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Et cependant Bertrand les croque.
Une servante vient: adieu mes gens. Raton
N'était pas content, ce dit-on.

Ainsi ne le sont pas la plupart de ces princes
Qui, flattés d'un pareil emploi,
Vont s'échauder en des provinces
Pour le profit de quelque roi.

LE GLAND ET LA CITROUILLE.

Dicu fait bien ce qu'il fait sans en chercher la preuve En tout cet univers, et l'aller parcourant,

Dans les citrouilles je la treuve.

Un villageois considérant

Combien ce fruit est gros et sa tige menue:
« A quoi songeait, dit-il, l'auteur de tout cela?
Il a bien mal placé cette citrouille-là.

Hé! parbleu, je l'aurais pendue

A l'un des chênes que voilà;

C'eût été justement l'affaire :

Tel fruit, tel arbre, pour bien faire.

C'est dommage, Garo, que tu n'es point entré

Au conseil de celui que prêche ton curé!

Tout en eût été mieux; car pourquoi, par exemple, Le gland, qui n'est pas gros comme mon petit doigt, Ne pend-il pas en cet endroit?

Dieu s'est mépris; plus je contemple

Ces fruits ainsi placés, plus il semble à Garo
Que l'on a fait un quiproquo. »

Cette réflexion embarrassant notre homme :

« On ne dort point, dit-il, quand on a tant d'esprit. >>
Sous un chêne aussitôt il va prendre son somme.
Un gland tombe le nez du dormeur en pâtit;
Il s'éveille, et, portant la main sur son visage,
Il trouve encor le gland pris au poil du menton.
Son nez meurtri le force à changer de langage.
« Oh! oh! dit-il, je saigne! Et que serait-ce donc
S'il fût tombé de l'arbre une masse plus lourde,

Et que ce gland eût été gourde?
Dieu ne l'a pas voulu sans doute : il eut raison:
J'en vois à présent la cause. »
Et, louant Dieu de toute chose,
Garo retourne à la maison.

LE MEUNIER, SON FILS ET L'ANE.

J'ai lu dans quelqu'endroit qu'un meunier et son fils,
L'un vieillard, l'autre enfant, non pas des plus petits,
Mais garçon de quinze ans, si j'ai bonne mémoire,
Allaient vendre leur âne un certain jour de foire.
Afin qu'il fût plus frais et de meilleur débit,
On lui lia les pieds, on vous le suspendit;

Puis, cet homme et son fils le portent comme un lustre.
Pauvres gens! idiots! couple ignorant et rustre !
Le premier qui les vit, de rire s'éclata:

« Quelle farce, dit-il, vont jouer ces gens-là?
Le plus âne des trois n'est pas celui qu'on pense. >>
Le meunier, à ces mots, connaît son ignorance,
Il met sur pied la bête et la fait détaler.
L'âne, qui goûtait fort l'autre façon d'aller,

Se plaint en son patois; le meunier n'en a cure,
Il fait monter son fils, il suit: et, d'aventure,
Passent trois bons marchands. Cet objet leur déplut;
Le plus vieux au garçon s'écria tant qu'il put:
<< Oh là! oh! descendez; que l'on ne vous le dise,
Jeune homme qui menez laquais à barbe grise;
C'était à vous de suivre, au vieillard de monter.
« Messieurs, dit le meunier, il faut vous contenter. >>
L'enfant met pied à terre, et puis le vieillard monte;
Quand trois filles passant, l'une dit : « C'est grand'honte
Qu'il faille voir ainsi clocher ce jeune fils,

Tandis que ce nigaud, comme un évêque assis,
Fait le veau sur son âne et pense être bien sage.
- Il n'est, dit le meunier, plus de veaux à mon âge,
Passez votre chemin, la fille, et m'en croyez. »
Après maints quolibets coup sur coup renvoyés,
L'homme crut avoir tort et mit son fils en croupe.

Au bout de trente pas, une troisième troupe

Trouve encore à gloser; l'un dit : « Ces gens sont fous!
Le baudet n'en peut plus, il mourra sous leurs coups!
Eh quoi! charger ainsi cette pauvre bourrique!
N'ont-ils point de pitié de leur vieux domestique?
Sans doute qu'à la foire ils vont vendre sa peau.
-Parbleu, dit le meunier, est bien fou du cerveau
Qui prétend contenter tout le monde et son père.
Essayons toutefois si, par quelque manière,

Nous en viendrons à bout. » Ils descendent tous deux.
L'âne, se prélassant, marche seul devant eux.
Un quidam les rencontre, et dit : « Est-ce la mode
Que baudet aille à l'aise et meunier s'incommode ?
Qui de l'âne ou du maître est fait pour se lasser?
Je conseille à ces gens de le faire enchâsser.
Ils usent leurs souliers et conservent leur âne.
Nicolas, au rebours: car, quand il va voir Jeanne,
Il monte sur sa bête, et la chanson le dit.
Beau trio de baudets! » Le meunier repartit :
« Je suis âne, il est vrai; j'en conviens, je l'avoue;
Mais que dorénavant on me blâme ou me loue,
Qu'on dise quelque chose, ou qu'on ne dise rien,
J'en veux faire à ma tête. » Il le fit, et fit bien.

Quant à vous, suivez Mars, ou l'Amour, ou le prince;
Allez, venez, courez, demeurez en province;
Prenez femme, abbaye, emploi, gouvernement :
Les gens en parleront, n'en doutez nullement.

LES ANIMAUX MALADES DE LA PESTE.

Un mal qui répand la terreur,

Mal que le Ciel en sa fureur

Inventa pour punir les crimes de la terre:
La peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom),
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,

Faisait aux animaux la guerre.

Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés. On n'en voyait point d'occupés

A chercher le soutien d'une mourante vie :

Nul mets n'excitait leur envie :
Ni loups ni renards n'épiaient
La douce et l'innocente proie;
Les tourterelles se fuyaient :

Plus d'amour, partant plus de joie.
Le lion tint conseil, et dit : « Mes chers amis,
Je crois que le Ciel a permis

Pour nos péchés cette infortune :
Que le plus coupable de nous
Se sacrifie aux traits du céleste courroux,
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents,
On fait de pareils dévoûments.

Ne nous flattons donc point; voyons sans indulgence
L'état de notre conscience.

Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons,
J'ai dévoré force moutons :

Que m'avaient-ils fait? nulle offense;
Même il m'est arrivé quelquefois de manger
Le berger.

Je me dévourai donc, s'il le faut; mais je pense
Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi;
Car on doit souhaiter, selon toute justice,
Que le plus coupable périsse.

« Sire, dit le renard, vous êtes trop bon roi;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse :
Eh bien! manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché? Non, non. Vous leur fites, seigneur,
En les croquant, beaucoup d'honneur.

Et quant au berger, l'on peut dire
Qu'il était digne de tous maux,

Etant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire. >>

Ainsi dit le renard, et flatteurs d'applaudir.
On n'osa trop approfondir

Du tigre, ni de l'ours, ni des autres puissances,
Les moins pardonnables offenses :

Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples matins,
Au dire de chacun, étaient de petits saints.

L'âne vint à son tour, et dit : « J'ai souvenance

Qu'en un pré de moines passant,
La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et, je pense,
Quelque diable aussi me poussant,

Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net. »

A ces mots, on cria haro sur le baudet.

Un loup, quelque peu clerc, prouva par sa harangue
Qu'il fallait dévouer ce maudit animal,

Ce pelé, ce galeux d'où venait tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l'herbe d'autrui! quel crime abominable!
Rien que la mort n'était capable

D'expier son forfait. On le lui fit bien voir.

Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

LA MOTTE-HOUDALT.

La Motte-Houdart naquit à Paris le 17 janvier 1672, et mourut dans cette même ville, étant aveugle, le 26 décembre 1731. Il n'est pas un genre de littérature qu'il n'ait voulu traiter il composa des fables, des odes, des églogues, des opéra, des comédies et des tragédies. Ses écrits montrent la finesse de son esprit et la fécondité de son imagination; mais on y rencontre trop d'idées métaphysiques, de faux jugements, de paradoxes et de frivolités. Ses apologues n'ont ni le naturel, ni la noble et élégante simplicité qui caractérise ce genre de poésie, et cependant ils sont originaux et ingénieux.

LA PIE.

Un traitant avait un commis,
Le commis un valet, le valet une pie.
Quoique de la rapine ils fussent tous amis,
Des quatre l'animal était la moins harpie :
Le financier en chef volait le souverain,
Le commis en second volait l'homme d'affaire,
Le valet grappillait : il eût voulu mieux faire;

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