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de voir l'Archevêque de cette ville, frère du Cardinal, Le Ministre impérieux s'en plaint au Prince de Condé qui fait repartir son fils surle-champ, uniquement pour aller réparer ce qui avait tant déplu au Cardinal. Le Ministre était implacable et tout puissant, le Prince idolâtrait son fils: la nature parla dans cette occasion, et la dignité se tut.

RICHELIEU meurt; les deux Princes réclament sur-le-champ les droits de leur naissance, et font assurer aux Princes du Sang, sur les Cardinaux, une préséance que le feu Car1643. dinal avait usurpée. Louis XIII déclara le Prince

de Condé, chef des Conseils, et donne au Duc Le Grand- d'Enghien le commandement de l'armée qui Condé devait couvrir la Champagne et la Picardie. Les commande- ennemis paraissent d'abord menacer cette derment de nière province; mais bientôt ils se décident à se

obtient le

l'Armée de porter sur la Champagne, dont les places, en

Champagne

et de

mauvais état, semblaient leur promettre des Picardie. succès plus faciles, et mettent le siège devant Rocroi. Le Duc d'Enghien apprend à Joigny

Siége de Rocroi. cette nouvelle et en même-temps la mort du Roi. Ses amis, ou plutôt ses ennemis, lui conseillent d'abandonner la défense de la frontière, et de marcher à Paris avec son Armée, pour se rendre l'arbitre de la Régence. Le jeune Prince

rejette ce conseil perfide et vole au secours de Rocroi. Il avait prévu le projet des ennemis, et s'était fait précéder par Gassion, qu'il avait chargé de jeter du secours dans la place, ce qui avait réussi. Le Duc d'Enghien ne s'était ouvert qu'à ce seul officier général, du projet qu'il avait de livrer bataille aux ennemis, et l'avait chargé d'en reconnaître la possibilité. Brûlant d'acquérir de la gloire, il n'avait point mis dans sa confidence le Maréchal de l'Hôpital qu'il savait bien qu'on ne lui avait donné que pour modérer son ardeur. Sa bouillante audace craignait peut-être un peu trop les conseils de la prudence; mais tout ce qui pouvait enchaîner sa valeur lui paraissait une honteuse timidité. Gassion, après avoir rempli son objet, était revenu au devant du Prince, et lui avait rendu compte de tous les obstacles que la nature du pays opposait à son projet des bois épais, des marais, des défilés, servaient de rempart à l'Armée Espagnole, et semblaient assurer la prise de Rocroi, dont tous les dehors étaient déjà emportés. Aux approches de l'Armée Française, le Duc d'Enghien, à qui les difficultés ne paraissaient que des moyens d'augmenter sa gloire, assemble un Conseil de guerre, rend compte de la position des ennemis, ne dissi

mule point les obstacles, et déclare les motifs qui le décident à tout entreprendre pour les surmonter : l'audace et l'éloquence ont un empire certain sur les Français. Tout ce qui l'écoute se sent enflammé du desir de combattre : le Maréchal de l'Hôpital lui-même se laisse entraîner à l'avis général; mais il se flattait en secret que les Espagnols, en défendant le défilé, empêcheraient l'action de devenir géné→ rale. Dom Francisco de Mello avait sans doute de plus grandes vues: il est vraisemblable que, comptant sur la supériorité de ses forces et de sa position, il ne voulait pas seulement arrêter l'Armée Française, mais que son projet était de la détruire, et que c'est pour cela qu'il ne défendit pas le défilé qui, devenant la seule retraite du Duc d'Enghien, s'il eût été vaincu, assurait alors la perte entière de son Armée.'

LE 17 mai, l'Armée Française arrive à Bossut, et le Duc d'Enghien fait ses dispositions pour entreprendre le lendemain le passage du défilé. Le 18, à la pointe du jour, l'Armée s'en ap→ proche; on fait fouiller un bois, on ne trouve aucune résistance; on arrive au défilé, personne ne se présente. Le Maréchal de l'Hopital sentit alors que le mouvement auquel il avait consenti allait avoir de plus grandes con

séquences qu'il n'avait imaginé; il fit alors tout ce qu'il put pour déterminer le Duc d'Enghien à ne pas aller plus loin; mais le jeune Prince lui ayant répondu d'un ton de maître qu'il se chargeait de l'événement, le Maréchal ne répliqua plus, et fut se mettre à la tête de l'aîle gauche, ayant sous lui la Ferté-Senneterre. Le Duc s'était chargé de l'aîle droite avec Gassion; d'Espénan commandait l'Infanterie, et Sirot la réserve. Le passage du défilé fut très-long et très-difficile, quoique les ennemis n'y missent point d'opposition. La marche de l'Artillerie, et même celle de l'Infanterie furent très-retardées par la nature du pays et la dif ficulté des chemins. Malgré les dispositions savantes du Duc d'Enghien, qui manoeuvrait en avant avec sa Cavalerie, pour couvrir le pas→ sage du reste de son armée, il était perdu, si le Général Espagnol l'avait attaqué dans ce moment; mais la fortune de la France, et les destinées d'un Héros, décidèrent autrement de cette fameuse journée. Le Duc d'Enghien appuïa sa droite à des bois, sá gauche à un marais, et se mit en bataille en présence des Espagnols, dont il n'était séparé que par un vallon. L'artillerie commence à gronder, mais le jour s'avance et les deux Généraux ne veulent

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pas commettre au hasard de la nuit leur réputation, leur gloire et le grand intérêt qui leur est confié. Dans ce moment, le zèle indiscret de la Ferté-Sennecterre pensa perdre l'armée du Duc d'Enghien, et peut-être le Royaume. Cet Officier-général forme, de son chef, le projet de jeter du secours dans Rocroy, sans en avoir reçu l'ordre ; il ébranle sa cavalerie, la fait suivre par quelques bataillons, passe le marais, et abandonne ainsi le reste de son aîle. Mello s'avance pour profiter de cette faute; le Duc d'Enghien voit du mouvement et en apprend la cause; il envoie sur-le-champ ordre à la Ferté de revenir, et remédie comme il peut à son imprudence, en faisant remplir, par des troupes de la seconde ligne, le vide de la première. Mello s'arrête, et par ce retard, donne à la Ferté le temps de revenir prendre sa place. Une faute qu'on ne pouvait pas prévoir avait exposé la France au plus grand des revers; une faute qu'on ne pouvait pas espérer la préserve de ce malheur, et lui prépare le plus grand des succès. A quoi, d'après cela, tient le sort des Empires? Tout rentre dans l'ordre, la nuit arrive, et ramène ce calme qui, dans de pareilles occasions, ne repose que les ames fortes; des feux s'allument de

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