Page images
PDF
EPUB

Collège de France, ou Collège des trois langues, pour l'enseignement de l'hébreu, du grec et du latin, Les enfants des plus grandes familles de l'Europe viennent s'asseoir sur les bancs de cet établissement célèbre, et telle était l'ardeur d'apprendre qui à cette époque s'était emparée des esprits, qu'en 1560 on comptait en France dix-huit universités, et à Paris seulement soixante-douze colléges, suivis par plus de vingt mille élèves.

Les poëtes ne sont pas moins nombreux que les philologues. Les uns, versificateurs érudits sans inspiration originalle et personnelle, composent des vers hébreux, grecs et latins; les autres, novateurs indépendants, tout en subissant encore l'influence antique, se livrent aux fantaisies de l'imagination, et abordent les genres les plus divers depuis la devise et l'épigramme jusqu'à l'épopée. On peut les diviser en deux écoles distinctes; l'une qui, au début même du siècle, a pour chef Clément Marot, et qui règne jusqu'en 1550; l'autre, qui a pour chef Ronsard et qui règne jusqu'à la réforme opérée par Malherbe. Autour de Marot et de Ronsard viennent se grouper Desportes, du Bellay, Remi Belleau, Baïf, Louise Labé, Bertaut, Dubartas, etc. Puis, dans un autre ordre d'inspiration, nous trouvons deux poëtes profondément originaux, qui ne sont d'aucune école et ne relèvent que d'eux-mêmes, le chef de huguenots Agrippa d'Aubigné, qui nous a laissé dans Les tragiques une invective violente et sombre contre les misères et la corruption de son temps, et le grand satirique Mathurin Regnier.

Prises dans leur ensemble, les œuvres des poëtes dont on vient de lire les noms laissent sans doute beaucoup à désirer sous le rapport du goût et de l'habileté de la composition, mais elles ne doivent pas moins occuper dans notre littérature une place très-honorable, car elles offrent, au milieu de leurs défauts, une imagination brillante, un sentiment profond de la nature, un style vif, animé, des peintures naïves du cœur humain, des gràces exquises dans l'expression et quelquefois une véritable grandeur.

Les compositions dramatiques du XVI siècle ne sont point à la hauteur des autres poésies.

Les premières tragédies et les premières comédies du théâtre de la renaissance sont des traductions de l'antiquité grecque ou romaine et des imitations de la littérature ita

DEPUIS SES ORIGINES JUSQU'A NOS JOURS.

23

lienne. Elles ont pour principaux auteurs Baïf, Thomas Sibilet, Ronsard, Charles Estienne, Jean de La Taille, Pierre de Larivey, Jodelle, Garnier, Chantelouve, Adrien d'Amboise, Guillaume de la Grange, Jacques Grevin, etc.

[ocr errors]

Nulle invention dans les caractères, les situations et la conduite de la pièce; une reproduction scrupuleuse, une contrefaçon parfaite de formes grecques; l'action simple. les personnages peu nombreux, des actes fort courts, composés d'une ou deux scènes et entremêlés de chœurs; la poésie lyrique de ces choeurs bien supérieure à celle du dialogue; les unités de temps et de lieux observées moins en vue de l'art que par un effet de l'imitation; un style qui vise à la noblesse et à la gravité, » voilà, d'après M. SainteBeuve, ce qui distingue le théâtre de Jodelle, et nous ajouterons que ces remarques si justes nous paraissent s'appliquer exactement, non-seulement à Jodelle mais à ses nombreux contemporains. La comédie ne vaut guère mieux que la tragédie, et sauf quelques scènes de Robert Garnier, de Larivey, de Duryer, il faut attendre Rotrou et Corneille, pour trouver des compositions dramatiques vraiment dignes de ce nom.

Au milieu de cette rénovation universelle, le vieux genre de la sotie se continuait encore, et des farceurs restés célèbres jusqu'à nos jours, Turlupin, Bruscambille, Gros-Guillaume, Gaultier Garguile, Guillot obtenaient à Paris auprès de la foule un succès de fou rire. Quant aux mystères, une ordonnance royale datée de 1547 en avait interdit la représentation, car on craignait que les trivialités dont ils étaient remplis ne fissent un fâcheux effet sur le peuple, déjà trop disposé à l'irrévérence et au scepticisme.

Même aux époques les plus brillantes de son épanouissement littéraire, le moyen âge n'avait guère produit parmi les ouvrages en prose que des écrits philosophiques et théologiques, des chroniques et des sermons. Au seizième siècle, outre les érudits, les philologues grecs et latins dont nous avons parlé plus haut, nous trouvons des grammairiens, des orateurs politiques, des économistes, des moralistes, des pamphlétaires, et peu s'en faut que nous n'y trouvions aussi des journalistes.

Ramus dans la philosophie; Montaigne et Charron dans la critique des mœurs et l'observation morale; Jean Bodin, Hotmann, Hubert Languet, Etienne de la Boëtie dans le droit

général; les auteurs de la Satire Menippée dans le pamphlet politique; Rabelais dans le roman politique et satirique; L'Hospital dans l'éloquence parlementaire et la discussion des principes du gouvernement ouvrent à l'intelligence des horizons entièrement nouveaux, et posent les prémisses de toutes les grandes questions débattues dans la société moderne. Le droit s'éclaire des magnifiques travaux de Cujas et de Dumoulin. Olivier de Serres crée l'économie rurale dans un livre qui est resté populaire; Ambroise Paré, dans ses œuvres chirurgicales, fait faire un pas immense à la science et à la langue scientifique; Amyot traduit Plutarque; et dans le Trésor de la langue grecque Henri Estienne lègue à la postérité un dictionnaire que la philologie moderne n'a point encore fait oublier.

A partir du règne de Louis XII, les historiens et les auteurs de Mémoires deviennent chaque jour plus nombreux. De Thou écrit en latin une histoire universelle du seizième siècle qui se distingue, ainsi que l'a dit justement M. Villemain, par des qualités toutes modernes, l'impartialité consciencieuse, le sentiment du droit, le calme de la raison. Robert Gaguin et Nicole Gilles composent des résumés qui embrassent nos annales depuis Clovis jusqu'à Louis XII. Jean Bouchet, Claude de Seyssel, Robert de la Marck, Guillaume de Marillac, Brantôme, Palma Cayet, François de Rabutin, le baron de Villars, Marguerite de Valois, Blaise de Montluc, Agrippa d'Aubigné, François de la Noue, Sully, et bien d'autres encore reflètent l'image fidèle de leur époque dans des Mémoires où le talent de raconter et de peindre s'allie souvent à une grande pénétration politique.

L'éloquence civile, qui dans le cours du moyen âge avait eu rarement l'occasion de se produire, prend au moment de la renaissance un certain essor, et laisse quelques traces brillantes dans les états généraux, les conférences politiques et les parlements. Quant à léloquence religieuse, elle est jetée, par la réforme et les guerres civiles, dans des voies entièrement nouvelles, et elle se partage en deux écoles profondément hostiles et toujours en lutte, l'école protestante et l'école catholique. « Je prêche aussi simplement que possible, disait Luther, car je veux que les hommes du commun, les enfants, les domestiques et les laboureurs me comprennent. »-Toute la rhétorique des prédicateurs de la rèforme est contenue dans ces quelques mots. Leurs discours

DEPUIS SES ORIGINES JUSQU'A NOS JOURS.

25

sont simples, clairs, méthodiques, mais dépourvus d'entrainement et de chaleur. Les prédicateurs du catholicisme ne sont guère plus brillants; les uns restent fidèles à la vieille et aride méthode scolastique, les autres tombent comme Maillard et Menot dans la trivialité la plus vulgaire; d'autres, enfin, comme les sermonnaires de la Ligue, se jettent tête baissée au milieu de la mêlée des partis, et se font, comme on disait de leur temps, les trompettes de la guerre civile; enfin, dans la chaire protestante aussi bien que dans la chaire catholique qui devait plus tard briller d'un si vif éclat, nous trouvons à cette époque d'infatigables controversistes, des hommes ardents, âpres dans leurs discours, inflexibles. dans leurs croyances, mais nous y cherchons vainement des orateurs.

VII

« Les deux grands mouvements qui ont agité le seizième siècle, la réforme religieuse et la renaissance des lettres antiques, se règlent enfin au terme de cette période et aboutissent à une double conciliation qui fait succéder la discipline à l'anarchie dans le monde politique et dans ce qu'on est convenu d'appeler la république des lettres. Dans l'ordre politique un roi s'établit glorieusement : c'est Henri IV; dans l'ordre littéraire un dictateur s'impose, c'est Malherbe. Avec eux et par eux commencent réellement les temps modernes. » Ces paroles, que nous empruntons à M. Géruzez, marquent de la manière la plus exacte le point de départ de la révolution littéraire qui signala les dernières années du seizième siècle, et qui fut le prélude du règne de Louis XIV.

Autour de Malherbe viennent se grouper, dans la première moitié du dix-septième siècle, une foule de poëtes, tels que Racan, Maynard, Théophile de Viaud, Scudéry, Chapelain, Saint-Amand, Gombaud, Desmarets de Saint-Sorlin, qui s'essayent dans les genres les plus divers, l'ode, la satire, l'épigramme, la pastorale et l'épopée. Honoré d'Urfé et mademoiselle de Scudéri mettent à la mode un genre entièrement nouveau, le roman historique; Guillaume du Vair, garde des sceaux sous Louis XIII, Balzac, Voiture, Sarrazin, saint François de Sales, donnent à la prose une netteté

et une clarté jusqu'alors inconnues. Un cercle littéraire, rendez-vous des beaux-esprits du temps, s'établit à Paris dans l'hôtel de la marquise de Rambouillet, et devient comme le berceau de notre société polie; le goût des choses de l'esprit se répand dans toutes les classes; le cardinal de Richelieu seconde ce mouvement et fonde, en 1639, l'Académie française, avec mission spéciale de veiller à la pureté de la langue et de travailler à son perfectionnement. Un an plus tard, Descartes fait paraitre le Discours de la méthode; Corneille fait jouer le Cid, et à dater de cette époque, le dixseptième siècle entre de plain-pied dans sa gloire.

Jamais, on peut le dire avec un légitime orgueil, jamais à aucune autre époque, pas même au siècle d'Auguste, d'aussi beaux génies n'ont illustré le règne d'un même prince. Descartes, en prenant l'homme pour sujet de ses études, et le témoignage de la conscience pour base de la certitude, entreprend l'une des plus grandes réformes philosophiques des temps modernes, et fonde la doctrine à laquelle il donne son nom,le cartesianisme. Malebranche, dans la Recherche de la vérité; Bossuet dans le Traité de la connaissance de Dieu et de soimême; Fénelon, dans le Traité de l'existence de Dieu, concilient dans un accord magnifique la foi et la raison; la Bruyère, la Rochefoucauld, Nicole, portent jusqu'aux dernières limites de la finesse et de la vérité l'observation du cœur humain, l'analyse et la critique de nos passions. Pascal, dans ses Pensées, sonde les mystères les plus profonds de l'être et de la vie; il place l'homme entre ce double infini de grandeur et de petitesse qui est l'essence même de sa nature, et après avoir analysé toutes les contradictions qui sont en nous, après avoir interrogé toutes les philosophies, il démontre dans un style incomparable que la religion chrétieune peut seule expliquer l'énigme de notre destinée.

Dans l'éloquence de la chaire, Bossuet, Bourdaloue, Fléchier, Fénelon, rappellent les plus beaux jours de la primitive église; la controverse religieuse nous donne son chef-d'œuvre dans l'Histoire des Variations; et des querelles du jansénisme, que nous ne rappelons ici qu'au point de vue littéraire, sortent les écrits polémiques d'Arnauld, et les Provinciales de Pascal, l'un des ouvrages les plus parfaits de la prose française.

Le célèbre avocat Patru, en introduisant, en 1640, l'usage des discours de réception à l'Académie française,

« PreviousContinue »