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s'était même demandé alors si le cabinet bavarois ne chercherait pas à profiter de cette circonstance pour interrompre les relations diplomatiques avec le Vatican.

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En arrivant de la Haye à Munich, à la fin de l'année 1874, Mgr Bianchi s'était un instant flatté de l'espoir qu'il pourrait être utile aux intérêts dont la protection lui était confiée, de ne pas observer la réserve très digne dans laquelle M Meglia, son prédécesseur, avait été amené par les circonstances à se renfermer, et qui contrastait péniblement avec la grande position dont l'envoyé pontifical avait joui naguère à la cour et dans les cercles élevés de l'aristocratie bavaroise. Les attaques réitérées de la presse nationale-libérale, de même que l'accueil très peu empressé de la haute société, n'avaient pas tardé à éclairer Mer Bianchi sur les difficultés qu'il lui fallait tourner sous peine de compromettre l'existence même de la nonciature apostolique en Bavière.

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Chaque année, les intérêts multiples confiés à sa garde étaient devenus de plus en plus graves, par suite de la désorganisation croissante de la plupart des diocèses prussiens. C'est en effet par l'entremise de la nonciature de Munich que subsistaient entre les diocèses et les congrégations romaines les rapports au moyen desquels les membres du clergé inférieur et les fidèles pouvaient en beaucoup de cas, pour tout ce qui concernait les dispenses, par exemple, échapper aux empêchemens de toute nature que devait leur créer l'absence des évêques emprisonnés ou fugitifs. MT Bianchi avait su établir ces rapports avec une grande sûreté. Mais cette tâche si délicate était devenue avec le temps fort lourde, puisque, dans le seul diocèse de Cologne, plus de 107 paroisses sur 813 étaient privées de curés et réduites à recourir aux moyens clandestins pour ne pas être absolument dénuées de secours spirituels. Les dispositions qui prévalaient à Berlin ne permettaient pas de douter que des efforts très sérieux auraient été tentés à dessein d'éloigner de Munich l'envoyé du Vatican, si l'on avait eu connaissance de cet état de choses. Sans rien découvrir, l'administration prussienne se rendait compte que les fidèles des diocèses privés de leurs évêques savaient recourir aux bons offices de la nonciature de Bavière et cette situation imposait à Mär Aloysi une vigilance au moins égale à celle qu'avait montrée Mer Bianchi.

Aussi le changement d'attitude du comte Holnstein avait-il tout de suite acquis, aux yeux du représentant du Saint-Siège,

une importance capitale. Le 31 mars 1878, le grand écuyer, répéant qu'il était fort à souhaiter qu'un rapprochement sérieux s'opérât entre la Papauté et l'Allemagne, ajoutait qu'il allait se rendre à Berlin, et que, dans son opinion, le Vatican devrait s'adresser directement au prince de Bismarck. Abordant un point fort délicat, celui des évêques déposés par le haut tribunal ecclésiastique, le comte Holnstein avait reconnu qu'il y avait là une grande difficulté. « Non, mon cher comte, répondit Mer Aloysi : cette question est, certes, la plus douloureuse parmi celles qui séparent en ce moment l'Église du gouvernement de l'empereur Guillaume. Mais ce n'est pas la plus difficile à résoudre, parce qu'elle concerne des prélats vénérables qui, non contens d'avoir souffert avec courage pour la cause que leur devoir leur commandait de défendre, sauront, s'il le faut, souffrir plus encore, et se sacrifier pour faciliter une entente. >>

Dès ce moment, en effet, il paraissait probable que le SaintSiège pourrait obtenir de Mar Martin, évêque de Paderborn, et du cardinal archevêque de Posen et Gnesen, qu'ils renonçassent à leurs sièges. L'un et l'autre s'étaient gravement compromis dans d'ardentes polémiques contre l'administration allemande. D'un autre côté, on pouvait prévoir qu'au palais apostolique on se montrerait beaucoup plus récalcitrant au sujet de la faculté attribuée au haut tribunal ecclésiastique de pouvoir déposer des évêques, cela étant absolument contraire aux règles fondamentales du droit canonique.

La loi du 11 mai 1873 relative à la formation (Vorbildung) du clergé ne devait pas davantage être acceptée par Rome; mais ces points de détail n'avaient pas été abordés par le comte Holnstein dans ses entretiens avec le nonce; et, tandis que le gouvernement bavarois venait d'expédier de Munich au ministre de Bavière à Rome, pour être remise au Pape, la réponse de l'empereur Guillaume à la lettre de Léon XIII du 20 février, le ministre de Prusse à Munich, baron de Werthern, reconnaissait que cet échange de communications constituait un premier pas dans la voie d'un arrangement, ce qui ne l'empêchait pas du reste d'insister beaucoup près du nonce sur la nécessité de recommander au clergé catholique d'obéir à ces mêmes lois de Mai que chacun savait être la vraie cause du conflit. Selon M. de Werthern, toutes les difficultés provenaient purement et simplement de l'erreur qu'avait commise le concile en proclamant le dogme de

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l'infaillibilité. Le représentant officiel du cabinet de Berlin en Bavière se maintenait donc sur le terrain où s'étaient placés en 1871 M. Lutz, M. Döllinger, et les coryphées du vieux-catholicisme pour commencer la guerre contre la Papauté.

Tout autre était le langage tenu à Mer Aloysi par le comte Holnstein à son retour de Berlin, à la fin d'avril. Ses ouvertures au prince de Bismarck concernant la situation respective du Saint-Siège et de l'empire avaient reçu, selon lui, le meilleur accueil, le Chancelier étant très préoccupé de concilier avec sa sollicitude pour l'autorité de l'État son désir de rétablir de bons rapports avec le Vatican. Il regrettait les lois de Mai; à la vérité, il croyait impossible de les abroger, mais rien n'empêchait d'en annuler les effets. Du reste, ajoutait-il, la lettre de l'Empereur avait dû fournir à Sa Sainteté un éclatant témoignage de ces dispositions. Le nonce ayant fait observer que cette lettre avait au contraire causé au Pape une impression pénible, puisqu'il n'y était fait mention que de la nécessité de recommander aux ministres de la religion catholique l'obéissance aux lois faisant précisément l'objet du litige, le comte Holnstein reprit que la question avait dû être posée ainsi pro forma, mais qu'il pouvait garantir que l'Empereur désirait vivement que le bon accord se rétablît. Comme Mr Aloysi se contentait de prendre acte de cette assurance amicale, le comte Holnstein avait continué sur un ton très pressant: «Mais il faut se hâter, ne pas perdre de temps, entrer de suite en pourparlers. En un quart d'heure, si on le veut bien, les arrangemens nécessaires pourraient être pris. Si vous alliez à Berlin, soyez assuré que vous y seriez le bienvenu. »

Sans se départir de la réserve la plus affable, mais la plus complète, le nonce fit remarquer à son interlocuteur que ces négociations, qu'il n'était pas encore d'ailleurs autorisé à entamer, devaient porter sur des points très importans: parmi les lois de mai, il y en avait sans doute qu'à Rome on consentirait à ignorer; mais d'autres ne sauraient échapper aux censures dont elles avaient été frappées. Le grand écuyer, revenant à la charge, soutenait que l'essentiel était d'apporter de part et d'autre le désir de s'entendre; que, même sur la question des évêques déposés, le prince de Bismarck était tout prêt à faciliter un arrangement; et, comme le nonce répétait que cette question des évêques, si douloureuse qu'elle fût, n'était pas la plus difficile à résoudre, le comte Holnstein laissa encore une fois entendre qu'elle serait

peut-être moins douloureuse à régler qu'on ne le supposait à Rome. Seulement, il importait beaucoup aux yeux du prince de Bismarck que le représentant du Saint-Siège s'abstînt de recourir aux bons offices des membres du Centre au Reichstag, quelquesuns d'entre eux, M. Windthorst, par exemple, ne se servant du conflit religieux que pour satisfaire leurs passions particularistes et leur hostilité contre l'empire. Tous n'obéissaient pas, il est vrai, aux mêmes sentimens; il y en avait même parmi eux qui étaient entourés à Berlin du plus grand respect, notamment le baron de Frankenstein, qui était à la fois président du groupe du Centre et chef du parti conservateur bavarois.

La vivacité même des démonstrations amicales du comte Holnstein était de nature à en atténuer la valeur pratique. Tout au moins devait-on se demander au Vatican pourquoi le ministre de Prusse à Munich continuait de se renfermer dans une grande réserve vis-à-vis du nonce, tandis que le grand écuyer du roi Louis II tenait un langage si accentué. Pourtant Mer Aloysi ne pouvait se dispenser de prêter une sérieuse attention à ces ouvertures; et tel fut l'avis du baron de Frankenstein qui, tout en établissant que les catholiques bavarois avaient de fortes raisons de se défier du comte Holnstein, puisqu'il avait été à Munich l'instrument le plus actif de la politique du prince de Bismarck, reconnut qu'en raison même du crédit dont il jouissait à Berlin son attitude si nouvelle méritait d'être prise en grande considération. Encouragé de Rome à poursuivre ses entretiens avec le grand écuyer, le nonce émit l'avis que, la difficulté de se mettre d'accord sur les lois actuelles étant reconnue de part et d'autre, le plus sage serait de choisir une autre base pour les négociations et de prendre comme point de départ la bulle De salute animarum de 1821 qui avait longtemps réglé l'organisation de la communion catholique en Prusse. Cela admis, le Saint-Siège se déclarerait prêt à examiner, avec le cabinet de Berlin, les changemens qu'il conviendrait d'apporter aux stipulations de ladite bulle. De son côté, le gouvernement prussien rechercherait s'il pouvait lui convenir d'entrer dans des combinaisons dont quelques-unes auraient nécessairement pour effet d'abroger certaines dispositions des lois de mai, ipso facto, et sans qu'il fût nécessaire de procéder à leur revision.

Tel fut le thème d'une note remise le 4 mai 1878 par le nonce au comte Holnstein. La pensée y était exprimée, qu'une sem

blable manière de procéder était analogue à celle que le prince de Bismarck venait de recommander pour le règlement des affaires orientales et qui consistait à prendre pour point de départ des négociations, non pas le traité conclu entre la Russie et la Turquie à San Stefano, mais les traités de 1856 et de 1871, auxquels on apporta en effet, deux mois plus tard, les changemens devenus inévitables à la suite des victoires des armées russes sur les Turcs. Mgr Aloysi ajoutait que, si le Chancelier admettait cette argumentation, la bulle de Pie VII De salute animarum fournirait pour l'examen des affaires intéressant l'Église catholique en Prusse une base aussi solide que l'était le traité de 1856 pour la discussion des affaires d'Orient. Du reste, et pour se conformer à la recommandation du comte Holnstein de ne mêler à ces débats aucun membre du Centre, le représentant du Saint-Siège donnait l'assurance formelle qu'en aucun cas les personnages politiques engagés dans le conflit ne seraient autorisés à participer aux négociations dans lesquelles le Vatican protestait de sa ferme volonté de ne se départir en rien de son respect pour les légitimes prérogatives de la suprême autorité civile.

Sur ces entrefaites, l'empereur Guillaume Ier faillit être victime de l'attentat dirigé contre sa personne par Hodel, et Léon XIII s'empressa de le féliciter d'y avoir échappé. Cette démarche du Pape réveilla les idées conciliantes qu'était venue sérieusement affaiblir peu de jours auparavant la publication à Rome d'une note du cardinal Caterini, préfet du Concile, invitant quelques ecclésiastiques prussiens à ne pas recevoir de traitement de l'État. Le nonce de Munich, que cet acte assez inopportun, il faut le reconnaître, avait fort dérouté, reçut du cardinal Franchi, secrétaire d'État, des explications d'où il résultait qu'il ne s'agissait en l'espèce que d'une mesure isolée, toute de discipline, et n'engageant que la responsabilité particulière de la congrégation du Concile. Toutefois, cet incident restait enveloppé d'une certaine obscurité et la presse allemande se demandait à quelle intention il avait été provoqué. Le cardinal Franchi établissait bien que les faits sur lesquels le cardinal Caterini s'était prononcé, signalés d'abord au Saint-Office, avaient été ensuite déférés à la congrégation du Concile. Mais il n'expliquait pas pourquoi la question avait été posée juste à l'heure où le Saint-Siège s'efforçait, dans ses pourparlers avec le cabinet de Berlin, de rechercher les moyens de passer sous silence les lois de mai. Le secrétaire d'État

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