louanges de Dieu. Dès que l'aurore paraît, leurs larmes coulent avec abondance, arrosent leurs yeux et en chassent le sommeil. Et quoique les coursiers de leur imagination aient couru toute la nuit, le lever du jour les trouve déjà bien éloignés. La nuit et le jour ils sont plongés dans un océan de désirs ardents; et, dans le saint égarement de

1 Trad. du persan en angl., par George Swinton.

leurs esprits, ils sont incapables de distinguer le jour de la nuit. Ils sont tellement ravis de la beauté de celui qui a embelli la nature, que leurs yeux ne s'arrêtent jamais sur la créature; et si parfois ils aperçoivent une forme admirable, ils ne voient en elle que les œuvres mystérieuses de Dieu. Celui-là seul a bu le vin pur de l'unité, qui, pensant au Créateur, oublie toute autre chose dans ce monde et dans l'autre1.

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La littérature persane renferme un grand nombre de poëmes sur les exploits et les aventures des plus célèbres guerriers de l'Asie; mais ces poëmes, étant remplis de fables extravagantes, sont plutôt considérés comme des romans et des contes que comme des poëmes épiques. Les seuls ouvrages de Ferdoucy peuvent justement réclamer ce titre; ils contiennent l'histoire de Perse, depuis Caioumaras jusqu'à Anouchirvan, dans une suite de très-beaux poëmes. Cette collection porte le nom de Chah-Nameh, ct presque la moitié de chaque volume contient un poëme entier sur une grande et intéressante action de la guerre entre Afrasiab, roi de Touran, ou du pays au nord de l'Oxus, et les sultans de la Perse, de la race des Caïnides.

Afrasiab avait envahi l'empire de Perse, où il prétendait avoir droit de régner comme descendant de Feridoun. Il était assisté par l'empereur des Indes, et par celui de la Chine, ainsi que par tous les démons, les géants et les enchanteurs de l'Asie. Il avait poussé très-loin ses conquêtes, et s'était rendu formidable aux Persans, quand Rustem, prince du Zablestan, l'Achille, ou plutôt l'Hercule de l'Orient, marcha à la tête de ses troupes contre l'usurpateur, et, par ses grandes actions, rendit vaines toutes les embûches des magiciens, défit les dragons et les monstres, vainquit les empereurs confédérés, et mit fin à cette guerre par la mort d'Afrasiab.

Ce poëme est aussi long que l'Iliade: il peut être divisé en douze chants, dont chacun pourrait être distingué par les prin↑ Trad. du persan en anglais par Will, Jones.

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