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Exegit monumentum ære perennius
Regalique situ pyramidum allius

Quod non imber edax, non Aquilo impotens

Possit diruere, aut innumerabilis '

Annorum series, aut fuga temporum.

J'aurais aimé pouvoir vous féliciter, comme j'espérais pouvoir le faire, de l'acceptation par votre législature du projet que les représentans patiens et laborieux de nos deux pays ont récemment conçu pour le règlement des différends de moindre importance qui existent entre nous. Je dis «< de moindre importance » à dessein, car je ne puis penser qu'il s'élève jamais de contestation sérieuse entre nous sur des sujets qui touchent notre honneur ou notre dignité mutuels. Nous n'avons pas plus les uns que les autres, j'en ai la ferme confiance, l'idée, non plus que l'intention d'enfreindre nos droits respectifs et assurés; et les divergences et les discussions qui pourraient s'élever entre nous ne proviendront jamais que de malentendus qu'un tribunal d'arbitrage résoudra aisément. Je ne mets pas en doute que le bon sens des deux nations finira par triompher de tous les préjugés que l'on élève encore contre pareille méthode d'arrangement. J'ai des raisons. personnelles de le croire, ayant eu moi-même à jouer ce rôle d'arbitre entre le gouvernement des États-Unis et celui du Danemark, dans une circonstance où je dus décider contre votre pays, et où je vis ma décision acceptée sans ombre de difficulté.

C'est donc du fond du cœur que je désire voir se conclure un accommodement qui, non seulement resserrera les liens qui nous unissent, mais donnera encore au monde civilisé un louable exemple. Pourrait-il être exemple plus frappant de la réalité du sentiment qui unit le pays de Washington à la mère patrie que la vue de juges choisis dans votre Cour suprême, siégeant avec des membres de notre Cour suprême de Judicature pour arrêter et déclarer les principes du droit international? Et, quel tribut plus juste que celui-là pourrions-nous rendre à la mémoire du grand homme dont une fois encore je citerai les paroles : « Il n'y a qu'une voie droite chercher la vérité et la poursuivre fermement »>?

Je bois à cette mémoire: ESTO PERPETUA!

LA SCIENCE ET L'AGRICULTURE

LES PLANTES DE GRANDE CULTURE

IV 4)

LA BETTERAVE A SUCRE

La fabrication du sucre de betteraves date du commencement du siècle. On se rappelle que, pour réduire l'Angleterre, l'Empereur essaya de ruiner son commerce en établissant le blocus continental. Le sucre, exclusivement produit jusque-là dans les régions tropicales, n'entrant plus que par fraude et en petites quantités, atteignit des prix excessifs. On essaya naturellement de l'extraire de quelques-uns des végétaux qui croissent dans nos contrées, et après des tentatives infructueuses, on remit en lumière d'intéressantes expériences exécutées en Allemagne depuis plusieurs années.

En 1757, un chimiste nommé Margraff avait reconnu que la racine de la betterave renferme un sucre identique à celui qu'on extrait des cannes. Un de ses élèves, Achard, appartenant à une famille française émigrée lors de la révocation de l'Édit de Nantes, avait même installé une fabrique de sucre de betteraves qui avait bientôt périclité. Instruit de cet essai, l'Empereur ordonna qu'il fût repris; grâce à de larges subventions, la culture de la betterave s'établit dans plusieurs départemens, des fabriques s'élevèrent, le sucre indigène parut sur le marché, et quand l'Empire tomba, la nouvelle industrie était établie.

(1) Voyez la Revue du 1er décembre 1896.

A plusieurs reprises cependant, elle faillit disparaître : le sucre, toujours considéré comme un aliment de luxe, avait été dès l'origine frappé d'un lourd impôt maintenu par les divers gouvernemens qui se succédèrent dans notre pays. Si l'on n'avait demandé à cet impôt que les sommes considérables qu'il peut fournir, il n'aurait que retardé l'essor de la nouvelle industrie en diminuant la consommation sans déterminer de crise fatale. Il n'en fut pas ainsi; on fit de cet impôt une arme de protection, et dès lors commença la série des difficultés au milieu desquelles nous nous débattons encore aujourd'hui. Les planteurs des colonies n'avaient pas vu sans inquiétude la prospérité naissante de la nouvelle industrie. Si le sucre de betteraves suffisait à alimenter la consommation de la France, le marché de la mère patrie se fermait devant eux. Ils invoquèrent la nécessité de ne pas laisser périr le faible domaine colonial que nous avaient laissé nos défaites; ils montrèrent qu'il fallait soutenir notre marine marchande en lui assurant le transport des sucres des Antilles et de la Réunion jusqu'en France; ils furent écoutés; et pendant le règne de Louis-Philippe les Chambres discutèrent différentes propositions de loi, écrasant la fabrication du sucre de betteraves en détaxant le sucre colonial ou même, interdisant absolument la production du premier, par le rachat et la fermeture des usines.

Les discussions se continuèrent à la Chambre des députés, de 1839 à 1845. Enfin on trouva le moyen de laisser vivre les deux rivales et dès lors, sûre de l'avenir, la fabrication prit en France une grande extension; jusqu'en 1846, la production était restée inférieure à 35 000 tonnes de sucre raffiné; elle monta cette année là à 46 000 tonnes; dix ans plus tard, elle atteignit 100000 tonnes; en 1865, elle fournit 200 000 tonnes, puis s'éleva successivement à 300 000, 400 000, 500 000 tonnes, et jusqu'à 700 000 tonnes pendant les dernières campagnes.

Il ne faudrait pas croire pourtant que cette augmentation fût le signe d'une grande prospérité. La production a progressé plus vite que la consommation, le prix du sucre a baissé de plus de moitié; de 60 francs les 100 kilos il y a vingt ans, il est tombé aujourd'hui à 25 francs, de telle sorte que l'impôt de 60 francs triple son prix de vente; et si l'État n'abandonnait pas à la fabrication une partie de cet impôt, nombre d'usines fermeraient.

L'impôt de consommation du sucre rapporte chaque année à

l'État 200 millions de francs environ; la culture de la betterave est l'origine des progrès agricoles les plus rapides; il importe donc aussi bien à l'équilibre du budget qu'à la prospérité de notre agriculture que cette belle industrie ne périclite pas, et il est intéressant d'étudier sa situation actuelle.

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La culture de la betterave à sucre, établie dès le début dans le nord-est: l'Aisne, le Nord, le Pas-de-Calais, la Somme, l'Oise, y couvre encore de larges surfaces; elle s'étend en outre dans l'ouest; il existe des sucreries dans l'Eure, Eure-et-Loir et Seineet-Oise; elle descend au sud, dans Seine-et-Marne, le Loiret, l'Indre, la Côte-d'Or, Saône-et-Loire, le Puy-de-Dôme et même jusque dans Vaucluse et le Gard. Pendant une vingtaine d'années, de 1850 à 1870, cette culture fit à la fois la fortune des planteurs et celle des fabricans. Les cultivateurs récoltaient à l'hectare de 40 à 50 tonnes de racines, qu'ils vendaient 20 francs la tonne, réalisant ainsi de 800 à 1000 francs de produit brut à l'hectare; ils rapportaient des sucreries des pulpes de bonne qualité qui leur permettaient d'engraisser un nombreux bétail; leurs terres, enrichies par de copieuses fumures, donnaient après la betterave d'excellentes récoltes de blé. Les nombreuses façons qu'exige la betterave pendant l'été, le travail des usines en hiver, assuraient des salaires relativement élevés aux ouvriers agricoles, et je me rappelle encore avec quel accent de fierté un fermier des environs de Soissons me disait en 1857 : « Monsieur, ici, il n'y a plus de pauvres. » Le sucre se vendant de 60 à 70 francs les 100 kilos, les fabriques réalisaient de beaux bénéfices, bien que leur outillage fût encore assez primitif.

Cette prospérité ne fut pas de longue durée. Tandis que les cultivateurs, continuant à obtenir d'abondantes récoltes, se déclaraient satisfaits, les fabricans, au contraire, se plaignaient de la qualité des racines dont la teneur en sucre devenait trop faible pour que leur traitement continuât d'être avantageux. La betterave, nous l'avons dit déjà, est de toutes les plantes de grande culture celle qui présente dans la composition de sa racine les écarts les plus considérables; on en rencontre parmi elles quelques-unes qui renferment de 15 à 20 centièmes de sucre et d'au

tres de 5 à 6. On conçoit que s'il y a profit à traiter une tonne dans laquelle il existe de 150 à 200 kilos de sucre, il devient onéreux de mettre en œuvre une tonne qui n'en contient que 50 ou 60 kilos. Cette diminution de qualité était réelle; elle s'accentuait à mesure que la culture de la betterave remontait dans le pays à une date plus reculée. Si, au moment de son installation dans une contrée où la culture de la betterave n'était pas habituelle, une usine recevait d'excellentes racines, leur qualité baissait d'année en année. Cette diminution dans la richesse en sucre des racines sembla d'abord apporter un solide appui à l'idée d'épuisement du sol, émise à cette époque par le célèbre chimiste allemand J. von Liebig.

Sa mémorable découverte de la richesse en azote des terres cultivées l'avait entraîné dans une mauvaise voie; persuadé que l'alimentation azotée de la plante est assurée par l'abondance de la matière organique du sol, il avait été conduit à exagérer l'importance très réelle des alimens minéraux. Il s'élevait, dans ses Lois naturelles de l'agriculture, avec une extrême véhémence contre le mode de culture habituellement suivi en Europe. Quand, d'après lui, on n'emploie comme engrais que le fumier de ferme, quand on ne restitue pas au sol les élémens minéraux : acide phosphorique et potasse exportés du domaine à chacune des ventes de récolte; quand on pratique « cette culture spoliatrice », «< cette culture vampire », on arrive fatalement à la ruine. Elle s'annonce déjà; les pommes de terre croissant dans un sol épuisé sont devenues incapables de résister à la maladie. Les betteraves ne renferment plus les quantités de sucre qui s'y rencontrent lorsque, cultivées sur un sol vierge, elles y trouvent tous les élémens minéraux nécessaires à leur développement.

Il est parfaitement certain qu'en portant un sac de blé au marché, on y porte l'acide phosphorique, la potasse et la magnésie que le blé a pris dans les champs du domaine, et que, de même, la vente d'un boeuf implique la disparition du phosphate de chaux de ses os et du phosphate de potasse de ses muscles; et qu'en continuant indéfiniment ces exportations sans apporter au sol autre chose que le fumier, qui ne renferme naturellement qu'une fraction des matières minérales prélevées par les récoltes, on arrive à l'épuisement.

Mais, est-ce bien à cet épuisement hypothétique du sol qu'est due la diminution de qualité des racines portées aux sucreries?

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