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Ce morceau vraiment oratoire

Fit bâiller, mais on applaudit.
Content de son succès, notre singe saisit
Un verre peint qu'il met dans sa lanterne.
Il sait comment on le gouverne,

Et crie en le poussant : « Est-il rien de pareil?
Messieurs, vous voyez le soleil,

Ses rayons et toute sa gloire.

Voici présentement la lune, et puis l'histoire
D'Adam, d'Eve et des animaux.....

Voyez, messieurs, comme ils sont beaux!
Voyez la naissance du monde;

Voyez.....>> Les spectateurs, dans une nuit profonde,
Ecarquillaient leurs yeux et ne pouvaient rien voir :
L'appartement, le mur, tout était noir.

<< Ma foi, disait un chat, de toutes les merveilles
Dont il étourdit nos oreilles,

Le fait est que je ne vois rien.

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Ni moi non plus, disait un chien.

Moi, disait un dindon, je vois bien quelque chose;

Mais je ne sais pour quelle cause

Je ne distingue pas très-bien. »

Pendant tous ces discours, le Cicéron moderne
Parlait éloquemment, et ne se lassait point.
Il n'avait oublié qu'un point,
C'était d'éclairer sa lanterne.

LE CHATEAU DE CARTES.

Un bon mari, sa femme et deux jolis enfants
Coulaient en paix leurs jours dans le simple héritage
Où, paisibles comme eux, vécurent leurs parents.
Ces époux, partageant les doux soins du ménage,
Cultivaient leur jardin, recueillaient leurs moissons;
Et le soir, dans l'été, soupant sous le feuillage,
Dans l'hiver devant leurs tisons,

Ils prêchaient à leurs fils la vertu, la sagesse,

Leur parlaient du bonheur qu'elles donnent toujours ;

Le père par un conte égayait ses discours,
La mère par une caresse.

L'aîné de ces enfants, né grave, studieux,
Lisait et méditait sans cesse ;

Le cadet, vif, léger, mais plein de gentillesse,
Sautait, riait toujours, ne se plaisait qu'aux jeux.
Un soir, selon l'usage, à côté de leur père,

Assis près d'une table où s'appuyait la mère,

L'aîné lisait Rollin : le cadet, peu soigneux

D'apprendre les hauts faits des Romains ou des Parthes,
Employait tout son art, toutes ses facultés,
A joindre, à soutenir par les quatre côtés
Un fragile château de cartes.

Il n'en respirait pas d'attention, de peur.
Tout à coup voici le lecteur

Qui s'interrompt: « Papa, dit-il, daigne m'instruire
Pourquoi certains guerriers sont nommés conquérants,
Et d'autres, fondateurs d'empire?

Les deux noms sont-ils différents? »

Le père méditait une réponse sage,
Lorsque son fils cadet, transporté de plaisir,
Après tant de travail, d'avoir pu parvenir

A placer son second étage,

S'écrie: « Il est fini!» Son frère, murmurant,

Se fâche, et d'un seul coup détruit son long ouvrage;

Et voilà le cadet pleurant.

<< Mon fils, répond alors le père,
Le fondateur, c'est votre frère,
Et vous êtes le conquérant, »>

L'ANE ET LA FLUTE.

Les sots sont un peuple nombreux,
Trouvant toutes choses faciles:

Il faut le leur passer, souvent ils sont heureux :
Grand motif de se croire habiles.

Un âne, en broutant ses chardons,

Regardait un pasteur jouant, sous le feuillage,

D'une flûte dont les doux sons

Attiraient et charmaient les bergers du bocage.
Cet âne mécontent disait : « Ce monde est fou!
Les voilà tous, bouche béante,

Admirant un grand sot qui sue et se tourmente
A souffler dans un petit trou.

C'est par de tels efforts qu'on parvient à leur plaire,
Tandis que moi... Suffit... Allons-nous-en d'ici,
Car je me sens trop en colère. »
Notre âne, en raisonnant ainsi,

Avance quelques pas, lorsque, sur la fougère,
Une flûte, oubliée en ces champêtres lieux
Par quelque pasteur amoureux,

Se trouve sous ses pieds. Notre âne se redresse,
Sur elle de côté fixe ses deux gros yeux;
Une oreille en avant, lentement il se baisse,
Applique son naseau sur le pauvre instrument,
Et souffle tant qu'il peut. O hasard incroyable!
Il en sort un son agréable.

L'âne se croit un grand talent,

Et, tout joyeux, s'écrie, en faisant la culbute: «Eh! je joue aussi de la flûte. >>

LE HIBOU, LE CHAT, L'OISON ET LE RAT.

De jeunes écoliers avaient pris dans un trou
Un hibou,

Et l'avaient élevé dans la cour du collége.
Un vieux chat, un jeune oison,

Nourris par le portier, étaient en liaison
Avec l'oiseau; tous trois avaient le privilége
D'aller et de venir par toute la maison.
A force d'être dans la classe,

Ils avaient orné leur esprit,

Savaient par cœur Denys d'Halicarnasse, Et tout ce qu'Hérodote et Tite-Live ont dit. Un soir, en disputant (des docteurs c'est l'usage), Ils comparaient entre eux les peuples anciens. «Ma foi, disait le chat, c'est aux Égyptiens

Que je donne le prix : c'était un peuple sage,
Un peuple ami des lois, instruit, discret, pieux,
Rempli de respect pour ses dieux;

Cela seul, à mon gré, lui donne l'avantage.
J'aime mieux les Athéniens,

Répondit le hibou : que d'esprit! que de grâce!
Et dans les combats quelle audace!

Que d'aimables héros parmi leurs citoyens!
A-t-on jamais plus fait avec moins de moyens?
Des nations c'est la première.

- Parbleu, dit l'oison en colère,

Messieurs, je vous trouve plaisants:

Et les Romains, que vous en semble?
Est-il un peuple qui rassemble

Plus de grandeur, de gloire et de faits éclatants?
Dans les arts, comme dans la guerre,

Ils ont surpassé vos amis.

Pour moi, ce sont mes favoris:

Tout doit céder le pas aux vainqueurs de la terre. >>
Chacun des trois pédants s'obstine en son avis,
Quand un rat, qui de loin entendait la dispute,
Rat savant, qui mangeait des thèmes dans sa hutte,
Leur cria : « Je vois bien d'où viennent vos débats:
L'Égypte vénérait les chats,

Athènes les hibous, et Rome, au Capitole,
Aux dépens de l'État, nourrissait des oisons.
Ainsi notre intérêt est toujours la boussole
Que suivent nos opinions. >>

RE BAILLY.

Le Bailly, naquit à Caen le 4 avril 1758. Son style n'a ni l'élégance ni la gentillesse de celui de Florian; mais il a une simplicité plus vraie et plus franche; il a plus d'abandon, il approche plus du grand modèle, si pourtant quelqu'un en approche; il invente aussi des appellations, il crée aussi des sobriquets, et il les distingue avec une sage parcimonie. Mais où il me semble avoir le mieux retracé la manière de son modèle, c'est dans certaines

pensées, dans certaines saillies, dans de certains traits qu'il laisse échapper avec abandon à travers la narration 1.

LE CHAMEAU ET LE BOSSU.

Au son du fifre et du tambour,
Dans les murs de Paris on promenait un jour
Un chameau du plus haut parage;

Il était fraîchement arrivé de Tunis,
Et mille curieux, en cercle réunis,

Pour le voir de plus près, lui fermaient le passage.
Un riche, moins jaloux de compter des amis
Que de voir à ses pieds ramper un monde esclave,
Dans le chameau louait un air soumis.
Un magistrat aimait son maintien grave,
Tandis qu'un avare enchanté

Ne cessait d'applaudir à sa sobriété.

Un bossu vint, qui dit ensuite :

« Messieurs, voilà bien des propos ;

Mais vous ne parlez pas de son plus grand mérite :

Voyez s'élever sur son dos

Cette gracieuse éminence.

Qu'il paraît léger sous ce poids!

Et combien sa figure en reçoit à la fois
Et de noblesse et d'élégance! >>

En riant du bossu, nous faisons comme lui;

A sa conduite en rien la nôtre ne déroge,

Et l'homme, tous les jours, dans l'éloge d'autrui,
Sans y songer, fait son éloge.

1 Dussault, Annales littéraires, t. 4, p. 234.

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