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donc changé depuis que Me Aloysi avait quitté Kissingen au mois d'août de l'année précédente? Le nonce ne l'admit pas un seul instant. Tout de suite, il avait blâmé dans un entretien avec l'archevêque de Munich l'adresse du chapitre de Saint-Cajetan à M. Döllinger. Peu de jours après, il reçut de Rome l'ordre de demander à Mer Steichele de transmettre aux chanoines de la cour les paroles de blâme du Pape; il dut même ajouter que, tout en caressant l'espoir que l'archevêque réussirait, à force de sollicitude paternelle, à ramener M. Döllinger, Léon XIII comptait bien cependant que, si l'ex-prévôt de Saint-Cajetan venait à mourir avant d'avoir renoncé à ses erreurs, le clergé de Munich saurait observer strictement les lois canoniques, et ne pas oublier l'excommunication dont avait été frappé le Rector magnificus de l'Université.

M. Döllinger se chargea du reste lui-même de réduire à leur juste valeur les bruits qui avaient couru d'un changement dans les vues du Saint-Siège. Une lettre de lui fut lue le 1er mai, à Heidelberg, dans une réunion tenue par la communauté des vieuxcatholiques. Il y était dit :

Qu'il n'y ait rien à attendre de quelque importance de Léon XIII dans le sens d'une amélioration de la situation religieuse, cela a été certain pour moi depuis qu'il a déclaré aux cardinaux, pour la plupart créatures de son prédécesseur, ne vouloir rien entreprendre sans leur concours et leur assentiment. Qu'il ait nommé cardinal un Newman, lequel est si élevé par l'esprit et la science au-dessus du clergé romain, cela ne peut se comprendre que parce que les vues réelles de l'homme ne sont pas connues à Rome. Si Newman avait écrit en français, en italien ou en latin, plusieurs de ses livres se trouveraient à l'Index. Depuis un certain nombre d'années, j'ai suivi les influences de la papauté à travers tous les siècles et dans toutes les directions; ma conclusion est que l'influence de Rome a toujours été beaucoup plus nuisible et plus ruineuse que je ne l'avais supposé en 1870. En Allemagne, où on étudie les causes de la chute de notre ancien empire, cela est à saisir avec la main. Dans les pays latins, c'est encore pis...

Cette dernière pensée n'était que le résumé de la thèse qu'avait soutenue M. Döllinger en 1872, lors du quatre centième anniversaire de la fondation de l'Université de Munich, en disant que la décadence intellectuelle et morale de la France date de la fin du XIIIe siècle.

Le moment approchait où Me Aloysi devait être transféré de la nonciature de Munich à celle du Portugal, et rien n'indiquait encore depuis la fin des pourparlers de Kissingen qu'il dût être

question de reprendre ces laborieuses négociations. Au printemps de 1879, le bruit s'était répandu que l'envoyé du Pape à la cour de Bavière irait remplacer à Paris Mg Meglia, nommé cardinal. Le ministre de Prusse ne dissimula pas au nonce qu'un tel changement pourrait affliger le prince de Bismarck, qui comptait sur la bonne volonté de Me Aloysi pour continuer ce qui avait été commencé l'année précédente. Pourquoi ne serait-il pas chargé par le Pape d'aller offrir à Berlin les félicitations de Sa Sainteté à l'empereur Guillaume et à l'impératrice Augusta à l'occasion du cinquantième anniversaire de leur mariage? Le représentant du souverain pontife n'avait-il pas rempli au mois de juin de l'année précédente une mission analogue à Dresde, lors des noces d'argent du roi et de la reine de Saxe? Me Aloysi répondit à M. de Werthern que, sans aucun doute, le Pape ne se refuserait pas en cette circonstance à féliciter l'empereur Guillaume, mais en même temps il fit observer à son interlocuteur que les efforts tentés pour rétablir la paix religieuse en Prusse n'ayant pas été encore couronnés du succès qu'on avait un instant entrevu, la présence d'un envoyé extraordinaire du Saint-Siège à Berlin ne pourrait s'expliquer.

Néanmoins, à la suite de l'élection du baron de Frankenstein à la première vice-présidence du Reichstag, on se demandait si la situation n'allait pas encore une fois changer. Divers indices tendaient à faire croire que le pouvoir fédéral désirait se rapprocher du Centre. Le 31 mars, le prince de Bismarck avait eu une entrevue avec M. Windthorst, et ce fait revêtait aux yeux de tous les personnages politiques initiés à la marche des affaires une importance telle que chacun y voyait une raison d'espérer qu'on allait enfin aboutir à l'aplanissement des difficultés que présentait la question religieuse. L'attitude réciproque du chancelier de l'Empire et des membres du Centre était redevenue conciliante. Mais ce rapprochement serait-il durable et fécond? Le baron de Frankenstein estimait que les circonstances lui imposaient d'être très réservé visà-vis du Chancelier de l'Empire. Fort abondant lorsqu'il s'était agi de déplorer les effets produits dans le passé par le Culturkampf, le prince de Bismarck se refusait à entretenir de ses vues sur l'avenir le premier vice-président du Reichstag.

Les choses pourtant étaient sur le point d'entrer dans une phase nouvelle, sinon décisive. Le 1er août 1879, Mer Aloysi reçut, pour être transmise à Rome, une lettre par laquelle le prince de

Bismarck faisait savoir au cardinal Nina qu'il était prêt à négocier avec le nonce de Vienne, Mer Jacobini, les bases d'un rapprochement entre le Saint-Siège et Berlin. Quoique promu à la nonciature de première classe de Lisbonne, Mer Aloysi éprouva un vif déplaisir en apprenant que son départ de Munich allait en quelque sorte coïncider avec la reprise des pourparlers qu'il avait eu, un an auparavant, le périlleux honneur d'entamer à Kissingen. Il avait conservé avec le Chancelier de si excellens rapports personnels qu'il était impossible de supposer que le choix du nonce de Vienne pour suivre ces négociations eût été indiqué de Berlin. Dès lors c'était à une détermination dont l'initiative émanait du Vatican que, selon toute vraisemblance, il convenait de l'attribuer. Il fallait donc en conclure qu'on avait renoncé, à Rome, au programme qu'avait eu à défendre au mois d'août 1878 Mgr Aloysi, et au service duquel il avait déployé des idées de sagesse et de conciliation qui répondaient peut-être plus aux sentimens personnels du souverain pontife qu'à ceux de la congrégation de cardinaux saisie par Léon XIII des propositions d'armistice du prince de Bismarck.

En réalité, le Saint-Siège maintenait sa demande concernant la complète abrogation des lois de mai et persistait dans la pensée que les questions à débattre entre la chancellerie pontificale et Berlin devaient être traitées à Rome. Les pourparlers tenus par Me Jacobini, d'abord à Vienne avec le prince de Reuss, ambassadeur d'Allemagne en Autriche, ensuite à Gastein avec le prince de Bismarck lui-même, n'ayant pas abouti, le cabinet de Berlin décida en 1880 de s'engager dans une autre voie pour arriver à la pacification religieuse sans le concours direct du Saint-Siège. Le 19 mai, le Landtag de Prusse fut saisi d'un projet de loi dit «< des pouvoirs discrétionnaires » par lequel le gouvernement royal devait être muni de la faculté de prendre vis-à-vis du clergé catholique telles mesures qui seraient estimées utiles au bien de l'État. L'article IV de ce projet permettait notamment la réinstallation des évêques sur les sièges dont ils avaient été naguère dépossédés par le haut tribunal ecclésiastique. C'était indubitablement le témoignage du désir persistant de l'empereur Guillaume et du prince de Bismarck d'inaugurer une ère très différente de celle qui s'était ouverte en 1871.

ED. LEFEBVRE DE BÉHAINE.

LA CONSTITUTION LOGIQUE

DE LA

FORCE NAVALE FRANÇAISE

Arrivée à une de ces heures graves où une nation se demande si elle ne doit pas changer le point d'application de son effort extérieur; incertaine de l'exacte orientation d'une politique qu'elle n'est plus absolument maîtresse de diriger suivant ses seules inspirations; doutant si la prochaine guerre sera continentale ou maritime, la France s'aperçoit qu'elle a négligé sa marine.

Non pas qu'elle n'ait docilement fourni les sommes qu'on lui demandait tous les ans pour l'entretien de l'établissement naval; non pas même qu'elle ne se soit préoccupée à diverses reprises de contrôler l'emploi de ces sommes, ni qu'elle n'ait su voir de sérieux défauts dans la marche des services maritimes. Ce qui a manqué, c'est, avec la méthode dans la distribution des moyens financiers, avec la ténacité dans la répression d'abus dont les plus graves, dans le fonctionnement des arsenaux, par exemple, doivent leur origine à notre état social et leur développement au régime parlementaire, ce qui a manqué surtout, c'est une vue d'ensemble claire, nette, de ce que doit être cet établissement naval, de ce que doit être en premier lieu la force armée agissant sur mer et au moyen de la mer, la flotte militaire, raison d'être unique et suprême expression de l'établissement naval.

Nous allons, dans cette étude, après avoir rappelé les principes

généraux de la constitution des flottes militaires et les conditions essentielles de leur existence, de leur prospérité, de leur succès, appliquer ces principes à la détermination des divers élémens de la flotte française, rechercher comment notre flotte peut satisfaire à ces conditions.

I

La détermination des caractéristiques d'une flotte militaire dépend :

1° De la situation géographique du pays considéré;

2o Des circonstances hydrographiques de son littoral et du régime des mers qui le baignent;

3o De sa situation politique à l'extérieur et à l'intérieur; 4o De sa puissance économique;

5o Des facultés, des tendances spéciales de la race qui l'habite. De ces facteurs, les uns ont un caractère permanent et à peu près immuable, les autres un caractère relativement accidentel et variable. Il y aura lieu de tenir compte de cette distinction.

Examinons la situation géographique de la France:

Il en est peu, et c'est presque un lieu commun de le dire, qui soient plus favorables au développement de la puissance maritime ni qui justifient mieux l'existence d'une flotte militaire. Bien mieux placée que l'Angleterre même, la France est assise sur les trois principales mers de l'Europe, dont elle commande, ou dont elle pourrait commander les débouchés, soit par ses ports du Pas-de-Calais et de la Manche, soit par ceux de la province d'Oran, car on peut bien considérer aujourd'hui l'Algérie comme le prolongement africain de la France. Sur le continent européen, en tout cas, nous occupons ce qu'on appelle en stratégie << la position centrale ». Malheureusement, de cette position centrale, qui a ses charges on l'a bien vu en 1814 cueillons pas tous les bénéfices, faute d'une « ligne de communications intérieure », faute d'un canal maritime qui permette de concentrer alternativement dans les deux mers, d'une manière sûre et rapide, les deux masses de nos forces navales, séparées par le massif ibérique.

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nous ne re

On sait quelles oppositions rencontre depuis vingt ans le projet de percement de l'isthme des Pyrénées. Ce que l'on sait moins, c'est qu'en ce moment même la Grande-Bretagne exécute à Gi

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