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retira à Blois, où nos plus fameux capitaines avaient assigné le rendez-vous de leurs troupes, dont ils voulaient former un gros pour faire un puissant effort. Son retour les ayant remplis de joie et de bonue espérance, ils charg rent un grand convoi sur des bateanx, et sept mille hommes avec, pour le défendre. Au même temps qu'il approcha de la ville, elle assaillit les ennemis par terre avec cinq cents ho umes d'armes, et les assi gés firent une furieuse sortie pour seconder son entreprise, tellement qu'elle et le convoi entrèrent dans la ville. Dunois, Xaintrailles, et tous les capitaines la vinrent recevoir, et le peuple se mettait à genoux devant elle par les rues, lui baisait les pieds, et même honorait le cheval sur lequel elle était montée. Depuis, chaque jour, les assiégés recevaient secours d'hommes et de vivres; et, presque égaux aux as-iégeants en force, mais beaucoup plus forts en courage, d'assaillis ils devinrent assaillants, et osèrent bientôt attaquer leurs forts. » Tel est dans sa simplicité héroïque et naïve le récit de Mézeray.

Les Anglais, malgré tous leurs efforts, furent contraints, le 8 mai 1429, de lever le siége d'Orléans. Jeanne d'Arc conduisit Charles VII à Reims, pour le faire sacrer, et confirmer aiui, par la double autorite de la religion et de la volonté nationale, son titre de roi de France. Quand elle eut accompli, dans l'espace de quelques mois, toutes ces merveilles de courage et de patriotisme, elle voulut retourner dans son village, disant que sa mission était terminée; mais on la supplia de rester Elle céda à ces instances, se jeta dans Compiègne assiégée par les Bourguignons, alliés des Anglais, pour défendre cette ville comme elle avait défendu Orléans, et fut prise dans une sortie le 24 mai 1430. Jean de Luxembourg, qui commandait les Bourguignons, la vendit aux Anglais, moyennant 10,000 livres, et ceux-ci, pour venger leurs nombreuses défaites, la condamnèrent à être brûléc vive, comme sorciere. Cette odieuse sentence, rendue par des juges dignes, qui violerent les plus simples notions de la justice et du uroit, fut exécutée à Rouen, le 30 mai 1431.

L'histoire n'offre rien de comparable à la vie et à la mort de Jeanne d'Are; cette sainte et courageuse femme, unissait aux plus grandes inspirations de la foi le génie des armes et de la politique. La première, elle devina les grands principes de la guerre moderne, et elle porta, dans ses campagnes, une sûreté de coup d'œil et une rapidité d'execution qui fout pressentir la tactique des Turenne, des Condé, des Napoléon. Pendant son procès, elle se défendit avec une raison et une éloquence admirables, et la lettre qu'on va lire est sans contredit l'un des plus beaux monuments de notie littérature historique.

JHESUS MARIA. †

Roi d'Angleterre, et vous due de Bedfort, qui vous dites régent du royaume de France; vous, Guillaume de la Poule, comte

LETTRE AUX ANGLAIS.

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de Sulfort; Jehan, sire de Talebot; et vous, Thomas, sire d'Escales, qui vous dites lieutenants dudit Bedfort, faites raison au roy du ciel; rendez à la Pucelle, qui est envoyée de par Dieu, le roy du ciel, les clefs de toutes les bonnes villes que vous avez prises et violées en France. Elle est cy venue de par Dieu pour réclamer le sang royal (1). Elle est toute prete de faire paix, si vous voulez lui faire raison, par ainsi (2) que France vous mettrez jus et paierez ce que vous l'avez tenu. Et, entre vous, archers, compagnons de guerre, gentils (3) et autres, qui estes devant la ville d'Orléans, alez vous-en en votre païs, de par Dieu, et, si ne le faites, attendez les nouvelles de la Pucelle qui vous ira voir brièvement (4) à vos bien grands dommages. Roy d'Angleterre, se ainsi ne le faictes, je suis chief de guerre, et, en quelque lieu que je atteindrai vos gens en France, je les en feray aler, veuillent ou non veuillent. Et, si ne veullent obéir, je les feray tous occire. Je suis cy envoyée de par Dieu, le roy du ciel, corps pour corps, pour vous bouter hors de toute la France. Et, si veullent obéir, je les prendray à merci. Et n'ayez

point en vostre oppinion (5), quart vous ne tendrez point le royaume de France de Dieu, le roy du ciel, filz saincte Marie; mais le tendra le roy Charles, vray héritier, car Dieu, le roy du ciel, le veult, et lui est révélé par la Pucelle. Lequel entrera à Paris à bonne compaignie. Si ne voulez croire les nouvelles de par Dieu et la Pucelle, en quelque lieu que vous trouverons, nous férirons (6) dedans, et y ferons un si grand hahai que encore y a-t-il mille ans qu'en France ne fut si grand, si vous ne faictes raison. Et croiez fermement que le roy du ciel enverra plus de force à la Pucelle que vous ne lui sariez mener de tous assaulz, à elle et à ses bonnes gens d'armes, et aux horions verra on qui ara meilleur droit de Dieu du ciel ou de vous.

Vous duc de Bedfort, la Pucelle vous prie et vous requiert que vous ne fassiez point détruire. Se vous lui faictes raison, encore pourrez vous venir en sa compagnie, là où les François feront le plus beau fait qui oncques (7) fut fait pour la chrestienté.

(1) C'est-à-dire pour rétablir le roi Charles VII dans son autorité. (2) A condition que vous renonciez à la France et que vous l'indemnisiez.

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Et faites response se vous voulez faire paix en la cité d'Orléans; et, se ainsi ne le faites, de vos bien grands dommages vous souviegne brievement. Escrit ce mardi semaine sainte (22 mars). »

PHILIPPE DE COMMINES.

Les Mémoires que nous a laissés cet écrivain ne sont point seulement curieux à étudier sous le rapport historique, mais encore sous le rapport littéraire, parce qu'ils marquent dans notre langue un progres très-notable, qu'ils forment la transition entre le moyen âge et l'époque moderne, et qu'ils constatent une nouvelle manière d'écrire l'histoire : « Commines, dit M. Nisard (1), n'est plus le chroniqueur complaisant qui fait payer innocemment à la vérité les frais de l'hospitalité des princes qui l'hébergent, ni l'indiciaire officiel qui fait du récit un panégyrique; c'est un homme d'Etat qui juge les choses et les hommes, non sans se tromper, mais sans s'amuser de sa matière, comme Froissart, sans la travestir, comme Christine de Pisan... L'histoire, dans ses écrits, se révèle par quelques qualités dont s'est enrichi l'esprit français. Tracer d'une main impartiale les portraits des grands personnages, réfléchir sur les événements et les caracteres des peuples, comparer leurs institutions, distinguer la bonne politique de la mauvaise, indiquer des progrès à faire, des réformes à opérer, enfin regarder l'histoire comme un enseignement, voilà ce qui donnait à Commines le droit de prendre le titre d'historien. »>

Né en Flandre en 1445, Commines, au milieu des continuelles agitations de son époque, traversa plus d'un parti. Il fut successivement attaché à Philippe le Bon, duc de Bourgogne, à Charles le Téméraire, qu'il abandonna en 1472 pour passer au service de Louis XI. A la mort de ce prince, il fut admis dans les conseils de la régente Anne de Beaujeu; mais comme il avait prêté les mains aux projets du duc d'Orléans, qui était hostile à Anne de Beaujeu, celle-ci le fit enfermer à Loches dans une de ces cages de fer imaginées par Louis XI et que l'on appelait les fillettes du roi; mais il ne tarda point à rentrer en faveur. Charles VIII lui confia plusieurs missions importantes dont il s'acquitta avec succès. Sous Louis XII, il rentra dans la vie privée, pour se livrer tout entier à la composition de ses Mémoires, et il mourut à Argenton-le-Château en 1509. Tour à tour chambellan du roi Louis XI, sénéchal de Poitou, soldat, diplomate, ambassadeur, Commines prit part aux plus célèbres batailles et aux négociations les plus importantes de son époque. Ses Mémoires se rapportent plus particulièrement à Louis XI. Voici le portrait de

(1) Histoire de la littérature française. Paris, 1863, in-18, 3e édition, tome I, page 81.

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ce prince tel que le trace Commines, en divers passages que nous réunissons dans un même cadre.

LOUIS XI.

Il estoit si heureux en tous ses faits, qu'il sembloit que toutes choses allassent à son plaisir; mais aussi son sens aidoit bien à luy faire venir cet heur, car il ne mettoit rien à hazard et ne vouloit pour rien chercher les batailles.

Une graceluy fit Dieu; car, comme il l'avoit créé plus sage, plus libéral et plus vertueux en toutes choses que les autres princes qui régnoient avec luy et de son temps, et qui estoient ses ennemis et voisins, avec ce qu'il les passa en toutes choses, aussi les passa-t-il en longueur de vie : en luy avoit trop plus de choses appartenantes à office de roy et de prince, qu'en nul des autres.

Incessament disoit quelque chose de sens : et devant sa maladie jamais n'avoit souffert de sa personne, mais tant avoit esté obéi, qu'il sembloit quasi que toute l'Europe ne fut faite que pour lui porter obéissance : parquoy le petit qu'il souffroit contre sa nature et accoustumance luy estoit plus grief à porter.

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Oncques homme ne craignit plus la mort, et ne fit tant de choses pour y cuider mettre remède, comme luy et avoit tout le temps de sa vie, à ses serviteurs, et à moy comme à d'autres, dit et prié, que si on le voyoit en nécessité de mort, que l'on ne luy dit, fors tant seulement, Parlez peu et qu'on l'émeust seulement à soy confesser, sans luy prononcer ce cruel mot de la mort; car il luy sembloit n'avoir pas cœur pour ouïr une si cruelle sentence: toutesfois il l'endura vertueusement, et toutes autres choses, jusques à la mort, et plus que nul homme que jamais j'aye veu mourir...

Il est vray qu'il avoit fait de rigoureuses prisons, comme cages de fer, et autres de bois, couvertes de plaques de fer par le dehors et par le dedans, avec terribles ferrures, de quelques huict pieds de large, et de la hauteur d'un homme, et un pied plus...

Autresfois avoit fait faire à des Allemans des fers très-pesans et terribles pour mettre aux pieds: et y estoit un anneau, pour mettre au pied, fort mal-aisé à ouvrir, comme à un carquan, la chaine grosse et pesante, et une grosse boule de fer au bout, beaucoup plus pesante que n'estoit de raison, et les appelloit-on les fillettes du roy...

Ledit seigneur, vers la fin de ses jours, fit clorre tout l'en

tour sa maison du Plessis-les-Tours de gros barreaux de fer, en forme de grosses grilles; et aux quatre coins de sa maison, quatre moineaux de fer, bons, grands et espais. Lesdites grilles estoient contre le mur, du costé de la place, de l'autre part du fossé car il estoit à fonds de cuve, et y fit mettre plusieurs broches de fer, massonnées dedans le mur, qui avoient chacune trois ou quatre pointes, et les fit mettre fort près l'une de l'autre ; et davantage ordonna dix arbalestriers dedans lesdits fossez, pour tirer à ceux qui en approcheroient, avant que la porte fut ouverte ; et entendoit qu'ils couchassent ausdits fossez, et se retirassent ausdits moineaux de fer il entendoit bien que cette fortification ne suffisoit pas contre grand nombre de gens, ne contre une armée; mais de cela il n'avoit point de peur : seulement craignoit-il que quelque seigneur, ou plusieurs, ne fissent une entreprise de prendre la place de nuict, demy par amour et demy par force, avec quelque peu d'intelligence; et que ceuxlà prissent l'authorité, et le fissent vivre comme homme sans sens, et indigne de gouverner.

Pour tout plaisir il aimoit la chasse, et les oiseaux en leurs saisons; mais il n'y prenoit point tant de plaisir comme aux chiens. Des dames il ne s'en est point meslé.

La chasse avoit quasi autant d'ennuy que de plaisir, car il y prenoit grande peine; pourtant qu'il couroit les cerfs à force, et se levoit fort matin, et alloit aucunes fois loin, et ne laissoit point cela pour nul temps qu'il fist : et ainsi s'en retournoit aucunes fois bien las, et quasi tousiours courroucé à quelqu'un ; car c'est matière qui n'est pas tousiours au plaisir de ceux qui la conduisent toutesfois il s'y cognoissoit mieux que nul homme qui ait régné de son temps, selon l'opinion de chacun.

Le plaisir qu'il prenoit estoit peu de temps en l'an : et estoit en grand travail de sa personne. Le temps qu'il reposoit, son entendement travailloit, car il avait affaire en moult de lieux: et se fut aussi volontiers empesché des affaires de ses voisins comme des siens, et mis gens en leurs maisons, et departy les authoritez d'icelles. Quand il avoit la guerre, il desiroit paix ou trefve quand il avoit paix ou trefve, à grande peine les pouvoit-il endurer. De maintes menuës choses de son royaume se mesloit, dont il se fut bien passé ; mais sa complextion estoit telle, et ainsi vivoit. Aussi sa mémoire estoit si grande, qu'il retenoit toutes choses, et cognoissoit tout le monde, et en tous païs, et à l'entour de luy.

:

Je croy que depuis son enfance il n'eut jamais que tout mal

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