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CHANT DES PIRATES.

Sur les plaines riantes d'un océan d'azur, où l'âme se sent libre, où la pensée n'a point de bornes, aussi loin que peut nous porter le souffle des vents et que mugit la vague écumante, nous parcourons notre empire, nous contemplons notre demeure. La mer est notre domaine; point de limites à notre puissance; notre pavillon est le sceptre auquel obéissent tous ceux qui paraissent devant nous. Vivre indépendants au gré de nos caprices, et passer des fatigues au repos en changeant de plaisir, voilà notre destinée. Oh! qui peut dire... ce n'est pas toi, esclave voluptueux, dont le cœur se soulève sur la vague écumante... qui peut dire, si ce n'est celui qui l'a éprouvé, qui a tressailli de joie sur l'immensité des eaux, qui peut dire les transports, les ravissements qui font battre le cœur du voyageur errant dans ce désert sauvage? La mort, nous ne la craignons pas, pourvu que l'ennemi tombe avec nous... qu'elle vienne quand elle voudra. Nous savourons les jouissances de la vie, et, quand nous la perdons, qu'importe que ce soit par les maux ou dans la guerre ? Que celui qui préfère une longue agonie se roule sur sa couche, languisse des années entières, pousse une pénible haleine et secoue sa tête débile; à nous le frais gazon, et non le lit efféminé. Au milieu de douloureux sanglots, il rend lentement son âme; la nôtre, d'un seul coup, d'un seul bond, s'élance hors de la vie. Son cadavre peut s'enorgueillir de son urne et de son étroit tombeau; ceux qu'il a fatigués durant sa vie pourront orner son sépulcre. Pour nous sont quelques larmes sincères quand l'Océan s'entr'ouvre et ensevelit nos morts. Aux banquets de l'amitié, la coupe vermeille inspire encore de fidèles regrets pour notre mémoire; une courte épitaphe honore notre nom au jour du danger, quand les vainqueurs partagent leur proie et s'écrient, le front voilé d'une sombre tristesse : « Combien se réjouirait maintenant le brave qui n'est plus! »>

ADIEU DU POËTE.

Corsaire, ch. 1.

Ma tâche est finie; mes chants ont cessé; ma voix fait retentir l'écho pour la dernière fois. Il est temps d'interrompre

un rêve trop prolongé ; il faut éteindre la lampe qui m'éclaira pendant les ombres de la nuit... Ce qui est écrit est écrit... Que n'ai-je mieux fait! Mais je ne suis plus ce que j'ai été; mes visions voltigent plus transparentes autour de moi, et le feu qui inspira mon âme tremble, s'éteint et s'évanouit.

Adieu, ce mot doit être et fut toujours un son qui nous afflige... Adieu, cependant, ô vous, qui avez suivi mon pèlerin jusque dans son dernier voyage! Si votre mémoire conserve une seule de ses pensées, si vous tenez à un de ses souvenirs, ce ne sera pas en vain qu'il aura porté les sandales et le capuchon orné de coquillages. Adieu! que le regret ne soit que pour lui, s'il en est un ; et vous, profitez de la morale de ses chants.

THOMAS MOORE.

On a dit de Thomas Moore que c'était un esprit aérien descendu du soleil et voltigeant de côté et d'autre à la recherche de sa patrie, source de chaleur et de lumière. L'imagination de ce poëte ne recule devant rien, et dans ses inspirations les plus excentriques, il n'oublie jamais le bon goût. Il est à la fois aimable et fier, gracieux et hardi, tendre et sublime; c'est l'Anacréon de l'Angleterre; c'est le Tyrtée de l'Irlande; c'est encore le prophète assis sur les ruines de sa patrie et faisant entendre ses tristes lamentations. Thomas Moore est né à Dublin le 28 mai 1780.

A L'IRLANDE.

Me souvenir de toi! oh! oui; tant qu'il y aura de la vie dans mon cœur, jamais il ne t'oubliera, si délaissée que tu sois : plus chérie dans ta douleur, ton obscurité, tes orages, que le reste du monde à ses heures les plus brillantes.

Si tu étais tout ce que je désire, grande, glorieuse, libre, la première fleur de la terre, la première perle de l'Océan, je te saluerais, l'orgueil du bonheur sur le front; mais t'aimer plus que je ne t'aime aujourd'hui, mon cœur le pourrait-il?

Non, ton sang qui coule, tes chaînes qui se rouillent te rendent plus douloureusement cher à tes enfants. Comme les petits de l'oiseau du désert, ils boivent l'amour dans chaque goutte de vie qui tombe de ton cœur.

LE JEUNE MÉNESTREL.

Lejeune ménestrel est parti pour la guerre, vous le trouverez dans les rangs des braves moissonnés par la mort. Il ceignit l'épée de son père et plaça sur son épaule sa lyre aux accents sauvages terre de poésie, dit le barde guerrier, quand l'univers entier te trahirait, une épée te resterait pour défendre tes droits, et une lyre fidèle pour chanter ta gloire.

Le ménestrel succomba, mais les chaînes de l'ennemi ne purent captiver son âme superbe : la lyre qu'il aimait ne parla plus jamais; il en brisa les cordes en lui disant : Esprit d'amour et de courage, les chaînes ne te flétriront pas; tes chants furent composés pour les âmes pures et libres; ils ne retentiront pas dans l'esclavage.

ODE SUR L'IRLANDE,

ADRESSÉE A LA COUR.

Oh! ne blâmez pas le barde, s'il vole aux bocages, où le plaisir, nonchalamment étendu, sourit à une vaine renommée: il était né pour de plus grandes choses, et dans des heures plus heureuses, son cœur aurait brûlé d'une flamme plus sainte; la corde qui, maintenant détendue, languit sur sa lyre, aurait fait plier l'arc pour la flèche du guerrier, et les lèvres qui soupirent l'hymne de la douleur auraient versé à flots les accents d'un cœur dévoué à la patrie.

Mais son pays, hélas! n'a plus le même orgueil! Cette âme fière est brisée, qui ne voulut jamais fléchir. Sur les ruines, ses enfants vont gémir en silence; car l'aimer, c'est trahir! la défendre, c'est mourir! Ses fils sont méprisés, s'ils n'ont pas appris à trahir. Ils vivent sans honneurs, s'ils ne rougissent pas de leurs pères, et la torche qui doit les éclairer dans le chemin de la gloire doit être pris au bûcher où leur pays expire.

Ne blâme donc pas le barde, si, dans les rêves enivrants du plaisir, il cherche à oublier des maux qu'il ne peut guérir. Oh! seulement une lueur d'espérance!.... Qu'un rayon de lumière vienne à briller au milieu de ces ténèbres.... et puis voyez battre son cœur! Il déposera devant l'autel de la patrie les affections qui le captivent, les plaisirs qui le séduisent, et le myrte qui maintenant ombrage son front, comme la guirlande d'Harmodius couvrira son glaive.

Mais bien qu'il n'y ait plus de gloire, bien qu'il n'y ait plus d'espérance, ton nom, chère Irlande, vivra dans ses vers. A l'heure même où le plaisir enivrera son cœur, il ne perdra ni ton souvenir ni celui de tes outrages. L'étranger, dans ses campagnes, entendra tes gémissements; le soupir de ta harpe retentira par delà les mers; et tes maîtres eux-mêmes, alors qu'ils riveront tes chaînes, s'arrêteront à la voix de leur captif, et pleureront.

(Mélodies.)

SUR LA MORT DE SHERIDAN.

Oui, la douleur éclatera! mais aux torrents de larmes se mêleront de profondes ímprécations contre ceux qui, réchauffés aux rayons brillants de ce soleil à son midi, l'ont laissé triste et solitaire à son coucher;

Dont la vanité voltigeait autour de lui, en ses beaux jours d'été, pour se nourrir du parfum de sa renommée; dont la vanité, aujourd'hui attirée par l'odeur de la mort, comme ces spectres de l'Orient qui hantent les sépultures, vient se nourrir à son tombeau.

Oh! le cœur est malade de voir des poitrines aussi vides et des esprits aussi vils dans ces grands et ces gens de haute lignée, de penser au long cortége de ces nobles seigneurs accompagnant les restes de celui qui mourut délaissé, sans amis !

Comme ils seront fiers de se presser au convoi funèbre de l'homme qu'ils ont fui au jour des douleurs et de l'agonie! Aujourd'hui les prévôts peuvent venir prendre son dernier vêtement, et demain son drap mortuaire sera porté par les nobles.

Et toi aussi, dont la vie sans dignité ni principe, rêve d'un épicurien malade, eût passé plus dégradée encore sans ces rayons de chaleur bienfaisante que son âme grande et généreuse versa sur ton néant;

Non, je n'aurais pas voulu, pour toutes les richesses de cette terre qui répand ses millions devant l'idole de ta vanité; non, pour toute l'opulence de ceux qui te méprisent, - et cependant les trésors de l'Europe seraient à moi;

Je n'aurais pas voulu, même avec une âme aussi vile que la tienne, avoir au cœur ce remords poignant qui dut déchirer le tien, quand cette aumône, qui fut enfin arrachée à tes mains par la honte, et qui trouva le génie au terme de sa détresse, te fut renvoyée.

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Ce fut donc là le destin, la postérité le dira, quand certains noms ne vivront plus que dans les malédictions de l'histoire, et que ces seigneurs d'un jour seront oubliés comme des insensés, ou rappelés sous un nom pire encore;

Ce fut donc là le destin de cette âme si richement dotée, l'orgueil de la cour, du monde, des tribunaux ; de l'orateur, du dramaturge, du ménestrel, qui parcourut toutes les cordes de la lyre et sut régner sur toutes;

Dont le génie, harmonieusement formé de la fleur la plus pure et la plus belle des facultés humaines, savait, comme un enchanteur, gouverner le monde du cœur, lui donnant à son gré la sérénité ou les orages;

Dont la gaieté vive et gracieuse se jouait avec sa pensée, et brillait de mille couleurs, comme le papillon léger qui voltige autour de la lumière; dont l'esprit lançait dans les combats de la parole des traits brillants et rapides, sans aller jamais se souiller en perçant le cœur d'un rival;

Dont l'éloquence, animant tout ce qu'elle touchait, les graves pensées de la raison, comme les saillies joyeuses de l'imagination, roulait en flots aussi impétueux, aussi profonds, aussi étincelants qu'en souleva jamais la liberté.

Qui, tel fut l'homme, et tel fut son destin! Et ainsi, tôt ou

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