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Il n'est pas ici question d'en rappeler les péripéties: les démêlés de M. Lutz, le ministre des cultes de Bavière, avec l'archevêque de Munich; ses prétentions d'interdire à l'épiscopat le droit d'enseigner le dogme de l'infaillibilité; le congrès vieux-catholique de Munich en septembre 1871; l'organisation du Comité de réforme catholique; l'indigénat allemand retiré aux membres ou affiliés de la Compagnie de Jésus, et la faculté laissée au Conseil fédéral de le retirer généralement aux membres de toutes les communautés religieuses. Ces mesures n'avaient pu réussir à constituer le vieux catholicisme en parti. Les populations catholiques ne s'étaient point détachées de Rome. Le voyage à Munich de l'archevêque janseniste d'Utrecht et la transmission par lui des pouvoirs épiscopaux au professeur Reinkens n'avaient produit aucun des fruits que l'on en espérait. Un nouveau congrès, le congrès de Fribourg, tenu du 6 au 8 septembre 1874, n'avait pas amené de recrues à l'église du nouvel évêque. Au contraire et bien loin de se rallier à l'idée d'une « église nationale allemande », les populations catholiques de l'empire avaient répondu par l'envoi au Reichstag d'une minorité qui, sous le nom de fraction du Centre, prenait tous les jours une plus grande importance. D'un autre côté, tous les jours aussi, les nationaux-libéraux, combattus avec plus d'ardeur par les progressistes et les socialistes, diminuaient de nombre, d'influence et d'autorité. Enfin, sur la proposition de l'évêque de Limbourg, les évêques prussiens, réunis à Fulda, après avoir consulté le Saint-Siège, ayant décidé que les catholiques ne pouvaient plus, salva conscientia, prêter serment à la constitution prussienne, des difficultés graves compliquaient tous les jours en Prusse celles qui résultaient déjà de l'agitation produite dans l'Allemagne entière par le Culturkampf. La fermeté du Vatican et l'esprit particulariste de l'Allemagne catholique dépassaient ce que M. de Bismarck en avait attendu. Aussi, bien avant la mort de Pie IX, semblait-il enclin à faire le nécessaire pour substituer un régime moins violent à celui qu'avait créé une législation conçue dans un esprit hostile au sentiment religieux.

Dans plusieurs de ses parties importantes, cette législation offrait à la vérité de grandes analogies avec celle qu'en beaucoup de pays catholiques le pouvoir civil a su faire accepter par voie concordataire à l'Église romaine. Quoi qu'en aient souvent dit les orateurs du Centre au Reichstag, il y avait dans l'ensemble des

lois de mai une catégorie considérable de dispositions qui, tout en étant réputées par le Saint-Siège blessantes, oppressives et spoliatrices, ne devaient pas par elles-mêmes empêcher l'Église catholique en Prusse d'exister.

A cette catégorie appartenaient :

1° L'ordonnance royale du 8 juillet 1871, qui avait supprimé la section catholique du ministère des cultes;

2o La loi du 11 mars 1872 concernant l'inspection de l'enseignement et l'enlevant à l'autorité religieuse;

3o L'ordonnance royale du 15 mars 1873 supprimant les fonctions de prévôt catholique de l'armée;

4° La loi du 5 avril 1873 modifiant les articles 15 et 18 de la constitution prussienne de 1850 dans un esprit restrictif des libertés que le texte antérieur de ces articles attribuait aux différentes communions religieuses;

5° Toutes les lois, ordonnances royales et arrêtés ministériels se rapportant soit à l'administration et à la jouissance des biens et des revenus ecclésiastiques, soit à la translation de tout ou partie de ces biens à des corporations de vieux-catholiques.

Il convenait aussi de ranger dans cette classification certaines lois d'empire imprégnées du même esprit, savoir :

Celle du 4 juillet 1872, prononçant l'expulsion de l'Allemagne des membres de la Compagnie de Jésus et de toutes les communautés religieuses réputées affiliées à cette compagnie;

La loi du 6 février 1875 établissant le mariage civil.

Si vexatoires que ces lois parussent aux fidèles, si légitime que leur semblât la réprobation dont ils poursuivaient les actes législatifs et administratifs au moyen desquels le gouvernement prussien avait tenté, d'ailleurs en vain, de provoquer des dissidences au sein du clergé ; il n'en demeurait pas moins certain que les catholiques, clercs ou laïques, jaloux de ne pas se rendre complices de ce qu'ils considéraient comme une violation des principes et des enseignemens de l'Église romaine, n'avaient pas été atteints par les lois susdites dans le for intérieur de leur conscience. Le joug que faisait peser sur eux cette partie de la législation adoptée depuis 1871 ne leur imposait pas ce qu'on pourrait appeler une soumission active, et ne les contraignait pas de se placer dans un état de désobéissance formelle aux leçons de l'Église. En d'autres termes, rien n'avait été combiné dans ces lois pour transformer par la force directe les catholiques romains en

vieux-catholiques, pas plus que pour les obliger d'accepter ou de feindre d'accepter comme vraies les tendances de l'État moderne en matière religieuse. Quelque différent que fût ce régime de celui qui avait duré en Prusse jusqu'en 1871 — et dont la bulle de Pie VII De salute animarum avait établi en 1821 les fondemens principaux-l'Église romaine ne se serait pas trouvée, en 1878, dans une situation réellement intolérable vis-à-vis de ce que le prince de Bismarck appelait le grand empire évangélique, si le gouvernement et les chambres de Prusse n'avaient pas fait prévaloir, par les lois des 11, 12 et 13 mai 1873, des dispositions devant avoir pour effet:

1° De placer les enseignemens de l'Église sous le contrôle exclusif et sans appel de l'État;

2o De conférer à un haut tribunal ecclésiastique institué par le gouvernement le pouvoir de connaître des affaires religieuses;

3o Enfin de limiter d'une façon arbitraire l'exercice des droits de répression, de censure, de blâme et même de direction ayant jusqu'alors appartenu en matière religieuse à l'autorité spirituelle.

Peut-être ces trois lois avaient-elles eu pour objet, dans la pensée des législateurs de Berlin, de faciliter au sein du clergé catholique des divisions en présence desquelles le pouvoir civil eût rempli le rôle d'arbitre au profit des détracteurs de la Papauté. Cependant, ce résultat n'avait pas été atteint. Le haut tribunal ecclésiastique avait bien, il est vrai, déposé sept archevêques et évêques après les avoir condamnés à la prison et à l'amende. Mais il n'avait pas pu faire entrer dans l'esprit des fidèles la pensée que ces évêques ne possédaient plus la suprématie spirituelle qu'ils tenaient de leur consécration par le pape. Quant aux curés expulsés en très grand nombre de leurs paroisses, le gouvernement royal ne réussit pas à recruter de prêtres consentant à les remplacer. Dans les paroisses ainsi privées de leurs pasteurs, les fidèles d'une part, de l'autre l'autorité religieuse supérieure, c'est-à-dire le Pape et les évêques, surent rester par des voies mystérieuses en rapports constans, en dépit des pénalités dont étaient passibles les individus, clercs ou laïques, qui violaient, en agissant ainsi, la loi du 12 mai 1873.

L'application de la loi du 13 mai de la même année avait donné des résultats encore plus médiocres. Les catholiques réputés par l'Église dignes de conserver cette qualification ne songèrent jamais à invoquer l'appui des dépositaires de l'autorité judiciaire ou

administrative contre les prêtres qui avaient usé vis-à-vis d'eux des pouvoirs que le droit canonique leur confère lorsqu'ils siègent au tribunal de la pénitence. Plus d'une fois, l'absolution avait été refusée à des individus ne voulant pas obtempérer aux directions qui, au moment des élections, leur avaient été données au confessionnal. Les débats auxquels ces faits donnèrent lieu devant la justice, prouvèrent que les ecclésiastiques qui étaient ainsi incriminés, et qui d'ailleurs refusèrent de violer, pour se défendre, le secret de la confession, étaient victimes de manœuvres auxquelles le texte même de la loi avait permis à des adversaires peu scrupuleux de recourir pour satisfaire leurs haines de sectaires. Était-ce donc pour aboutir à un état de choses aussi attentatoire à la liberté de conscience que l'Allemagne nouvelle avait entamé en 1871 la lutte que ses principaux écrivains disaient inspirée par l'esprit de tolérance?

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C'est à propos de ces lois de mai que le comte Harry d'Arnim, l'ancien ambassadeur d'Allemagne à Paris, put écrire en 1876, dans sa brochure Pro nihilo, que le prince de Bismarck avait adressé sa recette contre l'Église romaine à chacun en son logis, même à ceux qui ne se sentaient pas malades; M. de Keudell, à Rome, la recommandant à M. Minghetti; l'Autriche étant accusée à mots couverts d'ingratitude pour ne pas répandre à plus larges doses les saines doctrines qui dominaient à Berlin. Les plus illustres docteurs des Chambres et des Universités allemandes ne parlaient qu'avec une pitié méprisante des pays qui se refusaient à adopter les idées en faveur dans l'Empire évangélique en matière de législation religieuse. L'Église libre dans l'État libre » de M. de Cavour faisait sourire de dédain M. Döllinger. A un diplomate italien qui recherchait volontiers ses leçons, l'éminent critique disait un jour : « Comme on a souvent prononcé le mot de Cosas de España pour caractériser un certain désordre d'idées, on pourra dire maintenant Cose de Italia pour définir l'imprévoyance et l'inhabileté du pouvoir gouvernemental vis-àvis du pouvoir spirituel. » Pourtant, peu à peu la situation tendait à se modifier; on était, en 1878, beaucoup moins glorieux dans l'entourage du prince de Bismarck en parlant du «< combat de culture. » L'excès même des rigueurs déployées contre les catholiques avait fini par produire dans l'opinion une lassitude qui permettait de penser que la réaction ne tarderait pas.

C'est sur ces entrefaites qu'avait lieu l'échange des lettres

qu'on a lues, et qu'un des plus hauts dignitaires de la cour de Bavière, le comte Holnstein, grand écuyer, se trouvait appelé à jouer un rôle considérable dans les négociations confidentielles qui s'engageaient.

II

Sans avoir la prétention de diriger ostensiblement la politique bavaroise, le comte Holnstein n'avait cessé d'exercer une influence décisive sur tous les événemens qui avaient eu pour effet d'absorber de plus en plus le royaume des Wittelsbach dans l'empire allemand. Au mois de novembre 1870, c'est à lui que le prince de Bismarck avait confié la tâche assez épineuse de déterminer Louis II à offrir au roi de Prusse, au nom de tous les princes allemands, la couronne impériale. Il n'est pas douteux que les bizarreries de caractère du roi de Bavière, la répugnance même qu'il éprouvait à entretenir des rapports personnels réguliers avec l'empereur Guillaume et le Prince impérial, étaient, aux yeux du Chancelier, largement compensées par les avantages que lui assurait pour le succès de sa politique la présence à la cour de Bavière du comte Holnstein. En 1874, Louis II, emporté par ses fantaisies archéologiques, avait voulu venir visiter Paris et Versailles; ce voyage, jugé à Berlin impossible l'année précédente, ne put s'accomplir que parce que le Roi se fit accompagner par le comte Holnstein, qui le suivit de même à Reims, lorsque le romantique héritier des Wittelsbach désira étudier le théâtre du couronnement de Charles VII sous les yeux de Jeanne d'Arc.

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Ce trait particulier de la situation dans laquelle se trouvait la cour de Bavière en 1878 permet de mesurer la valeur des avances qu'on vit le grand écuyer faire à Mer Aloysi Masella, dès le milieu de mars. Une première fois, dans les salons d'une des princesses de la maison royale, l'archiduchesse Gisèle, le comte Holnstein avait dit au nonce : « Monseigneur, nous devrions nous réconcilier, et unir nos efforts contre l'ennemi commun le socialisme. » Ces paroles étaient d'autant plus significatives que, très peu de temps auparavant, le grand écuyer affectait, comme la plupart des personnages de la cour, de se tenir éloigné du représentant du Saint-Siège. La tension qui avait amené cet état de choses durait encore en 1877, lorsque Mgr Bianchi avait quitté Munich pour venir occuper un poste cardinalice à Rome, et on

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