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LIVRE TROISIÈME.

M. LE PRINCE reste encore à Paris, mais il fait partir pour Montrond sa Femme, son Fils et sa Soeur; il va au Parlement, y obtient un nouvel Arrêt en sa faveur contre Mazarin et ses Partisans, et, d'après les instances de cette Cour, il se présente au Palais-Roïal, où il fut reçu d'un air si contraint, qu'il n'y retourna plus. La Reine se détermine à lancer une Déclaration foudroïante contre lui; elle en fait faire lecture en présence des Princes, de tous les Grands, et de tous les Corps; il paraît que la violence de cette démarche fut ce qui acheva de décider M. le Prince à la guerre civile. Il va au Parlement, y produit un écrit de Gaston, qui le soutient, se justifie, article par article, des accusations qu'on élève contre lui, et nomme le Coadjuteur, comme Auteur de la Déclaration produite par la Reine.

LA Délibération du Parlement fut remise au lundi 21 Août. Ce jour-là, Gondy, de l'aveu de la Reine, remplit le Palais de Gens

armés, et fait ses dispositions pour attaquer la suite de M. le Prince, qui n'ignore pas ces mouvemens, et se rend au Palais, accompagné du Prince de Conty, des plus grands Seigneurs, et de plus de 800 Gentilshommes. Après quelques paroles vives entre M. le Prince et le Coadjuteur, il s'élève dans le Palais un bruit confus, signal du plus prochain désordre, et du combat le plus inouï. Molé, en invoquant la grande ame du Prince par les Mánes de S. Louis, parvient à lui faire donner ordre au Duc de la Rochefoucaud, de faire retirer ses Amis; Gondy est forcé d'aller lui-même congédier les siens; mais ses Gens, en le voïant paraître, croient que c'est le moment d'engager le combat : les deux Partis mettent l'épée à la main; Gondy eut tant de peur qu'il voulut se réfugier dans la GrandeChambre; mais le Duc de la Rochefoucaud eut l'adresse de fermer la porte du Parquet des Huissiers, dans le moment où il passait, et le prit par le cou en fermant la barre; plusieurs poignards furent levés sur lui; mais la Rochefoucaud ne voulut pas se souiller d'un crime; Champlatreux, Conseiller, dégagea le Prélat, par pitié; et, par l'entremise du Parlement, les deux Partis se retirèrent chacun de leur

côté. La Reine, insensible aux prières, et décidée par la fraïeur des Créatures de Mazarin, voulut défendre aux deux Chefs, d'aller au Parlement; mais Molé, toujours juste et toujours Français, lui représenta que cette parité était contre l'ordre et la justice, et qu'elle ne pouvait défendre à un Prince du Sang l'entrée du Parlement, où sa naissance marquait sa place; le Coadjuteur seul, reçut ordre de ne pas s'y montrer.

Le lendemain, le Parlement prit un Arrêté de la plus grande force, en faveur de M. le Prince (1). Quelquesjours après, ce dernier rencontra le Coadjuteur, à la tête d'une Procession; il descend de carrosse, et se jette aussitôt à genoux, pour recevoir sa bénédiction. Ces marques extérieures de piété, de la part des Grands, plaisent toujours au Peuple: le Prélat, sans se déconcerter, donna sa Bénédiction au Prince; mais la singularité de ce tableau, d'après sur-tout ce qui s'était passé la veille, rappela tout d'un coup au Peuple les excès du Coadjuteur ; il l'accabla d'injures, et eût poussé les choses plus loin, si M. de Condé n'eût pas envoïé ses Gens à son secours.

(1) Voir à la fin de l'Ouvrage.

LE moment de la Majorité de Louis XIV était arrivé; M. le Prince, averti qu'il serait arrêté dans la Cérémonie qui devait avoir lieu à cette occasion, ne crut pas devoir y assister, et se retira dans la terre de Trie, appartenante au Duc de Longueville, qu'il cherchait à mettre dans son Parti, ce qui aurait entraîné toute la Normandie; mais le Duc s'y refusa, moins par amour de son devoir, que par des raisons personnelles. La Cour fit faire une tentative pour s'emparer de la personne du Prince à son passage à Pontoise; mais il eut le bonheur d'échapper à cette embuscade; et ce fut dans cette campagne, qu'en proie à ses réflexions, retenu par ses victoires passées, tourmenté du chagrin d'abandonner Chantilly qu'il aimait, déchiré par la peine de quitter la Duchesse de Châtillon; flottant entre le devoir et la révolte, il reçut de la part des Napolitains l'offre de leur Trône; mais il n'en fut point ébloui, et, sans faire valoir ce sacrifice, il écrivit au Duc d'Orléans, pour proposer des moïens d'accommodement. La Reine, loin de les écouter, admit alors au Ministère les Ennemis les plus déclarés de ce Prince, Molé, Châteauneuf et la Vieuville, et donna l'ordre au Duc d'Aumont de tailler en pièces le Corp

de Troupes qui appartenait à M. le Prince. Tavannes le sauva par la manoeuvre la plus savante, et le conduisit à Stenai; mais cette conduite de la Reine, et les ordres sanglans qu'elle donna furent un véritable commencement de guerre civile.

Il est tellement vrai que M. le Prince ne se décida réellement à soutenir cette guerre qu'après avoir été poussé à bout, qu'en quittant Chantilly, où il allait être enveloppé, il envoïa encore au Duc d'Orléans un nouveau plan de pacification, dont il demanda la réponse dans vingt-quatre heures à Angerville, chez le Président Pe rrot, où la crainte d'être arrêté ne lui permettait pas de rester plus long-temps. Gaston reçut une réponse favorable; mais, au lieu de renvoïer de suite le Courrier, il ne répondit que le lendemain d'après le conseil du Coadjuteur, et le Courrier fut expédié pour Angerville; cette méprise, soit qu'elle fût une suite de l'intrigue, ou simplement l'effet du hasard, fut la cause de tous les malheurs de M. le Prince.

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EFFRAIL de ne pas recevoir de réponse, et sa santé ne lui permettant pas d'attendre, il prit le parti de se rendre à Bourges: son plan était

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