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Ha Dieux hautains, de bon cœur vous mercie,
Car de mourir bien brief ne me soucie.
l'ay ia trouué, sans aller loing dix pas,
Le seul moyen de mon hastif trespas.
Ie voy vn chien, ie voy vn vieil mastin,
Qui ne mengea depuis hier au matin,
A qui on peult nombrer toutes les costes,
Tant est haï des bouchers et des hostes.
Il ha grand' faim, et ia ses dents aguise
Pour m'engloutir, et menger à sa guise.
Il me souhaitte, et desire pour proye :
Parquoy à luy ie me donne et ottroye.
Si seray
dit vn Acteon naïf,

Qui par ses chiens fut estranglé tout vif.
Attens vn peu vilaine creature,

Tu iouyras d'vne noble pasture.
Attens vn peu, que ceste epistre seule
l'aye acheuee, ains me mettre en ta gueulle,
Si saouleray ton gosier maisgre et glout,
Et tu donras à mon dueil pause et bout.
Mais si tu mets triste fin à mes plaints,
D'autres assez en feras de dueil pleins,
Et en la fin seras triste et dolent,
D'auoir commis vn cas si violent :

Car point n'auras si tost ma mort forgee,
Qu'encor plustost elle ne soit vengee.
Dont ie te prie, ô ma Princesse et dame,

Que quand mon corps verras n'auoir plus d'ame,

Et qu'à tes yeux, pour nouvelle dolente,
On monstrera toute sanguinolente

De ton amy la despouille piteuse,

Et que ma mort si laide et si honteuse,

Te causera dueil et compassion,
N'en prens pourtant ire ne passion :

N'en vueille point ta personne empirer,
Par larmoyer et par trop souspirer :
Car assez as d'autres maux plus patents,
Dont maintes gens se trouuent malcontens.
Mais suffira, (1) sans plus, que tu maudie
La vile beste, outrageuse et hardie,
Qui mon gent corps (du tien enamouré)
Aura ainsi deffait et dessiré.

Lequel neantmoins, sans autre desespoir,
Veult de son gré telle mort receuoir,
Pour le pas clorre à tous tes (2) infortunes,.
De tant de morts, cruelles, importunes.
Quant à l'esprit, saches que sans mensonge,
Il t'apperra assez de fois en songe.
Et te suiura par hayes et buissons,
Sollicitant que les tant ioyeux sons
Des oyselets, en tous lieux te conuoyent,
Et par les bois doucement te resioyent,
Ainsi que celle, à qui doiuent hommage
Tous beaux oyseaux de quelconque plumage.
Aussi diray ie, au gracieux Zephyre,
Que desormais luy seul vente et souspire
Bien souefment, (3) à tout sa douce haleine :
Et que Flora qui de tous biens est pleine,
Voist tapissant de flourettes meslees,
Les champs, les prez, les monts et les valees,
Tant que sembler il puisse que tout rie,
Par ou ira ta noble Seigneurie.

(1) souffira, éd. 1512.

(2) ses, éd. 1528.

(3) On se rappelle la prononciation liégeoise; mais ici la forme est aussi régulière que loyalment: cela dérive des adjectifs parisyllabiques latins en is.

16

PREMIERE EPISTRE DE L'AMANT VERD.

Or adieu donc, Royne de toutes femmes,
La fleur des fleurs, le parangon des gemmes.
Adieu Madame, et ma maistresse chere,
Pour qui la Mort me vient monstrer sa chere. (1)
Mais ne men chaut, mais que sauue tu soye,
Et que iamais n'ayes rien, fors que ioye.
Fay moy grauer sur ma lame marbrine,
Ces quatre vers, aumoins si i'en suis digne.

L'épitaphe de l'Amant Verd.

Souz ce tumbel, qui est vn dur conclaue,
Git l'Amant Verd, et le tresnoble Esclaue.
Dont le haut cœur de vraye amour pure, vure,
Ne peut (2) souffrir perdre sa dame, et viure.

FIN.

Madame à l'Acteur.

Ton escritoire ha si bonne pratique,
Que si m'en crois sera bien estimee.

Parquoy concluds: Ensuis sa Rhetorique :
Car tu scais bien que par moy est aymee. (3)

(1) C'est à cause d'elle que je vois la face de la mort.

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L'édition 1528 met un point à la fin de chaque vers

des deux quatrains.

(3) Ici les éditions antérieures à 1549 placent :

Psitacum Corinne mortuum deflevit Ovidius. (Amor. II, 6).

Statius Papinius Atedii Melioris psitacum mortuum ita ornat, ut non tam cum Ovidio contendere quam eum precessisse videatur.

Psitace, dux Volucram, domini facunda voluptas,

Humane solers imitator, Psitace, lingue.

Quis tua tam subito preclusit munera fato? Psitacus ille plage viridis regnator Eoe,

Ille salutator regum, nomenque loquutus,

Cesareum, etc.

LA SECONDE EPISTRE

DE L'AMANT VERD, A MADAME MARGUERITE

AUGUSTE.

L'AMANT VERD.

Puis que tu es de retour, sauue et saine,
Apres auoir veu le Rin, Meuse, et Seine,
Princesse illustre, et de haute value,
Treshumblement orendroit te salue
Ton seruiteur (iadis de mort couuert,
Et maintenant immortel) l'Amant Verd.
Si fais sauoir à ta ciere noblesse,

Que plus ne crains rien qui me nuise ou blesse
Ains m'entretiens en soulas et en ioye,
Mais que (1) de toy bien souuent parler i'oye.
Car quand i'entens le nom de ta personne,
Dont le record si doux cymbale et sonne,
Ie tressaux tout de l'amoureux desir,
Qui mon gent corps feit en terre gesir.
Lequel neantmoins tu as fait honnorer
De sepulture, et grauer et dorer

Mon epitaphe, en marbre de porphyre,
Tant qu'il me doit bien hautement suffire.
Car tant l'ont leu de Roys, Princes et Ducz,

Que mes beaux faits iamais ne sont perdus.
Et tant l'ha veu mainte Princesse noble,

(1) Pourvu que.

Que mon bruit va iusques Constantinoble,
Si m'est ma mort plus belle et specieuse,
Que ne fut onc la vie gracieuse.

Veu que mon nom, mes armes, et mon tiltre,
Sont ennoblis par celle triste epistre (1)
Que l'escriuis quand la mort me pressoit,
Et le plaisir de viure descroissoit.
Dont maintenant maintes dames la lisent,
Et entredeux (2) les piteux mots eslisent,
Pour en auoir quelque compassion.
Cela leur est noble occupation,

Dont de bon cœur te loue et remercie,
Et à toute heure aparmoy me soucie,
Par quel moyen (si loing de toy absent)
Te pourray faire aucun soulas decent,
Pour me monstrer auoir plus grand' enuie
De te seruir, qu'onques ie n'euz envie.

Si ne te puis autre seruice faire,
Que t'aduertir de tout le mien affaire
Depuis ma mort, et mon separement,
Que d'auec toy ie feis amerement.

Mais ie te pry, que s'en mon autre lettre
Dueil m'ha contraint des mots rigoureux mettre,
Ta grand' clemence vn peu vueille excuser
Force d'amours, qui me feit abuser.
Suppliant oultre (autant que tu m'as cher)
Que cest escrit ne te vueille facher

S'il est prolixe, et si ie te raconte

Des regions dont peu de gens font conte.

(1) Remarquer cette rime. Plus haut ducz et perdus; mais plus tard,

on disait « Il ne faut forcer les mots en ucs de rimer à ceux en us; car il y a trop de contrainte. » Thurot, 1. 1. II, 67.

(2) Dans l'intervalle.

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