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LE BAPTÊME DE CLOVIS.

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brillantes et en bon état. Tandis qu'il examinait tous les soldats en passant devant eux, il arriva auprès de celui qui avait frappé le vase, et lui dit : « Personne n'a des armes aussi mal tenues << que les tiennes, car ni ta lance, ni ton épée, ni ta hache ne << sont en bon état; » et lui arrachant sa hache, il la jeta à terre. Le soldat s'étant baissé un peu pour la ramasser, le roi, levant sa francisque, la lui abattit sur la tête en lui disant ; << Voilà ce que tu as fait au vase de Soissons. » Celui-ci mort, il ordonna aux autres de se retirer. Cette action inspira pour' lui une grande crainte.

LE BAPTÊME DE CLOVIS.

La reine (1) ne cessait de supplier le roi de reconnaître le vrai Dieu et d'abandonner les idoles; mais rien ne put l'y décider, jusqu'à ce qu'une guerre s'étant engagée avec les Allemands, il fut forcé, par la nécessité, de confesser ce qu'il avait jusquelà voulu nier. Il arriva que les deux armées, se battant avec un grand acharnement, celle de Clovis commençait à être taillée en pièces; ce que voyant, Clovis éleva les mains vers le ciel, et, le cœur touché et fondant en larmes, il dit : « Jésus-Christ, «que Clotilde affirme être Fils du Dieu vivant, qui, dit-on, << donne du secours à ceux qui sont en danger et accorde la << victoire à ceux qui espèrent en toi, j'invoque avec dévotion << la gloire de ton secours; si tu m'accordes la victoire sur mes << ennemis et que je fasse l'épreuve de cette puissance dont le <«< peuple, consacré à ton nom, dit avoir reçu tant de preuves, << je croirai en toi et me ferai baptiser en ton nom; car j'ai << invoqué mes dieux, et, comme je l'éprouve, ils se sont éloi«gnés de mon secours; ce qui me fait croire qu'ils ne pos<< sèdent aucun pouvoir, puisqu'ils ne secourent pas ceux qui <«<les servent. Je t'invoque donc, je désire croire en toi; seule<< ment que j'échappe à mes ennemis. »

Comme il disait ces paroles, les Allemands, tournant le dos, commencèrent à se mettre en déroute ; et voyant que leur roi était mort, ils se rendirent à Clovis, en lui disant « Nous te

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(1) La reine Clotilde, fille de Chilpéric, roi des Bourguignons. Elle avait épousé Clovis en 493. Après la mort de ce roi elle se retira dans le monastère de Saint-Martin de Tours, où elle mourut en 545.

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supplions de ne pas faire périr notre peuple, car nous som<«mes à toi. » Clovis, ayant arrêté le carnage et soumis le peuple, rentra en paix dans son royaume, et raconta à la reine comment il avait obtenu la victoire en invoquant le nom du Christ.

Alors la reine manda en secret saint Rémi, évêque de Reims, le priant de faire pénétrer dans le cœur du roi la parole du salut. Le pontife, ayant fait venir Clovis, commença à l'engager secrètement à croire au vrai Dieu, créateur du ciel et de la terre, et à abandonner ses idoles qui n'étaient d'aucun secours, ni pour elles-mêmes, ni pour les autres. Clovis lui dit : « Très« saint père, je t'écouterai vo ontiers; mais il reste une chose : « c'est que le peuple qui m'obéit ne veut pas abandonner ses « dieux; j'irai à eux et je leur parlerai d'après tes paroles. »> Lorsqu'il eut assemblé ses sujets, avant qu'il eût parlé, et par l'intervention de la puissance de Dieu, tout le peuple s'écria unanimement : « Pieux roi, nous rejetons les dieux mortels, et <«< nous sommes prêts à obéir au Dieu immortel que prêche «saint Rémi. »

On apporta cette nouvelle à l'évêque qui, transporté d'une grande joie, ordonna de préparer les fonts sacrés. On couvre de tapisseries peintes les portiques intérieurs de l'église ; on les orne de voiles b'ancs; on dispose les fonts baptismaux; on répand des parfums. Les cierges brillent de clarté, tout le temple est embaumé d'une odeur divine. et Dieu fit descendre sur les assistants une si grande grâce qu'i s se croyaient transportés au milieu des parfums du paradis. Le roi pria le pontife de le baptiser le premier. Le nouveau Constantin s'avance vers le baptistère pour s'y faire guérir de la vieille lèpre qui le souillait, et laver dans une eau nouvelle les taches hideuses de sa vie passée. Comme il s'avançait vers le baptême, le saint de Dieu lui dit de sa bouche éloquente : « Sicambre, abaisse hum<<<blement ton cou: adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu << as adoré. »

Le roi, ayant donc reconnu la toute-puissance de Dieu dans la Trinité, fut baptisé au nom du Père, du Fils et du SaintEsprit, et oint du saint chrême avec le signe de la croix; plus de trois mille hommes de son armée furent baptisés.

SAINT CÉSAIRE D'ARLES.

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SAINT CÉSAIRE D'ARLES.

Né à Châlon sur Saône en 470, saint Césaire, qu'on a justement appelé le Fénelon de la barbarie, est l'un des types les plus accomplis des évêques de la primitive église des Gaules. II prit d'abord l'habit monastique dans le couvent que saint Honorat avait fondé en 410, dans une des îles françaises de la Méditerranée, dites îles de Lérins. Après avoir passé quelques années dans ce couvent, il alla s'établir aux environs d'Arles, et il y vivait dans la retraite la plus profonde, uniquement occupé de prières et de bonnes œuvres, quand il fut appelé, en 501, au siége épiscopal de cette ville par les vœux unanimes du peuple et du clergé; car, à cette époque reculée, c'était le suffrage universel qui nommait les évêques. Saint Césaire, après avoir assisté en 529 au concile d'Orange, fut nommé par le pape Symmaque vicaire du saint-siége dans la Gaule et l'Espagne, et il justifia cette haute distinction par ses vertus et sa charité. Au milieu d'une société violente qui ne reconnaissait d'autre droit que celui de la force, il enseigna la mansuétude et la pitié; il travailla avec un zèle admirable à l'affranchissement des esclaves, et il eut la gloire de fonder le premier des hôpitaux de la Gaule. Il mourut en 542; ses œuvres se composent de Sermons écrits en latin, où respire le plus pur esprit du christianisme. Son éloquence est simple, sa morale douce et persuasive, et le morceau suivant donne une idée exacte de sa manière et de ce qu'était la prédication française au vie siècle.

COMMENT IL FAUT SE COMPORTER A L'EGLISE.

Quoiqu'en beaucoup de sujets, mes très-chers frères, nous ayons souvent à nous réjouir de vos progrès dans la voie du salut, il y a cependant certaines choses dont nous devons vous avertir, et je vous prie d'accueillir volontiers, selon votre usage, nos observations. Je me réjouis et je rends grâce à Dieu de ce que je vous vois accourir fidè ement à l'église pour entendre les lectures divines; venez-y de meilleure heure. Vous le voyez, les tailleurs, les orfévres, les forgerons se lèvent de bonne heure afin de pourvoir aux besoins du corps; et nous, nous ne pourrions pas aller avant le jour à l'église pour y solliciter le pardon de nos péchés ?... Venez donc de bonne heure, je vous en prie..., et une fois arrivés tâchons, avec l'aide de Dieu, qu'aucune pensée étrangère ne se glisse au milieu de nos prières,

(1) Traduction de M. Guizot.

de peur que nous n'ayons autre chose sur les lèvres, autre chose dans le cœur, et que nous ne nous détournions sur toutes sortes de sujets... Si tu voulais soutenir auprès de quelque homme puissant quelque affaire importante pour toi, et que tout à coup, te détournant de lui et interrompant la conversation, tu t'occupasses de je ne sais quelles puérilités, quelle injure ne lui ferais-tu pas ! quelle ne serait pas contre toi sa colère! Si donc, lorsque nous nous entretenons avec un homme, nous mettons tous nos soins à ne point penser à autre chose, de peur de l'offenser, n'avons-nous pas honte, lorsque nous nous entretenons avec Dieu par la prière, lorsque nous avons à défendre devant sa majesté si sainte les misères de nos péchés, n'avons-nous pas honte de laisser notre esprit errer çà et là, et se détourner de sa face divine? - Tout homme, mes frères, prend pour son Dieu ce qui absorbe sa pensée au moment de la prière et semble l'adorer comme son seigneur. Celui-ci, tout en priant, pense à la place publique c'est la place publique qu'il adore; celui-là a devant les yeux la maison qu'il construit ou répare il adore ce qu'il a devant les yeux; un autre pense à sa vigne, un autre à son jardin... — Que sera-ce, si la pensée qui nous occupe est une mauvaise pensée, une pensée illégitime? Si, au milieu de notre prière, nous laissons notre esprit se porter sur la cupidité, la colère, la haine, la luxure, l'adultère?..... Je vous en conjure donc, mes frères chéris, si vous ne pouvez éviter complétement ces distractions de l'âme, travaillons de notre mieux et avec l'aide de Dieu pour n'y succomber que le plus tard qu'il se pourra.

SAINTE RUSTICULE.

Les Vies des Saints, nous l'avons dit dans notre introduction, forment dans les premiers siècles de la monarchie française l'une des branches les plus importantes de notre littérature. Le nombre en est considérable, et elles nous offrent, à côté de récits pleins d'intérêt et de charme, l'enseignement moral le plus élevé. Les saints, véritables héros d'une épopée divine, donnent l'exemple de toutes les vertus. Leur inépuisable charité s'étend à tous les êtres de la création; ils sont les défenseurs des faibles, les consolateurs des malheureux, les soutiens des pauvres; et si leur vie est un modèle de pureté et de dévouement, leur mort est un modèle de résignation et de sérénité. Le passage suivant, emprunté à la vie de sainte Rusticule, date du VIIIe siècle; il nous fournit un récit touchant de

DERNIERS MOMENTS DE SAINTE RUSTICULE.

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l'une de ces morts chrétiennes qui sont comme le triomphe suprême de la foi, et qui surpassent en simplicité et en grandeur les plus belles morts de l'antiquité.

LES DERNIERS MOMENTS DE SAINTE RUSTICULE (1).

Il arriva un certain jour de vendredi qu'après avoir chanté selon son habitude les vêpres avec ses filles, Rusticule, se sentant fatiguée, alla au-dessus de ses forces, en faisant la lecture accoutumée, car elle savait qu'elle n'en irait que plus vite au Seigneur. Le samedi matin ele eut un froid et perdit toute la force de ses membres. Se couchant alors dans son petit lit, elle fut prise d'une grande fièvre; elle ne cessa pourtant pas de louer Dieu, et, les yeux fixés au ciel, elle lui recommanda ses filles qu'elle laissait orphelines, et consola d'une âme ferme celles qui pleuraient autour d'elle. Elle se trouva plus mal le dimanche; et comme c'était son habitude qu'on ne fit son lit qu'une fois l'an, les servantes de Dieu lui demandèrent de se permettre une couche un peu moins dure, afin d'épargner à son corps une si rude fatigue; mais elle ne voulut pas y consentir. Le lundi, jour de saint Laurent, martyr, elle perdit encore des forces, et sa poitrine faisait grand bruit. A cette vue, les tristes vierges du Christ se répandirent en pleurs et gémissements. Comme c'était la troisième heure du jour et que, dans son affliction, la congrégation psalmodiait en silence, la sainte mère, mécontente, demanda pourquoi elle n'entendait pas la psalmodie; les religieuses répondirent qu'elles ne pouvaient chanter à cause de leur douleur. « Ne chantez que plus haut, dit-elle, afin que j'en << reçoive du secours, car cela m'est très doux. » Le jour suivant, tandis que son corps n'avait presque plus de mouvement, ses yeux, qui conservaient leur vigueur, brillaient toujours comme des étoiles; et regardant de tous côtés et ne pouvant parler, elle imposait silence de la main à celles qui pleuraient et leur donnait de la consolation. Lorsqu'une des sœurs toucha ses pieds pour voir s'ils étaient chauds ou froids, elle dit : « Ce n'est pas encore l'heure. » Mais à peu près à la sixième heure du jour, d'un visage serein, avec des yeux brillants et comme en souriant, eette glorieuse âme bienheureuse passa au ciel et s'associa aux chœurs innombrables des saints.

(1) Traduction de M. Guizot.

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