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Par sa malice occulte et inuisible,
Alloit chercher les veines et arteres,
Et leur causoit si estranges mysteres,
Danger, douleur de passion et goutte
Qu'on n'y sauroit remede somme toute
Fors de crier, souspirer, lamenter,
Plorer et plaindre, et mort se souhaiter.
Ne ne sceut onc luy bailler propre nom
Nul medecin, tant eust il de renom.
L'vn la voulut Sahaphati nommer,
En Arabic, l'autre ha peu estimer
Que lon doit dire en Latin Mentagra:
Mais le commun quand il la rencontra,
La nommoit Gorre, ou la Verole grosse,
Qui n'espargnoit ne couronne ne crosse.
Pocken l'ont dit les Flamens, et Picards,
Le mal François la nomment les Lombards,
Si ha encores d'autres noms plus de quatre.
Les Allemans l'appellent Groisse blatre. (1)
Les Espaignolz Lesbones (2) l'ont nommee.
Et dit on plus, que la puissante armee
Des forts François à grand peine et souffrance
En Naples l'ont conquise et mise en France,
Dont aucuns d'eux, le Souuenir le nomment,
Et plusieurs faits sur ce content et somment.
Les Sauoysiens, la Clauelà (3) la disent.
Voila comment plusieurs gens en deuisent :
Voila comment Amour le ieune yurongne
Ha fait aux gens grand dommage et vergongne,
Et ne scait on pour ses cloux desclouer,

(1) Grosse blatter grande pustule.

(2) Paquot lit: las Buas.

(3) La clavelée.

Bien bonnement à quel saint la vouer. (1)
Neantmoins aucuns par grace souueraine,
Ont imploré madame sainte Raine. (2)
Les autres ont eu recours à saint Iob.
Peu de gueris en sont, de morts beaucop:
Car regné ha ce trescruel tourment,

Par tout le monde vniuersellement.

Pour donc en brief tous noz propos conclure,
Et mettre à fin ce conte bonne allure,
Las on ha veu les poures patiens
Flater la Mort, et à leur esciens
Par grand desir leur amour l'appeller,
Lassez de viure, et sans rien en celer
Dire qu'amour est mort dure et cruelle
Quand pour vn peu de douceur sensuelle
On est ainsi de mortel mal atteint.

A ceste cause en est obscur et teint

Le nom d'Amour, et de Venus sa mere,
Et la fuyt on comme estrange et amere.
Si à (3) la peur de ce tresgrand diffame

Fait maint preudhomme, et mainte preudefemme,
Dont chasteté qui presque estoit à neant,
Ha reprins bruit par inconuenient

Car quand ce vient qu'à aymer la vertu
L'homme imprudent ne conte vn seul festu,
Et que pour ce de pecher ne se garde,

En la parfin la peine i'en retarde.

Si vaut il mieux tousiours tard que iamais.
Or ay ie dit, si me tais desormais.

(1) Paquot lit se vouer.

(2) « Ste Reine, dont le nom était autrefois prononcé Ste Rogne, est invoquée contre la rogne. » A. Hock, Croyances et remèdes populaires au pays de Liège, p. 170.

(3) Ne faudrait-il pas si ha, ainsi la peur a.....?

LE TIERS CONTE.

Il est assez commun (1) en maints propos,
Comme iadis la cruelle Atropos,

Et Cupido, feirent, par cas estrange,
D'arc et de trousse vn merueilleux eschange
Ainsi que tous aueuglez enyurez.

Et comme ceux qui ont esté naurez,
Depuis ce temps par Atropos la Parque
Encontre Amour ont leué forte marque, (2)
Mesmes vn tas de chanus et vicillars
On ha veu estre amoureux et gaillars,
Lors qu'ilz auoient la mort entre les dens.
Cela n'est rien quant aux griefz accidens
Qu'a procure Cupido ieune enfant,
Luy qui iadis estoit tant triomphant,
Tous nobles cœurs faisans viure et flourir,
Par vn seul trait les ha fait puis mourir :
Et qui plus est, que ie declaire arriere,
De l'arc mortel ietté en la riuiere,
Par le conseil de sa mère Venus,
Mille malheurs meschans en sont venus,
Desquelz font foy et ample tesmoignage,
Goutte es tallons, et boutons au visage,
Que lon acquiert, et seulement pour boire
Vn peu en l'eau trouble, obscure, et noire.
De ce Venus grandement indignee,

(1) Connu ? Ou bien: on raconte communément. (2) marcha, lettres de représailles.

Comblee de dueil, de desplaisir muee,
Pour donner ordre en ce trouble malin,
S'en est allee au haut ciel crystalin,

Ou Iuppiter de tous biens grand donneur
Est triomphant en gloire et en honneur,
Auquel ainsi de sa diserte langue

Voulut trousser humblement sa harangue.

VENVS A IVPPITER

O Iuppiter mon vray Dieu et mon pere,
Dont la vertu tout regit et tempere,
Escoute moy, si en quelque saison
Tu es flexible au moyen d'oraison :
Ie te requiers maintenant orendroit,
Ainsi que Dieu, me vouloir faire droit :
Et comme pere, ou gist vraye amitié,
De moy ta fille auoir quelque pitié.
Ie dis pitié, ô pere tres humain,

Car si mon droit n'est porté de ta main,
Toute ma ioye est nulle et esperdue,
Et de mon filz l'autorité perdue,
Puis qu'à ton œil toute chose est aperte,
Tu congnois bien le dommage et la perte
Que i'ay receu auecques mondit filz
Depuis le iour malheureux et prefix
Qu'il feit eschange ayant vin de trop pots
De son bel arc à celuy d'Atropos.
Lors luy cuidant tirer ses traits insignes,
Bien empennez des plumes de mes cygnes
Dorez, plongez en celestes liqueurs,
Pour inciter en amour tous bons cœurs,
Subitement, dont i'ay vn grief remord,
Il en ha mis maints à cruelle mort.

Ie congnoissant par triste et clere preuue
L'arc tout mortel, le feis mettre en vn fleuue
Duquel l'eau vile, orde, et empunaisie,
Gaste l'Europe, Afrique et toute Asie,
Par maladie, helas si generale,
Que presque c'est macule originale,
Secondement suruenue au grand dam
De tous les filz yssus d'Eue et d'Adam.
A ce moyen (1) mes armes et mon nom,
Et de mon filz le triomphant renom
Passant en bruit celuy de tous les Dieux,
A toutes gens est aussi odieux,

Que d'Atropos noire furent iadis

Les traits meschans, malheureux, et maudits,
En lieu desquelz, ainsi qu'il est notoire,
Iouit de ceux de mon filz plein de gloire,

Dout elle fait triomphe de tirer,

Pour vieux chanus en amours attirer,

Que ie repute auiourdhuy vn venin

Grief et mortel au sexe femenin.

Toy ô grand Dieu qui mets tout en bonne ordre,

Ne seuffre plus vn si vilain desordre,

Le sang t'y meult, la raison t'y prouoque,

Car tout bien fait doit estre reciproque :

Ayde à mon filz lequel ores t'ayda

En tes amours d'Io, et de Leda.

A tout le moins que ton decret iuste ysse,
Pour à moy lasse et luy faire iustice.
A tant finit ses dits Venus venuste,
Et Iuppiter Dieu droiturier et iuste
Luy dit, Ma fille mamie on verra,
Et meurement ma court y pouruoyra.

(1) Par-là.

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