Page images
PDF
EPUB

Vos bords vont répéter les chants de mes douleurs.
Dieu des cieux que j'implore, exauce ma prière !
De nos princes trompés dissipe les erreurs,
Permets que ma voix libre et fière

Au nom de la patrie attendrisse leurs cœurs!
Qu'à leurs yeux dessillés j'apporte la lumière;
Fais que mes chants soient écoutés,

Que les sons de ma lyre, en pénétrant les âmes,
Des vertus y lancent les flammes

Et les rayons des vérités.

O ma chère Italie! à quel affreux ravage
La main de tes enfants se plaît à te livrer!
Si de ton propre sang tes malheurs sont l'ouvrage,
Dieu! qui pourra t'en délivrer?

C'est vous dont la discorde, en ravage féconde,
Perd le plus beau pays qu'éclaire l'œil du monde.
Quel déplorable aveuglement

De haïr ses voisins, de déchirer ses frères,
D'insulter à leurs pleurs, d'accabler leurs misères,
D'immoler son pays à son ressentiment!

Vous cherchez loin de vous des soutiens mercenaires,
Qui, sortis de leurs vils repaires,

Trafiquent de leur sang, vendent leur âme à prix;
Et je n'en parle point par haine ou par mépris :
La seule vérité préside à mon langage.

Ah! du moins puissent mes écrits,*

Si la vérité vous outrage,

Par cette utile offense enflammer vos esprits!

Quels champs à l'étranger livrez-vous sans défense?
N'est-ce point le berceau chéri
Où, dans les jours de mon enfance,
Je fus si doucement nourri?

N'est-ce point la terre sacrée

Où j'imprimai mes premiers pas ?

D'un père plein de jours, d'une mère adorée,
Là repose la cendre: ah! ne les troublez pas.
O vous dont nous pleurons les discordes cruelles,
De nos douleurs ayez pitié!

Quittez vos haines mutuelles,
Repoussez le secours d'un parjure allié :

Dites un mot, tout change et tout est expié.
Vous verrez de ce peuple opprimé, dans les larmes,
Naître un peuple vengeur, s'il ressaisit ses armes.
Le fer libérateur brillera dans leur main.
Du perfide étranger les fureurs sont vaines,
Et vous verrez que dans leurs veines
Coule encore le sang romain.

Princes, pensez à vous! le Temps impitoyable
Vous conduit au jour redoutable
Où l'âme, rappelant en vain

Ses erreurs, ses grandeurs passées,
Se sentant dépouiller de toutes ses pensées,
S'avance nue aux pieds de son juge divin.
Pourrez-vous de ce juge implorer la clémence,
Vous, les bras teints de sang, armés par la vengeance?
Dans la sérénité des cieux,

De vos cœurs les brûlants orages

Troubleraient le séjour sans ombre et sans nuages,

Où sur son trône assis siége le Dieu des dieux.
Ah! ce n'est point ainsi qu'il vous faut comparaître :
Présentez à ce Dieu, qui vous attend peut-être,
La pitié, le pardon, premières des vertus,

Les pleurs de tout un peuple attestant votre gloire,
Vos noms vivant dans sa mémoire,

Les malheurs réparés, les bienfaits répandus;
Voilà de quel cortège une âme environnée

Franchit le seuil des cieux qui s'ouvrent à l'instant,
Et, de leurs rayons couronnée,

S'élève de la terre à ce Dieu qui l'attend!
O mes vers, des combats l'appareil homicide
A trop su m'enflammer contre un vainqueur perfide!
Craignez que par vos chants il ne soit irrité :

Les tyrans ont toujours haï la vérité.
Mais s'il est encor sur ces rives

Quelques généreux citoyens,
Offrez-leur vos rimes plaintives;

Qu'à leurs vœux s'unissent les miens.

Hélas! de leur âme éclairée

En vain vous serez entendus.

Pour la multitude égarée,

Les reproches, les pleurs, les conseils, sont perdus.
La guerre est le seul mot qui sorte de leurs bouches :
Unis par la fureur, armés pour les forfaits,

Ils n'entendent que moi parmi leurs cris farouches,
Dont la voix solitaire implore encor la paix.

(Traduction de Saint-Geniès.)

A RIENZI.

Entends l'auguste voix de ces murs que j'adore,
Que l'univers chérit et qu'il redoute encore,
Lorsque l'antique effroi qu'inspiraient les Romains
Fait encore à leur nom tressaillir les humains!
Ils t'implorent, ces murs: écoute leur prière.
Tu vois ces monuments couchés sur la poussière ;
Mais aux cœurs généreux que leurs débris sont chers!
Ils protégent la cendre, et gardent la mémoire
De ces héros de qui la gloire

Doit vivre autant que l'univers.

Prêts à se relever, tous ces débris t'attendent,
Et de ces grands héros les ombres te demandent.
O månes généreux des Catons, des Brutus,
Quel triomphe pour vous lorsqu'un récit fidèle
Vous dit tout ce que doit votre ville immortelle
A ce jeune héritier des antiques vertus!

Vois ces fils orphelins, ces veuves gémissantes,
Ces mères, ces vierges tremblantes;

Vois ces vieillards désespérés ;

Vois ces pontifes éplorés,

Soldats du Dieu de paix, sans défense et sans armes, Prêtres, enfants, vieillards, tout un peuple en alarmes Tombant en foule à tes genoux

Et les arrosant de ses larmes.

O héros! notre appui, dit-il, protége-nous !
Tu les vois à tes pieds le front dans la poussière.

Voilà donc ces Romains, race jadis si fière!
Les fils des Scipions! L'excès de leurs douleurs
Aux yeux d'Annibal même arracheraient des pleurs.
Oh! si ta main victorieuse

Pouvait les relever d'un tel abaissement!

Si Rome, par tes soins, respirait un moment
A l'ombre de ton bras, tranquille et glorieuse !
Oh! combien, illustré par un tel souvenir,
Ton nom retentirait dans l'immense avenir!
Mille ans sont écoulés depuis que dans son sein
Rome n'enfante plus de ces âmes divines

Qui portèrent si haut l'honneur du nom romain:
Les cœurs, comme les murs, sont tombés en ruines,
Et de ces demi-dieux les fils dégénérés

Osent, enfants dénaturés,

Outrager cette auguste mère!

Porte-lui les secours d'un époux et d'un père;

Que tes lauriers soient sa couronne,
Que ton bras soit pour elle un rempart assuré.

Ma muse avec délices

D'un si noble avenir annonce les prémices.

Volez vers le mont Tarpéien,

Vous verrez un grand homme, un guerrier citoyen, L'espoir du peuple roi, le fils de la victoire;

Je ne connais de lui que son nom et sa gloire,

Mais sa gloire et son nom ont enflammé mon cœur.

Dites à ce noble vainqueur

Qu'il est des vrais Romains la plus chère espérance, Que de lui l'Italie attend sa délivrance.

Rome lève vers lui ses yeux mouillés de pleurs

Dont elle arrose ses ruines.

O mes vers! portez-lui ce long cri de douleurs
Qui s'élève des sept collines.

(Traduction de Saint-Geniès.)

MANZONI.

Alexandre Manzoni, romancier, dramaturge et poëte lyrique, le plus beau génie de l'Italie au XIXe siècle, composa plusieurs hymnes sacrées qui sont pleines de vie et d'enthousiasme. Les chœurs de ses tragédies sont des productions éminemment remarquables. On ne sait ce que l'on y doit admirer le plus, de la vérité, de la chaleur des sentiments, de l'élévation et de la force des idées, ou d'une expression si vive et si franche qu'elle semble l'inspiration de la nature, et cependant si élégante, si harmonieuse, que l'art n'a rien à y ajouter.

CHOEUR DU IVe ACTE D'ADELGHIS.

Les tresses pendantes de ses cheveux, éparses sur son sein oppressé, les bras défaillants, le visage humide de la sueur du trépas, Hermangarde est étendue sur sa couche, cherchant le ciel d'un regard qui s'éteint.

Les lamentations cessent, un concert de prières s'élèvent autour d'elle; tandis que, suspendue sur son front glacé, une main légère étend le dernier voile sur l'azur céleste de ses yeux.

Elève, & douce âme tourmentée! élève à Dieu une pensée qui soit pour lui; résigne-toi et meurs; c'est hors de la vie qu'est le terme de ton long martyre. Hélas! durant les nuits sans sommeil, sous les voûtes muettes du cloître, à la face des autels, au son des cantiques des vierges, il lui revenait sans cesse à la pensée le souvenir redouté de ces jours où, chérie encore, et sans pressentiment de l'avenir, elle respira avec ivresse l'air vivace du pays des Francs, et apparut au milieu des femmes saliennes, objet d'envie pour elles toutes.

O souvenirs! ô Meuse vagabonde! ô tièdes sources d'Aquisgran, où, dépouillant sa cuirasse hérissée de mailles, ton souverain aimait à déposer la noble sueur des combats... Mais chasse, ô douce âme tourmentée, chasse ces souvenirs de la terre: élève vers Dieu une pensée qui soit pour lui; résigne-toi

« PreviousContinue »