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LES TROIS CONTES

INTITULEZ DE CUPIDO ET D'ATROPOS

dont le premier fot inventé par Seraphin poëte Italien, et traduit par Iean le Maire. Le second et tiers de linuention de maistre Iean le Maire, et ha esté ceste œuure fondee à fin de retirer les gens de folles amours.

LE PREMIER CONTE.

Seigneurs oyez vn bien nouueau propos
De Cupido le Dieu des amourettes,
Et de la Mort qu'on appelle Atropos.
Amour vollant par voyes indiscrettes
Vint rencontrer la Mort qui aussi volle :
Mais il trouua ses costes trop durettes. (1)
Si dit ainsi, O vieille aueugle et folle,
Voir ne te puis, car i'ay les yeux bendez,
Dont en hurtant contre toy ie m'affolle.

Beau sire Dieu, tresmal vous l'entendez,
Respond la Mort, à voix obscure et basse,
l'ay bien affaire, et vous me retardez.

Ton affaire est de mauuais efficace,
Dit Cupido, belle dame, allons boire.
Pas n'est besoin que tousiours mal on face.

Et tu fais bien pis que moy qui suis noire,

(1) Rem. l'entrelacement des tercets à l'italienne. Dans la Concorde des deux langages, J. Le Maire se vante d'avoir introduit le vers tiercet dans la poésie française.

Dit Atropos car tu fais gens languir,
En leur ostant le sens et la memoire.
Et tu les fais en la terre gesir
En grand' douleur, respond le fol enfant,
Ie les fais viure en vn ioyeux desir.

Chacun m'adore, et suis Dieu triomphant:
Mais tout chacun te fuit comme le diable
Tu est trop froide, et ie suis eschauffant.

Tu es vn grand seigneur, et fort notable,
Dit Atropos or sus soyons d'accord,
Appointons nous, allons nous mettre à table.
Qui ia diroit autrement auroit tort,
Dit Cupido, i'ay grand soif ie t'asseure, (1)
Tant ay tiré de mon bel arc et fort.

La Mort respond : mais moy qui tant labeure
A bersaulder (2) de tous les gens et gentes,
En les tuant iour et nuict à toute heure.
Lors en disant les paroles presentes,
Eux deux s'en vont entrer en la tauerne,
Sans point lauer leurs mains tant innocentes.
La Mort beuuoit autant qu'vne cisterne,
Vantant ses faits desquelz elle est ouuriere,
Et les moyens dont les humains prosterne. (3)
Et Cupido redressoit sa banniere,

Disant, comment tant de gens il fait folz,
Et leur fait perdre et maintien et maniere.
De tel estrif on beuuoit à tous coups,
Atropos pleige, et Cupido s'enyure,

Ia ne feront sinon mauuais escots.

L'hoste en voulsist bien tost estre deliure,

(1) Rem. la rime.

(2) de berser ou borser, frapper à coups de flèches. (3) latinisme p. abattre, mettre à terre.

Mais il ne peut, tant sont ilz hansagers. (1)
L'vn fait languir, l'autre nous tolt le viure.

Or nous gard Dieu de leurs cruelz dangers,
Et plus d'Amour, que de Mort rude et felle,
Ie les souhaitte aux vilains estrangers.

Mais qu'aduint il en fin de luy et d'elle?
Le tauernier receut telle monnoye,
Qu'il ha Amour et Atropos rebelle

Tous empennez, (2) ainsi que volle vne oye.
Ilz s'en vont hors puis d'vn lez, puis de l'autre,
Sans dire adieu, sans tenir bonne voye.

La vieille Mort qui tout froisse et espautre,
Par grand mesconte eut saisy l'arc d'Amours
Duquel il naure et poingt Martin et Vautre.

Amour aussi qui tout fait à rebours,
Cuide happer le sien, print l'arc de Mort
Et son carcatz: voulez vous plus beaux tours?
Sans y viser, et sans autre record,
Ilz vont trouuer vne presse mondaine
De toutes gens attendant leur dur sort.

Lors Atropos qui de mal faire peine, (3)
De l'arc changé tira flesches sans nombre :
Amour aussi n'espagne nerf ne veine.

La eut vn bruit tout plein d'horrible encontre,
Et cris trenchans bien pour fendre vne roche :
Mort fait lumière, et Cupido fait ombre.

A chacun coup que Cupido descoche,

(1) de hanse, impôt sur l'entrée des marchandises ? Scheler (Glossaire de Froissart) remplace hansagier par hausagier, traiter avec hausage, hauteur, fierté, maltraiter. Il s'agit donc de deux orgueilleux.

(2) Saisis? V. Godefroy.

(3) s'efforce de faire du mal.

42

LE PREMIER CONTE DE CUPIDO ET D'ATRopos.

Il attaingnoit de mortelle sagette

Ou homme ou femme, à qui la mort approche.
Et à tous coups que faulse Atropos iette,
Elle faisoit homme ou femme amoureux,
Bruslant en flamme, à Cupido subiette.

Maint beau ieune homme alaigre et vigoureux
Y veis ie choir, atteint de mortel dard,
Et maint vieillard d'amours tout langoureux.
O quel abus, de voir vn tel souldard
Seruir Amour, et le ieune mourir,
Laissant Venus et son grand estandart!

Mais quel remède? on n'y peult secourir,
Ainsi est on gourmandé en ce monde,
Par deux meschans qui nous font tous perir.
Or vous allez par grand tristeur profonde
Desesperer de leurs folz accidens:
Sage n'est pas qui trop auant s'y fonde.

Mort et Amour sont lourds et imprudens,
Sans raison nulle, et tous deux aueuglez,
Yurongnes tous, et coquars euidens.

Si Mort est lieffre, (1) et ses faits desreiglez,
Si est Amour dangereux et farouche,
Et tous deux sont d'inconstance accomblez.

Mort ne void goute, et Cupido est louche :
L'vn me menasse, moy l'autre ne conte :
L'vn met en terre, et l'autre met en couche.
Ainsi, seigneurs, ay.acheué mon conte. (2)

(1) lieffre. Gourmand, glouton, sans gêne, libera?
(2) Conte d'Aquilano Seraphino (1446 + 1500).

FIN.

LE SECOND CONTE.

N'ha pas long temps qu'il me fut raconté,
Comment Amour qui s'estoit mesconté,
Print d'Atropos l'horrible et cruel arc,
Dont il occit maintes gens en vn parc.
Or s'en vint il depuis tout yure et las,
Tant eut il prins de vin et de soulas,
Rendre au giron de sa dame de mere
Qu'on dit Venus, or' douce, et puis amere.
Elle est Deesse, de rien il ne luy chaut.
Si dormoit lors dedens vn poesle chaut
Sur vn mol lict de plumettes deslies, (1)
Bien tapissé de verdures iolies.

Tout alentour sont ses Nymphes et Graces
Nues dormans, bien refaites et grasses.
Bon les fait voir ainsi tant rondelettes,
En souspirant bransler leurs mammelettes.
Le poesle estoit bien garni de verrines
Claires luisans, vermeilles, sapphirines,
Souef flairant comme vn beau paradis,
Plein d'oiselets ioyeux et esbaudis,
Qui là dedens vn plaisant bruit menoient,
Et le pourpris en deduit maintenoient.
Quand la suruint ce fol Dieu qu'on maudit,
Chacun dormoit, ainsi comme i'ay dit,
Fors Volupté la niece de Venus,

(1) N'est-ce pas pour delies, délicates, grêles, fines?

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