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qu'il effaça par sa bonne mine; rasé, les che veux poudrés, avec un habit garni de diamans, ainsi que son épée; cette épée si redoutable (1), plus accoutumée aux honneurs de la Victoire qu'aux parures de la Cour. Après le mariage, M. le Prince s'en revint à Chantilly.

La retraite de ce Grand-Homme ne ressem- 1680 ble point à celle de ces ambitieux, à qui le hasard a fait jouer un grand rôle, et qui, sur la fin de leurs jours, veulent afficher la philosophie, pour dérober le changement de leur existence aux yeux d'un monde qu'ils regrettent en secret, et dont leur orgueil ne peut plus soutenir les regards. Condé ne confondit point le repos avec la solitude; il était de sa destinée d'illustrer tous les théâtres dont il remplissait la scène, et les hommages de l'Europe le suivirent à Chantilly comme à la tête des Armées.

ARRIVÉ dans ce beau lieu que la Nature semblait avoir destiné pour la retraite d'un GrandHomme, il s'occupa du soin de l'embellir

(1) Cette épée a été conservée dans toute sa simplicité dans le Cabinet des armes à Chantilly; on lisait au dessous une Inscription latine de Santeuil..

(Note de l'Auteur.)

encore, et son goût naturel pour le jardinage so trouva un peu plus à l'aise que quand il cultivait des pots d'œillets dans sa prison de Vin→ cennes. Tous les changemens qu'il fit, tous les ouvrages qu'il créa, portent l'empreinte de son génie; les petites choses ne se présentaient jamais à son idée, et rien ne lui paraissait agréable, que ce qui portait le caractère de la noblesse et de la grandeur.

L'ELEVATION de son ame ne se manifesta pas moins dans le choix de sa société. Chantilly rassemblait alors ce qu'il y avait d'illustre dans tous les genres, Généraux, Magistrats, Négociateurs, Gens de Lettres, Artistes, y étaient indistinctement admis, et même desirés, pourvu qu'ils eussent du mérite. M. le Prince ne trouvait au dessous de lui que la médiocrité; supérieur dans plus d'un genre, instruit dans tous, le Héros s'entretenait avec Créquy, Luxembourg ou Chamilly; l'homme d'État, avec d'Estrade, Barillon, Polignac le Prince instruit dans les Lois, avec Boucherat ou Lamoignon; le connaisseur, avec Mansard, le Notre on Coisevox; l'homme éloquent avec Bossuet et Bourdaloue; le Philosophe, avec la Bruyère et la Rochefoucaud

l'Homme de Lettres avec Boileau, Racine, Santeuil, la Fare, Mademoiselle de Scudéry, Madame de la Fayette, et quantité d'au¬ tres gens de talens et de mérite dans tous les genres, à qui la Postérité croit rendre un hom, mage de plus, en se rappelant qu'ils étaient de la Société de ce Grand Prince. Elle avait perdu depuis quelque temps le célèbre Molière, mort en 1673, et que ce Prince aimait beaucoup. Un Rimailleur qui ne cessait de l'assommer de ses ennuïeuses productions, vint lui présenter un jour l'épitaphe de cet illustre Écrivain : « Ah! >> mon ami, lui dit le Prince, je t'avouerai >> franchement que j'aimerais bien mieux que » Molière me présentât la tienne. » Les Ennuïeux lui étaient sur-tout insupportables. II existait de son temps, à Paris, un homme de ce genre, et qu'il trouvait odieux par cette raison. Un jour que cet homme s'empressait près de lui, le Prince ne put s'empêcher de dire, dans la conversation: si j'avais connu deux hommes pareils en France, je crois, en vérité, que je n'aurais jamais pu me décider à y rentrer.

Au milieu de ces occupations, si propres à 1684 charmer sa retraite, Condé n'oublia point lą

1682.

plus nécessaire et la plus satisfaisanté de toutes,
la bienfaisance. Les malheureux l'approchaient
avec confiance, et se retiraient contens; il n'at-
tendait pas les cris de l'indigence, il la cher-
chait pour la soulager; et le bonheur extrême
de faire des heureux, en fut un plus grand pour
lui
que tout l'éclat de sa gloire.

LA maladie du Maréchal de Grammont pour qui ce Prince avait toujours conservé la plus tendre amitié, vint l'arracher aux charmes de la vie paisible qu'il menait ; il vole de suite auprès de son Ami, lui prodigue ses veilles et ses soins ; il ne s'occupe, sans cesse, qu'à rassurer le malade, à tranquilliser sa Famille, mettre les Médecins d'accord, et ce fut à l'assiduité du plus tendre des Amis, que le Maréchal dut son rétablissement. M. le Prince, alors, revint ensuite à Chantilly, reprendre ses occupations ordinaires. Il s'en fit une aussi noble qu'utile, de présider à l'éducation de son PetitFils, le Duc de Bourbon, qui se montra dans la suite digne élève d'un tel Maître. Il fit des prodiges de valeur à Steinkerque, et détermina la victoire de Nerwinde.

LOUIS XIV, attentif à tout ce qui pouvait ajouter à la grandeur à laquelle il voulait élever

ses enfans légitimes, desira le Duc de Bourbon pour Mademoiselle de Nantes, et les Princes se firent un devoir de marquer à ce Grand Roi leur respect et leur soumission; le Mariage se fit, et cette Alliance parut augmenter les bontés et l'attachement de Louis XIV pour cette Branche de sa Maison. Il donna au Duc de Bourbon la survivance de la charge de GrandMaître de France, et du Gouvernement de Bourgogne, et vint à Chantilly avec toute la Cour. M. le Prince l'y reçut avec autant de grandeur et de magnificence qu'en 1671, quand 1683. le Roi lui fit le même honneur.

S'IL est un âge où le dégoût du Monde et la nécessité ramènent au repos, il en est un plus avancé, où notre raison, et plus souvent encore nos infirmités, nous avertissent d'une fin prochaine; alors, l'ambition d'exister, l'horreur du néant, et l'audacieuse fécondité de notre imagination, portent nos idées au-delà d'un Monde où nous sentons que nous allons bientôt cesser d'exister. Les idées de Religion fortement imprimées dans nos organes naissans, étouffées par les passions à mesure qu'ils se fortifient, se reproduisent aisément lorsque ces mêmes organes commencent à s'affaiblir.

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