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rence modeste, n'en serait pas moins efficace, comprenant un grand nombre de pièces de 16 ou de 14 centimètres à tir rapide, avec quelques canons courts et légers, quoique d'assez gros calibre, destinés soit à fournir des feux courbes, soit à lancer dans la mêlée des projectiles à très grande capacité des obus-torpilles; quant aux torpilles proprement dites, nos bâtimens en auraient une trentaine, réparties sur 7 tubes.

Le système de protection, en revanche, verrait la proportion de son poids dans le déplacement total diminuer d'une manière sensible: un cloisonnement bien compris de la coque plongée, de 10 à 20 centimètres d'acier durci à la ceinture et à la batterie principale, une tranche de flottaison dans les compartimens de laquelle la cellulose reprendrait sa place, enfin un pont blindé muni d'un pare-éclats en feraient tous les frais, comme sur les nouvelles unités de combat que l'on met aujourd'hui en service en Angleterre, en Allemagne, en Italie. Le tirant d'eau serait de 8 mètres pour les navires de 10 000 tonneaux, de 7 pour ceux de 7000.

Passons aux éclaireurs. Pour ces bâtimens, d'un déplacement de 3000 tonnes en moyenne, il faudrait viser sans hésitation la vitesse de 22 nœuds, obtenue sans trop de fatigue pour les chaudières, sans trop de dépenses pour les soutes à charbon, dont l'approvisionnement fournirait une distance franchissable de 50 pour 100 supérieure à celle des grandes unités de combat. De tels résultats ne seraient pas payés trop cher par une réduction de 60 à 40 millimètres de l'épaisseur du pont blindé, à la condition que la tranche de flottaison cellulaire fût judicieusement disposée. 2 pièces de 16 centimètres et 6 de 14 ou de 10 centimètres suffiraient pour l'armement offensif, avec l'ordinaire proportion de canons légers et 4 ou 5 tubes lance-torpilles.

Il serait essentiel que le tirant d'eau ne dépassât pas 6 mètres, ce qui est très réalisable avec 3 000 tonnes. Il s'agit en effet d'être. en mesure de franchir le Sund sans aucune crainte et à peu près par tous les temps.

Voyons maintenant les torpilleurs. Une armée navale qui prend l'offensive dans des mers resserrées, parfaitement connues de l'ennemi, doit avoir en avant d'elle une flottille capable de nettoyer sa route en refoulant rapidement les torpilleurs embusqués dans les replis favorables. Il conviendrait donc de porter le déplacement de notre type actuel d'estafette de 150 à 200 tonnes

pour lui donner un avantage décisif sur le modèle Schichau, avantage que marquerait surtout l'emploi d'un canon de 65 millimètres. De même il faudrait avoir des chefs de groupe nettement supérieurs aux torpilleurs divisionnaires de 400 tonneaux des Allemands. Si le déplacement de nos avisos rapides tels que le Cassini 900 tonneaux paraissait un peu fort, du moins ne pourrait-on descendre au-dessous de 600, afin d'avoir, là encore, avec une vitesse égale (26 nœuds), une artillerie plus forte et une plus grande endurance.

Telle paraît être, dans les circonstances politiques actuelles, la constitution logique d'une escadre d'opérations destinée à prendre l'offensive au nord de l'Europe.

IV

Passons dans la Méditerranée, où l'évaluation exacte des forces de nos adversaires ne laisse pas d'être délicate, puisqu'elle dépend de l'opinion que l'on se fait de la coopération des deux marines de l'Autriche et de l'Italie.

Que les souvenirs de Lissa s'effacent brusquement si le grand conflit éclatait, nous voulons bien le croire. Mais il y a autre chose : le choc violent qui mettrait aux prises les cinq grandes puissances du continent européen aurait une répercussion immédiate dans cette péninsule des Balkans, si divisée, si agitée, si bien partagée d'ailleurs entre les deux partis. Les populations slaves de la Bosnie, de l'Herzégovine, impatientes du joug autrichien, laisseraient-elles échapper cette occasion unique de s'affranchir? -Non, certainement; et il n'y a pas grande témérité sans doute à admettre que les belliqueux Monténégrins, amis de la Russie, descendraient de la Tserna-Gora pour aider leurs frères. Ils sont bien organisés, dit-on, bien outillés et tout prêts à une action énergique.

Eh bien! le théâtre d'opérations tout marqué de la marine autrichienne, c'est là, derrière le rideau des longues îles Dalmates; c'est ce littoral creusé, tourmenté, où les montagnes sont des promontoires et les vallées des golfes, où des fiords enchevêtrés peuvent conduire rapidement jusqu'au pied de Cettinjé un corps de troupe embarqué à Pola et lui permettre de prendre à revers les envahisseurs de la plaine bosniaque. Dulcigno, Cattaro, seront-ils dotés de défenses maritimes fixes et mobiles? Ce serait

fort à souhaiter. En tout cas, il y aurait peut-être là assez à faire pour une marine dont la modestie des ressources de l'empire austro-hongrois, les embarras du dualisme et aussi sa dépendance étroite de l'organisme rival, l'armée de terre entravent le développement normal.

Mais en dépit des pronostics qui sembleraient le plus justifiés, il est prudent de supposer qu'après avoir réservé des élémens de second ordre pour leurs opérations sur les côtes du Monténégro, les Autrichiens constitueraient, pour agir de concert avec les Italiens, une forte division de 3 cuirassés (2 neufs, 1 refondu, le Tegethof), 3 croiseurs cuirassés ou protégés, 3 éclaireurs rapides et une douzaine de torpilleurs de haute mer, encadrés de torpilleurs divisionnaires, comme chez les Allemands. Ne nous le dissimulons pas, l'appoint de cette force navale très mobile, très armée, montée par des marins et dirigée par des officiers dont on sait la valeur, augmenterait singulièrement la puissance de l'escadre qui nous serait opposée dans le bassin occidental de la Méditerranée. Et ce serait là, avec beaucoup d'autres, un sérieux motif de prendre l'offensive et de nous porter le plus rapidement possible dans la mer Ionienne pour empêcher la jonction des alliés. A la vérité, l'adoption de ce théâtre d'opérations un peu excentrique suppose la constitution préalable, soit à Tunis, soit à Bizerte, d'une base solidement défendue et bien pourvue de charbon, de munitions, de torpilles, des objets de rechange les plus essentiels.

Mais laissons cela un moment pour examiner de près les forces italiennes. C'est une flotte intéressante que celle-ci. Elle a tout justement les facultés qui font défaut à la nôtre, qui lui faisaient défaut, pour mieux dire, en tenant compte de certains progrès récens; et, vraiment, les Allemands, les Anglais, ont été fort habiles d'opposer ainsi l'une à l'autre deux marines qui se compléteraient si bien; car le jour où nos voisins du sud-est s'apercevront qu'ils font sans grand profit le jeu de ces habiles politiques, le jour enfin où renaîtra entre les peuples latins une entente fondée sur le respect réciproque de leurs aspirations, ce jour-là, les races du Nord cesseront de commander dans la Méditerranée.

Le grand intérêt de cette flotte, pour revenir au présent et rentrer dans la réalité, c'est qu'elle est offensive; qu'elle l'est résolument, de propos bien délibéré; qu'elle l'est depuis beaucoup

plus longtemps que la flotte allemande, depuis vingt ans bientôt, malgré quelques fluctuations inévitables. Il y a là une confirmation bien nette de ce que nous constations tout à l'heure, l'influence de la politique extérieure et surtout de l'attitude diplomatique sur la constitution de la force navale d'un pays. Mais encore faut-il que ce pays, pour soutenir éventuellement une attitude qui faillit à plusieurs reprises provoquer la catastrophe, ait trouvé des hommes aussi remarquables comme militaires et administrateurs que les Brin, les Saint-Bon, les Morin.

Les forces actives destinées à opérer en haute mer par l'amirauté italienne comprennent 12 cuirassés, dont 2 en achèvement et 1 en refonte, et 3 croiseurs cuirassés (le Marco Polo compris), soit 15 unités de combat, 15 croiseurs protégés ou éclaireurs d'escadre, mais éclaireurs fortement armés, sur lesquels on compte pour grossir l'ordre de bataille; 13 éclaireurs plus petits, et au moins 25 ou 30 torpilleurs de fort échantillon (de 90 à 160 tonnes), 150 autres un peu plus faibles ou plus anciens constituant avec les navires de haut bord de types démodés l'élément défensif de la force navale.

Pris dans leur ensemble, les 70 bâtimens de haute mer ont une remarquable homogénéité de facultés stratégiques: la vitesse, nulle part inférieure à 16 nœuds (depuis la refonte du Duilio et du Dandolo), atteint facilement 18, 19, 20 nœuds même, sur un bon nombre d'unités; la distance franchissable ne tombe jamais au-dessous de 4000 milles à 10 nœuds et s'élève souvent au double. Pour la flotte d'une puissance placée au milieu de la Méditerranée, 4000 milles représentent un rayon d'action considérable, puisque 1 800 milles seulement séparent Port-Saïd de Gibraltar. Les Italiens ont-ils prévu que leur escadre pourrait aller jusque dans la Manche et dans la mer du Nord pour lier plus étroitement ses opérations avec celle du fidèle allié? Pourquoi pas?... Cet approvisionnement de combustible un peu fort, et dont un large emploi du pétrole augmente encore le rendement, semble fournir là-dessus une indication intéressante.

On voit bien, en tout cas, que l'un des traits les plus caractéristiques de cette flotte est la mobilité. « La guerre, c'est le mouvement », disait Napoléon. Nos voisins ne l'ont pas oublié.

Si nous examinons maintenant les facultés tactiques des navires italiens, nous remarquons tout de suite la rupture de l'équilibre classique entre l'armement défensif, réduit au minimum, et

l'armement offensif, poussé au contraire à son plus haut degré de puissance. Alors que deux des grandes unités de combat n'admettent, avec la tranche cellulaire de flottaison, qu'un pont blindé à 76 millimètres; que huit cuirassés ou croiseurs cuirassés, les plus récens, les meilleurs, n'ont qu'un revêtement vertical de 10 centimètres, destiné à provoquer au premier choc l'explosion des obus à mélinite, ou s'ils emploient la ceinture métallique de flottaison, n'y acceptent que des épaisseurs de 15 à 25 centimètres et encore sur une faible étendue; alors enfin que les cinq autres unités, relativement anciennes, ne portent des plaques massives qu'au centre, pour défendre l'appareil moteur, l'artillerie, les torpilles, les mitrailleuses, toujours du modèle le plus nouveau, le plus perfectionné, représentent sur ces beaux navires une fraction du déplacement total plus élevée que dans les autres

marines.

Quant à l'éperon, les Italiens n'ont eu garde d'oublier quels services pouvait rendre cette arme terrible à qui dispose déjà de la masse pour enfoncer cuirasse, coque, cloisons; de la vitesse pour se rapprocher à son gré de l'adversaire; des qualités évolutives pour déjouer les efforts du bâtiment qui cherche à se dérober au coup qui le menace. Les grands navires italiens mancuvrent, disent ceux qui les ont vus entrer dans des ports resserrés, avec plus d'aisance qu'on ne l'attendrait de bâtimens aussi longs; et si, d'autre part, leur cercle de giration a un assez grand diamètre, du moins leur faut-il peu de minutes pour en parcourir la circonférence.

On le voit, la flotte italienne est redoutable. Faut-il pourtant l'admirer sans réserve et déclarer sans défauts son plus beau spécimen, la Sardegna, le bâtiment offensif par excellence? Nullement. C'est même une chose étrange que des hommes si instruits, si réfléchis, n'aient pas apprécié plus haut l'importance dans la stratégie du nombre des unités, autant que celle de leur prix de revient dans le « rendement » des moyens financiers; qu'ils n'aient pas essayé de créer des types à peu près aussi offensifs mais moins gigantesques, par conséquent moins chers et d'une répétition moins difficile pour un pays dont la fortune est plus modeste que les ambitions. Ils y seraient arrivés sans doute ils y arrivent aujourd'hui (1) - en repoussant les trop coù

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(1) L'Ammiraglio di Saint-Bon et l'Emmanuele-Filiberto, les nouveaux cuirassés italiens, n'ont plus que des canons de 25 centimètres au lieu de 34; de 25 tonnes

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