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suffiraient pas à les analyser même sommairement; et ce n'est point de ce côté que nous devons chercher, pour en finir avec l'époque contemporaine, des œuvres éminentes et durables; il faut les demander à la littérature de l'imagination, du sentiment et de l'idéal; aux rêveurs, aux humoristes, aux critiques, aux moralistes, aux romanciers. Sans doute, au milieu de la production incessante et hàtive qui est l'un des caractères de notre époque, l'inspiration s'est égarée souvent dans le gigantesque, I invraisemblable et l'impossible; elle a puisé aux sources les plus troublées, mais quels qu'aient été ses erreurs ou ses défaillances, elle s'est encore élevée assez haut dans les genres les plus divers pour que la France du dix-neuvième siècle n'ait rien à envier aux autres peuples; et à ceux qui parlent de décadence, elle peut répondre en nommant Chateaubriand, Joseph et Xavier de Maistre, madame de Staël, de Bonald, Ballanche, Joubert, Paul Louis Courier.

Le grand homme qui domine le siècle par sa gloire militaire, ses institutions politiques et son règne, Napoléon Ier, marche comme écrivain en tête des plus illustres. Il est à la fois orateur, historien, publiciste, jurisconsulte, critique littéraire ; il porte dans son style, dans sa pensée, les qualités qui rappellent les plus grands maitres, la concision et l'éclat, la simplicité et la grandeur. On dit avec raison que ses mémoires et ses écrits militaires égalent la profondeur de Tacite, la majesté de Bossuet, l'entraînante rapidité des commentaires de César. Par un glorieux privilége de sa dynastie, le continuateur de son œuvre, l'empereur Napoléon III, joint comme lui le génie des lettres au génie de la politique, et la France est fière de compter parmi ses publicistes et ses historiens le vainqueur de Solférino à côté du vainqueur d'Austerlitz.

Dans cette longue route de dix-huit siècles que nous venons de parcourir si rapidement, nous avons vu se dérouler à nos yeux des horizons bien divers, et si rapide que soit le tableau que nous venons de présenter à nos lecteurs, il suffira, nous le pensons, à leur montrer combien, à toutes les époques de notre histoire, le génie français a été fécond et varié. C'est à la variété, à la fécondité de ce génie, que la France doit cette autorité, « toujours respectée, même par ses rivaux, toujours reconnue, même par ses ennemis, »

DEPUIS SES ORIGINES JUSQU'A NOS JOURS.

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qu'elle n'a jamais cessé d'exercer en Europe depuis Charlemagne :

« Dans le cours du moyen âge, dit justement M. de << Bonald, les vertus et les lumières de son clergé, la dignité « de sa magistrature, la renommée de sa chevalerie, la << science de ses universités, la sagesse de ses lois, la dou«< ceur de ses mœurs, le caractère de ses habitants, l'avaient « élevée en Europe à un rang qui n était pas contesté. Rien << de grand dans le monde politique ne se faisait sans la << France; elle était dépositaire de toutes les traditions de «la grande famille et de tous les secrets d'État de la chré<< tienté rien de grand, j'ose le dire, ne se fera sans elle. « Et ce qui lui assure à jamais cette prééminence, c'est « l'universalité de sa langue; sorte de domination la plus « douce à la fois et la plus forte qu'un peuple puisse créer << sur d'autres peuples. »>

Arrêtons nous sur ces mots de M. de Bonald, et laissons parler, en les écoutant avec le respect qu'on doit aux ancêtres, les morts illustres dont nous venons d'évoquer la mémoire.

CH. LOUANDRE.

Il a été publié un grand nombre de travaux relatifs soit à l'histoire de la langue française, soit à l'histoire de notre littérature; voici l'indication des principaux :

J.-J. Ampère, Histoire de la formation de la langue française; -F. Génin, Des variations de la langue française; Raynouard, Grammaire comparée des langues de l'Europe latine.

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Histoire littéraire de la France; commencé dans le dernier siècle par les bénédictins de la congrégation de Saint-Maur, et continué de notre temps par l'Académie des inscriptions et belleslettres, cet important ouvrage est arrivé aujourd'hui à son vingtquatrième volume. Cours de litterature de La Harpe.— Histoire de la littérature française avant le XIe siècle, par M. J.-J. Ampère; Discours et mélanges littéraires; Tableau de la littérature française au XVIIIe siècle; Tableau de la littérature française au moyen âge, par M. Villemain; = De la littérature française pendant le xvIIe siècle, par M. de Barante; Histoire de la littérature française au XVIe siècle, par M. Vinet; Histoire de la littérature française depuis son origine jusqu'à la révolution,

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LA LITTÉRATURE FRANÇAISE, ETC.

par M. E. Géruzez; Histoire de la littérature française, par M. Nisard; Histoire de la civilisation en France, par M. Guizot; ouvrage qui renferme les appréciations les plus élevées sur la situation intellectuelle de la France pendant les premiers siècles de la monarchie; Tableau de la poésie française au XVIe siècle ; Critiques et portraits littéraires; Causeries du lundi; Port Royal, par M. Sainte-Beuve.

Bien d'autres noms s'ajoutent encore à ceux que nous venons de citer; mais nous avons ici indiqué l'essentiel, Le grand nombre d'ouvrages dont notre littérature nationale est chaque jour le sujet, témoigne de sa popularité toujours croissante. On ne saurait trop se féliciter de ce fait, car notre littérature n'est pas seulement un charme pour l'esprit, elle est aussi, dans les ouvrages des maîtres, un enseignement moral, une lumière pour la conduite de la vie, une école de grandeur et de patriotisme. C'est surtout à ce titre qu'il importe d'en répandre la connaissance, et d'en opposer les chefsd'œuvre aux productions médiocres ou malsaines que la sottise, la vanité ou la spéculation offrent en pâture à des lecteurs trop prompts à se laisser séduire.

LES PROSATEURS.

GRÉGOIRE DE TOURS.

Cet historien, qu'on a surnommé l'Hérodote de la France, naquit le 30 novembre 559, en Auvergne. Il fut élu évêque de Tours en 573, et joua un rôle important dans les démêlés qui éclatérent à la fin du vie siècle entre les divers membres de la famille mérovingienne. Fidèle au rôle de médiation et de paix que lui imposait sa qualité d'évêque, il protégea Mérovée, le fils de Chilpéric, contre les émissaires de Frédégonde qui voulaient l'arracher au sanctuaire de Saint Martin-de-Tours où il s'était réfugié. Il défendit devant le concile de Paris l'archevêque de Rouen. Prétextat et prit une part active au traité signé en 587 entre Sigebert, Brunehaut et Gontran. Mêlé à tous les évenements politiques de son temps, témoin des crimes sans nombre qui souillaient cette époque, Grégoire de Tours les raconte avec un calme et une impassibilité qui les rendent plus terribles encore; et c'est dans ses ouvrages qu'il faut, comme on l'a dit, chercher le fond de notre histoire sous la premiere race. Il nous a laissé divers écrits relatifs à la vie des martyrs et des saints, aux miracles de saint Julien, de saint Martin, de saint André; mais son œuvre capitale est l'Histoire ecclésiastique des Francs, qui comprend, dans les trois premiers livres, un résumé des annales du monde alors connu, depuis la création jusqu'à l'an 547. Les sept derniers livres s'étendent de 547 a 591. C'est à l'Histoire ecclésiastique des Francs que nous empruntons les fragments qu'on va lire. Nous n'avons pas besoin d'ajouter que tous ces ouvrages sont écrits en latin.

LE VASE DE SOISSONS (1).

L'armée de Clovis pilla un grand nombre d'églises, parce que ce prince était encore plongé dans un culte idolâtre. Des soldats

(1) Nous repróduisons la traduction de M. Guizot. L'anecdote relatée dans ce fragment se rapporte à l'année 486. Pour bien com

avaient enlevé d'une église un vase d'une grandeur et d'une beauté étonnante, ainsi que le reste des ornements du saint ministère. L'évêque de cette église envoya verslui des messagers pour lui demander que, s'il ne pouvait obtenir de recouvrer les autres vases, on lui rendît au moins celui-là. Le roi, ayant entendu ces paroles, dit au messager : « Suis-moi jusqu'à « Soissons, parce que c'est là qu'on partagera tout le butin; <«<et lorsque le sort m'aura donné ce vase, je ferai ce que de<«< mande le pontite. » Étant arrivés à Soissons, on mit au milieu de la place tout le butin, et le roi dit : « Je vous prie, mes « braves guerriers, de vouloir bien m'accorder, outre ma part, «<le vase que voici, » en montrant le vase dont nous avons parlé ci-dessus. Les plus sages répondirent aux paroles du roi : <«< Glorieux 101, tout ce que nous voyons est à toi : nous-mêmes <<< nous sommes soumis à ton pouvoir. Fais donc ce qui te << plaît; car personne ne peut résister à ta puissance. »

Lorsqu'ils eurent ainsi parlé, un guerrier présomptueux, jaloux et emporté, éleva sa francisque et en frappa le vase, s'écriant: « Tu ne recevras de tout ceci rien que ce que te << donnera vraiment le sort. » A ces mots tous restèrent stupéfaits. Le roi cacha le ressentiment de cet outrage sous un air de patience. Il rendit au messager de l'évêque le vase qui lui était échu, gardant au fond du cœur une secrète colère. Un an s'étant écoulé, Clovis ordonna à tous ses guerriers de venir au Champ de Mars revêtus de leurs armes, pour faire voir si elles étaient

prendre ce récit, il faut se rappeler que les rois francs n'avaient nullement le caractère d'autorité qu'implique la royauté moderne. C'étaient avant tout des chefs militaires, choisis dans une famille privilégiée, que distinguai et que consacrait en quelque sorte une longue chevelure que les ciseaux ne devaient jamais toucher, ce qui leur avait fait donner le nom de rois chevelus. L'obéissance que leur prêtaient leurs soldats était plus volontaire qu'obligatoire, ce qui est nettement indiqué dans le récit de Grégoire de Tours par le refus que fait le guerrier franc de céder le vase à Clovis; mais celui-ci aspirait à fonder un pouvoir plus fort et plus respecté, et c'est pour marquer son ascendant sur ses compagnous d'armes qu'il tua de sa main le soldat qui s'était opposé à son désir. Ajoutons, pour compléter le commentaire, que les rois francs n'avaient d'autre liste civile, comme on dirait de nos jours, qu'une part dans le butin fait à la guerre, et que cette part était tirée au sort. Les guerriers leur payaient, en outre, à titre de don volontaire, quelques tributs, qui consistaient surtout en armes et en chevaux.

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