Page images
PDF
EPUB

tard, ils auront à gémir ceux-là qui laissent leur rosée du matin se fondre aux rayons des grands, pensant qu'ils reviendront les rafraîchir au soir de la vie.

Dans les forêts du nord, on trouve des insectes qui rongent la cervelle du cerf jusqu'à ce qu'il expire. O génie ! tes patrons, plus cruels encore, se nourrissent de ta substance, et puis te laissent mourir!

LYRIQUES ALLEMANDS.

KLOPSTOCK.

Klopstock a composé des odes religieuses, des odes patriotiques, et d'autres pleines de grâce sur divers sujets. Dans ses odes religieuses, il sait revêtir d'images visibles les idées sans bornes; mais quelquefois ce genre de poésie se perd dans l'incommensurable qu'elle voudrait embrasser. Parmi les odes de Klopstock, celles qui ont la révolution de France pour objet ne valent pas la peine d'être citées 1. (Voyez, à la Poésie épique, la Notice sur Klopstock.)

LES DEUX MUSES.

J'ai vu... oh! dites-moi, était-ce le présent que je voyais ou l'avenir? j'ai vu dans la lice la Muse allemande avec la Muse anglaise s'élancer vers une couronne.

A peine distinguait-on deux buts à l'extrémité de la carrière; des chênes ombrageaient l'un; autour de l'autre, des palmiers se dessinaient dans l'éclat du soir.

Accoutumée à de semblables luttes, la Muse d'Albion descendit fièrement dans l'arène, ainsi qu'elle y était venue; elle y avait jadis concouru glorieusement avec le fils de Méon, le chantre du Capitole.

Elle jeta un coup d'œil à sa jeune rivale, tremblante, mais avec une sorte de noblesse, dont l'ardeur de la victoire enflammait les joues, et qui abandonnait aux vents sa chevelure d'or.

Déjà elle retient à peine le souffle resserré dans sa poitrine ardente, et se penche avidement vers le but... La trompette déjà

1 Madame de Staël.

résonne à ses oreilles, et ses yeux dévorent l'espace; fière de sa rivale, plus fière d'elle-même, la Bretonne mesure encore des yeux la fille de Thuiskon. « Je m'en souviens, dit-elle, je naquis avec toi chez les Bardes dans la forêt sacrée.

>> Mais le bruit était venu jusqu'à moi que tu n'existais plus : pardonne, ô Muse, si tu es immortelle ! pardonne-moi de l'apprendre si tard; mais au but j'en serai plus sûre. Le voici làbas!... Le vois-tu dans le lointain avec sa couronne ?... Oh! ce courage soutenu, cet orgueilleux silence, ce regard qui se fixe à terre tout en feu... je le connais !

>> Cependant réfléchis encore avant que retentisse la trompette du héraut... C'est moi, moi-même, qui luttai naguère avec la Muse des Thermopyles, avec celle des sept collines! >> Elle dit. Le moment suprême est venu, et le héraut s'approche: «Muse bretonne, s'écrie, les yeux ardents, la fille de la Germanie, je t'aime, oh! je t'aime en t'admirant!...

>> Mais moins que l'immortalité, moins que la palme de la victoire Saisis-la avant moi, si ton génie le veut; mais que je puisse la partager et porter aussi une couronne, et... Quel frémissement m'agite!... Dieux immortels! si j'y arrivais la première à ce but éclatant! alors je sentirais ton haleine agiter de bien près mes cheveux épars! >>

Le héraut donna le signal... Elles s'envolèrent, aigles rapides, et la poussière, comme un nuage, les eut bientôt enveloppées... Près du but, elle s'épaissit encore, et je finis par les perdre de vue.

DIEU DANS L'ORAGE.

Mes yeux, répandez de nouveau des larmes de joie, et toi, ma harpe, exalte le Seigneur; ma harpe est de nouveau entourée de rameaux de palmier : je chante le Seigneur !

Me voici. Tout ce qui m'environne marque sa toute-puissance; tout est merveille! Rempli d'un profond respect, je contemple l'univers; car toi qui n'as pas de nom, tu l'as créé. Vents qui soufflez autour de moi, qui versez la fraîcheur sur mon visage embrasé, vents merveilleux, c'est le Seigneur qui yous envoie, c'est l'infini,

Mais voilà les vents qui se calment; à peine respirent-ils encore. Le soleil du matin s'offusque, de sombres nuages se roulent en avant. C'est visiblement l'Eternel qui vient. Cependant les vents déchaînés forment des tourbillons sur la terre et sifflent dans les airs. Comme la forêt tremblante s'incline! comme le fleuve agité se soulève! Tu es visible aux mortels autant que tu peux l'être; oui, tu es visible, être infini! La forêt baisse ses cimes, le fleuve précipite ses flots! et moi je ne me prosterne point le front contre terre! Seigneur! Seigneur! Dieu miséricordieux! tu t'approches, aie pitié de moi!

Seigneur, es-tu courroucé lorsque la nuit forme son vêtement? Mais cette nuit porte dans son sein la bénédiction de la terre! Non, mon père, tu n'es point courroucé. Elle vient répandre la fraîcheur sur l'épi doré, sur la grappe riante! O mon père! tu n'es pas courroucé! Tout est calme à ton approche, tout est dans le silence. Voyez-vous ce nouveau témoignage du Seigneur qui paraît? voyez-vous l'éclair qui serpente dans les airs? entendez-vous au haut du nuage le tonnerre du Seigneur? D'une voix terrible, il dit : Jéhovah! Jéhovah! Et la forêt, frappée de la foudre, fume.

Mais non pas notre demeure! Notre père a ordonné à son destructeur de passer devant notre demeure. Ah! déjà, déjà le ciel et la terre reçoivent une pluie bienfaisante!

Voyez, voilà que Jéhovah ne vient plus dans l'orage; Jéhovah vient dans le frémissement des vents doux, et sous lui s'incline l'arc de paix.

ANNE LOUISE KAKSCE.

Anne Louise Karsch naquit en 1722 sur les frontières de la Basse-Silésie. Son éducation et les occupations de sa jeunesse furent conformes à l'infériorité de sa naissance. Plus tard elle éprouva de grands malheurs ; mais la force de son caractère et son imagination ardente lui faisaient surmonter tous les obstacles. Ses poésies sont pleines d'enthousiasme. Elle n'avait, comme elle le disait elle-même, qu'à prendre le ton et saisir le mètre : à l'instant tout le poëme coulait sans peine, sans effort; et les pensées ainsi que les expressions les plus heureuses naissaient sous sa plume.

DE LA CONFIANCE EN DIEU.

Dieu est encore notre Dieu. Remplie d'une sainte terreur, je le nomme, ô mon ami, le Dieu des prodiges! La guerre désole notre pays, cependant il nous donne du pain, et sa bonté couronne l'année.

L'ennemi, dans son insatiable avidité, dévora trois de nos moissons; puis, fuyant le courroux de Frédéric, il emporta dans sa bouche notre dernier morceau. Cependant il nous reste de l'huile et du froment.

Animé d'une fureur barbare, il a dépouillé le laboureur du dernier vêtement de toile qui couvrait ses épaules. Cependant il est un Dieu qui, des magasins de ses bénédictions, donne au pauvre de la nourriture et des habits.

Combien de milliers de nos guerriers, ainsi que l'herbe de la vallée, ont été moissonnés par le tranchant de l'épée! Souvent le Seigneur, en inspirant du courage à nos destructeurs, semblait nous rejeter de sa présence.

Cependant nous vivons; cependant nos armées, fortes et courageuses, vont encore défier l'ennemi! Un enfant se rit de la lance et du bouclier d'un géant, et le terrasse, si Dieu l'ordonne.

Remplis de confiance en notre Dieu, nous attendons son secours, et son secours nous arrive.

Les éclairs déchiraient les nues, sans qu'on entendit éclater le tonnerre Dieu dit, et la tempête était dissipée. C'est ainsi qu'il a dit à la mer en furie : «Arrête-toi là ; » et le flot superbe ne passe point ces limites!

C'est ainsi qu'il dit à la tempête de la guerre, et elle lui obéit comme la mer! Je chanterai alors un cantique au Seigneur : ainsi jadis la prophétesse Miriam chantait à la face de son peuple les actions de l'Eternel!

« PreviousContinue »