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donné congé, me le debvoient-ils demander? J'avois jeudy au soir cinq mille gentizlhommes; samedy à midy je n'en ay pas cinq cens. De l'infanterie le dèsbandement est moindre, bien que tres-grand. Le conseil avoit esté bien tenu, les resolutions bien prinses, les subjects de bien faire tres beaux, les soldats ennemys estonnez, leurs villes effroyées; mais qui, ainsy que Dieu, peut faire quelque chose de rien? Pour avoir la cognoissance de tout ce que dessus plus que nul, et pour y estre plus interessé en l'honneur et au proffict que nul, j'en porte plus de regret. Je monte à cheval et vais faire revue de mes restes, puis prendre résolution de ce que j'auray à faire; de quoy je vous advertiray. Bonjour, ma chere sœur. Ceulx qui n'ont point esté à Amiens doibvent estre bien honteux. Jugés que doibvent estre ceulx qui m'y ont laissé. Ce XXVIIJе septembre.

HENRY.

HARANGUE DU ROY A L'ASSEMBLÉE DES NOTABLES

TENUE A ROUEN (1).

Si je voulois acquérir le tiltre d'orateur, j'aurois apprins quelque belle et longue harangue, et la vous prononcerois avec assés de gravité; mais, Messieurs, mon desir me poulse à deux plus glorieux tiltres, qui sont de m'appeller libérateur et restaurateur de cest Estat, pour à quoy parvenir, je vous ay assemblez. Vous sçavés a vos dépens, comme moy aux miens, que lorsque Dieu m'a appellé à ceste couronne, j'ai treuvé la France, non seulement quasy ruinée, mais presque toute perdue pour les François. Par la grace divine, par les prières et bons conseils de mes serviteurs qui ne font profession des armes, par l'espée de ma brave et genereuse noblesse (de laquelle je ne distingue point les princes, pour estre nostre plus beau tiltre, foy de gentilhomme), par mes peines et labeurs, je l'ay sauvée de la perte :

(1) La Ligue et les guerres contre l'étranger avaient épuisé la France, et les finances se trouvaient dans le plus triste état. Les impôts ordinaires ne pouvaient plus suffire, il fallait les augmenter ou en créer de nouveaux. C'est dans cette pénible circons ance que, le 4 novembre 1596, Henri IV adressa aux notables qui siégeaient à Rouen cette harangue où il les priait de lui donner un conseil, et de déterminer eux-mêmes les moyens qu'il fallait employer pour augmenter le budget, tout en évitant d'imposer au peuple de trop lourdes charges.

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CE QUE DIT LE ROI A MESSIEURS DU PARLEMENT. sauvons-la astheure (1) de la ruine. Participés, mes chers subjects, à cette seconde gloire avecque moy, comme vous avés faict à la première. Je ne vous ay point appellez, comme faisoient mes prédecesseurs, pour vous faire approuver leurs volontez ; je vous ay assemblez pour recevoir vos conseils, pour les crere (2), pour les suivre, bref, pour me mettre en tutelle entre vos mains: envie qui ne prend gueres aux roys, aux barbes grises et aux victorieux. Mais la violente amour que je porte à mes subjets et l'extreme envie que j'ay d'adjouster ces deux beaux tiltres a celuy de roy me font treuver tout aysé et honorable. Mon chancelier vous fera entendre plus amplement ma volonté.

Prononcée par le roy, à Rouen, le lundy, après disner, le 4 novembre 1596.

CE QUE LE ROY A DIT A MESSIEURS DU PARLEMENT,
LE 13e AVRIL 1597, A PARIS.

Messieurs, ce n'est pas seulement le soing de pourveoir à ma santé qui m'a faict revenir de la frontiere de Picardie, mais bien pour exciter un chacun de penser aux necessitez qui paroissent; estimant que nul ne pouvoit ny mieux ny avec plus de force représenter le mal et procurer les remedes. Vous avés, par vostre piété, secouru, l'année passée, infinis pauvres souffreteux qui estoient dans vostre ville; je vous viens demander l'aulmosne pour ceux que j'ay laissez sur frontière. Vous avés secouru des personnes qui estoient dans les rues sur les tabliers, ou accaignardez près du feu; je vous demande l'aulmosne pour des gens qui ont servi, qui servent nuiet et jour, et employent leur vie pour vous tenir en repos. Je désire, Messieurs, qu'on tienne une assemblée generale en ceste ville mardy prochain, affin que, comme aultrefois, en pareilles occasions, on a fait un effort pour scourir l'Estat qui n'étoit si foible, ni si alanguy qu'il est à present, et, par consequent, la charité plus aisée, chacun contribue a ce besoing. J'ay esté sur la frontiere, j'ay fait ce que j'ay peu pour asseurer les peuples; j'ay treuvé, y arrivant, que ceulx de Beauvais s'en venoient en ceste ville, ceulx des environs d'Amiens à Beauvais. J'ay encouragé ceulx du plat pays; j'ai faict fortifier leurs clochers; et fault que vous die, Mes

(1) A présent.

(2) Croire.

sieurs, que les oyant crier a mon arrivée, vive le Roi! ce m'estoit aultant de coups de poignard dans le sein, voyant que je serois constrainct de les abandonner au premier jour. Il n'y fit jamais plus beau sur la frontière : nos gens de guerre pleins de courage et d'ardeur, le peuple mesme, qui est entre Amiens et Doulens, plus voisins des ennemys, plus resolus, de s'opposer à leurs armes. Nous avons des nécessitez, nos ennemys n'en sont pas exempts; c'est chose que nous avons apprins par leurs lettres mesmes. Ils n'ont encore eu moyen de jetter des hommes dans Amiens, et ce m'est un regret incroyable de voir perdre tant de belles occasions. J'ay tenté des entreprinses; nous y avons apporté tout ce qui estoit des hommes: Dieu ne l'a pas voulu : il a faliu subir à son ordonnance; encor est-ce beaucoup d'avoir essayé à les executer, et beaucoup de terreur à nos ennemys de l'avoir osé entreprendre. Messieurs, je feray ma diette à Saint-Germain, sans qu'elle m'empesche d'entendre les affaires generales, mais bien les particulières, à quoy on n'a que trop songé. Je vous prie, assemblés-vous, car, si on me donne une armée, j'apporteray gaiement ma vie pour vous sauver et relever l'Estat; sinon, il faudra que je recherche des occasions, en me perdant, donner ma vie avec honneur, aimant mieux faillir à l'Estat que si l'Estat me failloit. J'ay assez de courage et pour l'un et pour l'aultre.

SAINT FRANÇOIS DE SALES.

Quand cet illustre saint écrivit les beaux livres qui sont le charme et la consolation des âmes pieuses, il n'appartenait point à la France, car il est né en 1567, au château de Sales, près d'Annecy en Savoie. Aujourd'hui nous pouvons, à bon droit, le réclamer comme un des nôtres, depuis que la Savoie est devenue un département français. Évêque, fondateur d'ordres religieux, écrivain mystique, François de Sales a donné l'exemple de toutes les vertus chrétiennes, et il a laissé dans ses œuvres le modèle achevé de cette littérature mélancolique et tendre qui est tout à la fois un soupir et une prière, et qui rapproche les âmes de Dieu, en les transportant audessus des agitations du monde dans les régions sereines de la méditation. Saint François de Sales est mort en 1622; il a été canonisé en 1865. Ses œuvres complètes ne forment pas moins de seize volumes in-8°. Son Traité de l'amour de Dieu, ses Entretiens spirituels, et surtout l'Introduction à la vie dévote, sont des chefsd'œuvre d'onction et de grâce exquise, où l'auteur conduit, par la foi, l'homme à la perfecfion.

LA DEVOTION.

QUE LA DEVOTION EST CONVENABLE A TOUTES SORTES
DE VOCATIONS ET PROFESSIONS.

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Dieu commanda en la création aux plantes de porter leurs fruicts chascune selon son genre; ainsi commande-t-il aux chrestiens, qui sont les plantes vivantes de son Eglise, qu'ils produisent des fruicts de dévotion, un chascun selon sa qualité et vocation. La devotion doit estre differemment exercée par le gentilhomme, par l'artisan, par le valet, par le prince, par la vefve, par la file, par la mariée; et non seulement cela, mais il faut accommoder la practique de la devotion aux forces, aux affaires et au devoir de chaque particulier. Je vous prie, scroit-il à propos que l'evesque voulust estre solitaire, comme les Chartreux? Si l'artisan estoit tout le jour à l'église, comme le religieux, et le religieux toujours exposé à toutes sortes de rencontres pour le service du prochain comme l'esvesque, cette devotion ne seroit-elle pas ridicule, dereglée et insupportable? Cette faute neantmoins arrive bien souvent, et le monde qui ne discerne pas, ou ne veut pas discerner entre la devotion et l'indiscretion de ceux qui pensent estre devots, murmure et blasme la devotion, laquelle neantmoins ne peut mais de ces desordres.

Non, la devotion ne gaste rien quand elle est vraye, ains elle perfectionne tout et lors qu'elle se rend contraire à la legitime vocation de quelqu'un, elle est sans doute fausse. L'abeille, dit Aristote, tire son miel des fleurs, sans les interesser, les laissant entieres et fraisches, comme elle les a trouvées; mais la vraye devotion fait encore mieux, car non seulement elle ne gaste nulle sorte de vocation ny d'affaires, ains au contraire elle les orne et embellit. Toutes sortes de pierreries jetées dedans le miel en deviennent plus esclatantes, chascune selon sa couleur ; et chascun devient plus agreable en sa vocation, la conjoignant à la devotion. Le soin de la famille en est rendu paisible, l'amour du mary et de la femme plus sincère, le service du prince plus fidele, et toutes sortes d'occupations plus suaves et aimables.

C'est une erreur, ains une heresie de vouloir bannir la vie devote de la compagnie des soldats, de la boutique des artisans, de la cour des princes, du menage des gens mariez. Il est vray, que la devotion purement contemplative, monastique et religieuse, ne peut estre exercée en ces vocations-là. Mais aussi, outre ces trois sortes de devotions, il y en a plusieurs

autres propres à perfectionner ceux qui vivent és estats seculiers. Il est mesme arrivé que plusieurs ont perdu la perfection en la solitude, qui est neantmoins si desirable pour la perfection, et l'ont conservée parmy la multitude, qui semble si peu favorable à la perfection. Où que nous soyons, nous pouvons et devons aspirer à la vie parfaite.

LE PARADIS.

Considérez une belle nuict bien seraine, et pensez combien il fait bon voir le ciel avec cette multitude et varieté d'estoiles : ot joignez maintenant cette beauté avec celle d'un beau jour, en sorte que la clarté du soleil n'empesche point la claire veuë des estoiles ny de la lune ; et puis après dites hardiment que toute cette beauté mise ensemble n'est rien au prix de l'excellence du grand paradis : ò que ce lieu est desirable et aimable! que cette cité est precieuse!

Considérez la noblesse, la beauté et la multitude des citoyens et habitans de cet heureux pays : ces millions de millions d'anges, de cherubins et seraphins, cette troupe d'apostres, de martyrs, de confesseurs, de vierges, de sainctes dames, la multitude est innumerable. O que cette compagnie est heureuse ! Le moindre de tous est plus beau à voir que tout le monde ! Que sera-ce de les voir tous ? Mais, mon Dieu, qu'ils sont heureux; tousjours ils chantent le doux cantique de l'amour eternel; tousjours ils jouissent d'une constante allegresse; ils s'entredonnent les uns aux autres des contentemens indicibles, et vivent en la consolation d'une heureuse et indissoluble societé.

Considérez enfin quel bien ils ont tous de jouir de Dieu, qui les gratifie pour jamais de son aimable regard, et par iceluy respand dedans leurs cœurs un abysme de délices. Quel bien d'estre à jamais uny à son principe! Ils sont là comme des heureux oyseaux, qui volent et chantent à jamais dedans l'air de la divinité, qui les environne de toutes parts de plaisirs incroyables là chascun à qui mieux mieux, et sans envie, chante les louanges du Createur : benis soyez-vous à jamais, nostre doux et souverain createur et sauveur, qui nous estes si bon et nous communiquez si liberalement vostre gloire; et reciproquement Dieu bénit d'une benediction perpetuelle tous ses saincts. Bénistes soyez-vous à jamais, dit-il, mes cheres creatures, qui m'avez

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