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DEPUIS SES ORIGINES JUSQU'A NOS JOURS.

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remplit à elle seule l'année entière (1). » Toutes les chroniques cependant n'ont point cette aridité, et l'on trouve dans l'Histoire ecclésiastique des Francs, de Grégoire de Tours, dans Frédégaire, dans les Vies de Dagobert ler et de saint Léger, un certain effort de composition littéraire, des détails pittoresques et une peinture animée des usages et des

mœurs.

La littérature dramatique, qui occupe une si grande place dans la société moderne, disparait complétement dans les bas siècles de la monarchie. Quelques théâtres destinés aux représentations tragiques et comiques avaient été établis par les Romains dans les Gaules; mais on n'en trouve déjà plus trace à l'époque des premières invasions, et jusqu'à la fin du huitième siècle tout se borne à quelques spectacles populaires, dont les acteurs ambulants furent désignés d'abord sous l'ancien nom romain d'histrions, puis sous le nom de chanteurs et en dernier lieu sous celui de jongleurs. Ces acteurs se montraient principalement dans les foires; ils jouaient en plein vent, et se faisaient suivre par des bouffons et des mimes, qui accompagnaient leurs chants avec des gestes et de la musique. Le sujet de ces chants était le plus souvent tiré de la vie des saints, ce qui n'empêcha point les jongleurs de se livrer à de si grands désor dres que Charlemagne fut forcé d'interdire l'exercice de leur profession, et on a tout lieu de croire qu'ils ne reparurent que sous le règne de Robert.

Si nous résumons maintenant en quelques mots les détails qu'on vient de lire, voici les principaux faits que nous avons à constater, depuis les àges les plus reculés jusqu'au huitième siècle de la monarchie française disparition absolue de tous les monuments de la culture intellectuelle des Gaules et des derniers vestiges de la langue gauloise elle-même. Avénement de la civilisation et de la littérature grecques sur le littoral méditerranéen dès l'an 600 avant notre ère;· avénement de la civilisation romaine et de la littérature latine avec la conquête de César; décadence et stérilité de cette littérature; — développement général du christianisme vers le quatrième siècle, et, par suite de ce développement, prédominance absolue de la littérature religieuse. Nous n'avons pas besoin d'ajouter que tout en (1) Patria, col. 1834.

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brisant avec les traditions païennes, la Gaule avait gardé la langue de Rome. Postérieurement à la conquête franque, tous les ouvrages, de quelque nature qu'ils soient, continuent à être écrits en latin, et ces ouvrages, à de trèsrares exceptions près, ont pour auteurs des évêques, des prêtres ou des moines, car au milieu de ce chaos sanglant de la Gaule romaine et franque, où Dieu, suivant l'expression de Salvien, broyait les peuples pour les rajeunir, c'était dans l'Église, et dans l'Eglise seule que s'étaient réfugiés toutes les lumières, toutes les vertus, les grands souvenirs et les saintes espérances.

III

L'anarchie profonde dans laquelle la France était plongée sous les derniers Mérovingiens porta le coup le plus fatal aux sciences et aux lettres; mais l'avénement de la seconde dynastie, en plaçant le pouvoir entre des mains énergiques, rendit momentanément l'ordre et le repos à la société laïque et religieuse, et prépara la renaissance à laquelle le génie de Charlemagne devait donner un si brillant essor. Ce grand homme essaya de reconstituer dans l'empire d'Occident la forte unité de la puissance romaine, et d'opérer, par la civilisation, la fusion des races diverses disséminées dans ses vastes Etats. Pour mener ce projet à bonne fin, il appela du fond de l'Italie, de l'Allemagne et de l'Angleterre, tous les hommes qui lui paraissaient propres à seconder ses vues, et qui s'étaient fait un nom par leur savoir, tels que Paul Warnefride, Alcuin, Leidrade, Pierre de Pise, Théodulfe, Paulin d'Aquilée. En 787, il invita les évêques et les abbés à rétablir, auprès des cathédrales, les écoles ecclésiastiques, qui avaient fini par tomber dans une complète décadence, et, pour prêcher d'exemple, il fonda dans son palais même une sorte d'académie, qui prit le nom d'École palatine, et dans laquelle on étudiait la grammaire, la rhétorique, la · dialectique, l'arithmétique, la géométrie, la musique et l'astronomie. Les membres de cette académie s'étaient tous donné des noms empruntés aux plus illustres souvenirs de l'antiquité sacrée ou profane, et Charlemagne, qui la présidait, y figurait sous le nom de David. Les chroniqueurs nous apprennent que cet illustre chef des Francs fit soumettre à une

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révision sévère les textes de l'Ancien et du Nouveau Testament; qu'il encouragea ce travail en corrigeant de sa main plusieurs copies de la Bible, en conférant la version latine des Évangiles avec la version syriaque et l'original grec, et ils ajoutent qu'il fit recueillir avec le plus grand soin les manuscrits des auteurs classiques de l'antiquité, devenus fort rares, et qu'il en multiplia les exemplaires, en confiant aux moines le soin de les transcrire. L'impulsion qu'il imprima aux études par son exemple et ses encouragements rendit un immense service à la civilisation de l'Occident, et l'influence salutaire s'en fit sentir jusqu'aux dernières années du neuvième siècle.

Il nous reste de la période carlovingienne un nombre d'ouvrages assez considérable, chroniques, traités de philosophie et de théologie, textes de lois, poésies latines, etc.

Parmi les chroniques, les unes, comme celles d'Eginhard, du moine de Saint-Gall, de Nithard, de Thégan se rapportent particulièrement soit à la personne de Charlemagne, soit aux événements généraux du huitième et du neuvième siècle. Les autres ont pour objet l'histoire des provinces, des évêchés, des monastères, de quelques grandes familles féodales, ainsi que de la vie des saints.

Dans la philosophie, on voit paraître une méthode nouvelle, la scolastique, du mot latin scola, école, parce qu'elle avait pris naissance dans les écoles fondées par. Charlemagne; c'est cette méthode qui a régné sur tout le moyen âge.

Dans la théologie, ce qui domine, c'est la grande question du libre arbitre, de la prédestination et de la grâce. Elle soulève un ardent débat entre l'Irlandais Scot Erigène, venu en France à la demande de Charles le Chauve, et l'archevêque de Reims, Hincmar, la plus grande intelligence du neuvième siècle, qui fut mêlé à tous les événements politiques de son temps et qui a laissé plus de soixante-dix ouvrages sur les sujets les plus divers. C'est aussi l'hérésie des Iconoclastes ou briseurs d'images, secte religieuse qui n'admettait point que l'on pût représenter les trois personnes de la Trinité sous des formes sensibles et matérielles, et qui s'acharnait, comme le firent les protestants du seizième siècle, à détruire ces représentations partout où elle pouvait les rencontrer.

Des correspondances, des traités de morale, des commen

taires philologiques, des écrits sur la liturgie, quelques essais d'astronomie, de médecine et de mathématiques attestent encore l'activité du mouvement intellectuel provoqué par Charlemagne, et les efforts tentés dans les voies les plus diverses par les sujets de ce grand homme. La poésie n'est pas non plus complétement déshéritée. Si elle se montre puérile ou bizarre dans quelques compositions, telles que le poëme d'Hugbalde: A la louange des têtes chauves, dont tous les mots commencent par un C, elle se montre aussi parfois heureusement inspirée, soit par les sentiments religieux, comme dans les vers de saint Odon, soit par le spectale de la nature, comme dans la pastorale intitulée: le Combat de l'hyver et du printemps, soit enfin par le patriotisme, comme dans les Gestes de Louis le Débonnaire, par Ermold-le-Noir, la Complainte sur le démembrement de l'empire, par Florus, prêtre de Lyon, et le poëme d'Abbon, sur le Siége de Paris par les Normands en 885.

L'éloquence, comme dans les âges précédents, est encore exclusivement religieuse; les seuls monuments qu'elle nous ait légués sont des sermons, et nous n'avons pas besoin d'ajouter que ces sermons, comme toutes les autres œuvres littéraires, sont exclusivement écrits en latin.

L'œuvre de restauration intellectuelle inaugurée par Charlemagne est sans aucun doute l'un des faits les plus remarquables de notre histoire; mais cette œuvre, entreprise prématurée d'un génie supérieur qui devançait son temps, n'eut qu'une durée éphémère, et ne fut, en définitive, qu'une halte glorieuse dans la barbarie. Sous les derniers Carlovingiens, l'ignorance étendit de nouveau ses ténèbres sur la Gaule franque, et ce n'est qu'à la fin du onzième siècle que la société française reprend sa marche ascensionnelle et progressive.

IV

Les années comprises entre l'avénement de Louis le Gros et la mort de Philippe le Bel marquent la période la plus brillante du moyen âge, et dans la politique, aussi bien que dans la littérature et les arts, elles commencent une ère entièrement nouvelle. Les héroïques aventures des croisades, l'affranchissement des communes, la lutte du pouvoir royal

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et de la grande féodalité, impriment aux esprits une secousse profonde. L'Université de Paris est fondée; l'étude du droit romain renaît dans les écoles; une langue nouvelle, formée de la décomposition du latin, s'impose aux œuvres de l'intelligence, et se partage en deux grands idiomes, dont l'un, au midi, s'appelle la langue d'oc et dont l'autre, au centre et au nord, s'appelle la langue d'oil. Ces deux idiomes ont chacun une littérature originale; mais la langue d'oc, que l'on désigne aussi sous le nom de langue romane provençale, brille à peine pendant deux siècles, pour tomber ensuite à l'état de patois; tandis que la langue d'oil, au contraire, se dégageant peu à peu de toutes ses scories barbares, ne fait que grandir, se développer et se régulariser, pour devenir, après un travail de formation qui n'a pas duré moins de huit siècles, la langue magnifique de Pascal, de Corneille et de Molière.

Expression vive et brillante de la civilisation raffinée du Midi, la littérature de la langue d'oc a produit surtout des œuvres d'imagination; ses principaux écrivains sont les poëtes dits troubadours (1); et l'on peut évaluer à une centaine environ ceux dont les vers sont arrivés jusqu'à nous. Les plus anciens d'entre eux remontent à l'an 1100 environ; les plus modernes ne dépassent pas les dernières années du XIIIe siècle.

On a dit et répété cent fois que les nobles au moyen âge étaient complétement illettrés, et que la plupart d'entre eux ne savaient même pas signer leur nom. Cette assertion est formellement démentie par les faits, surtout en ce qui touche le Midi, et dans cette partie de la France, c'est la noblesse qui marche en tête du mouvement littéraire. On voit figurer, en effet, au premier rang des troubadours, les représentants des plus grandes races, tels que Guillaume Ier, comte de Poitiers, Bertrand de Born, vicomte de Hautefort, et jusqu'au roi d'Angleterre, Richard ler Coeur de Lion, qui possédait, à titre de fief relevant de la couronne de France, une grande partie du Poitou. A côté de ces grands soigneurs qui faisaient des vers par goût et pour acquérir l'une des gloires les plus enviées du moyen âge, la gloire de passer

(1) Ce mot vient du verbe provençal tr ubar, qui veut dire trouver, inventer. Le nom de trouvères, appliqué aux poëtes de la langue d'oil, a la même étymologie et la même signification.

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