Page images
PDF
EPUB

bourée; ils s'écoulent par les vallées profondes qui en entament le pied, et vont former ainsi les rivières et les fleuves, qui reportent à la mer les eaux que la mer avait données à l'atmosphère. A la fonte des neiges, ou lorsqu'il survient un orage, le volume de ces eaux des montagnes, subitement augmenté, se précipite avec une vitesse proportionnelle aux pentes; elles vont heurter avec violence le pied de ces croupes de débris qui couvrent les flancs de toutes les hautes vallées; elles entraînent avec elles les fragments déjà arrondis qui les composent; elles les émoussent, les polissent encore par le frottement; mais à mesure qu'elles arrivent à des vallées plus unies, où leur chute diminue, ou dans des bassins plus larges, où il leur est permis de s'épandre, ciles jettent sur la plage les plus grosses de ces pierres qu'elles roulaient; les débris plus petits sont déposés plus bas; et il n'arrive guère au grand canal de la riviere que les parcelles les plus menues ou le limon le plus imperceptible. Souvent même le cours de ces eaux, avant de former le grand fleuve inférieur, est obligé de traverser un lac vaste et profond où leur limon se dépose, et d'où elles ressortent limpides. Mais les fleuves inférieurs, et tous les ruisseaux qui naissent des montagnes plus basses, ou des collines, produisent aussi dans les terrains qu'ils parcourent des effets plus ou moins analogues à ceux des torrents des hautes montagnes. Lorsqu'ils sont gonflés par de grandes pluies, ils attaquent le pied des collines terreuses ou sableuses qu'ils rencontrent dans leur cours, et en portent les débris sur les terrains bas qu'ils inondent, et que chaque inondation élève d'une quantité quelconque. Enfin, lorsque les fleuves arrivent aux grands lacs ou à la mer, et que cette rapidité qui entraîne les parcelles de limon vient à cesser tout à fait, ces parcelles se déposent aux côtés de l'embouchure; elles finissent par y former des terrains qui prolongent la côte ; et, si cette côte est telle que la mer y jette de son côté du sable et contribue à cet accroissement, il se crée ainsi des provinces, des royaumes entiers, ordinairement les plus fertiles, et bientôt les plus riches du monde, si les gouvernements laissent l'industrie s'y exercer en paix.

CHARLES NODIER.

Cet écrivain est, sans contredit, l'un des plus charmants esprits de notre temps; il s'est exercé dans tous les genres; la poésie, le roman,

LES NIDS D'HIRONDELLES.

253

la philologie, la bibliographie, l'histoire naturelle, le journalisme; mais il s'est surtout distingué dans les contes, le roman, la nouvelle. Doué d'une fécondité prodigieuse, Charles Nodier, outre les nombreux volumes qu'il a publiés, a écrit dans tous les recueils littéraires de son temps, et il avait fini par ne plus se rappeler lui-même le titre et le nombre de ses productions. Après avoir dit dans un de ses livres que nous en étions arrivés au cinquième âge du monde, l'âge du papier, il s'était chargé mieux que personne de justifier cet axiome. Ce qui distingue son talent, qui n'est point apprécié à sa juste valeur, c'est un bon sens exquis, une mélancolie douce, tempérée par la vieille malice gauloise, une sensibilité vive et sincère, un style élégant et pur. Ses principales œuvres littéraires, longtemps dispersées, ont été recueillies dans la Bibliothèque Charpentier. Né à Besançon en 1780, Nodier est mort à Paris en 1844; il remplissait alors les fonctions de bibliothécaire à l'Arsenal.

LES NIDS D'HIRONDELLES.

Heureuse, mille fois heureuse la maison aux .nids d'hirondelles! Elle est placée, entre toutes les autres, sous les auspices de cette douce sécurité dont les âmes pieuses ont obligation à la Providence. Et, en effet, sans chercher dans l'hirondelle un instinct merveilleux de prophétie que les poëtes lui accordent un peu trop libéralement, n'est-il pas permis de supposer du moins qu'elle n'est point privée de l'instinct commun à tant d'autres espèces qui leur fait deviner le séjour le plus assuré d'une famille en espérance? Ne craignez pas qu'elle se loge sous la paille inflammable d'un toit champêtre ou sous les fragiles soliveaux d'une baraque nomade. Elle a si grand'peur des mutations qui bouleversent nos domiciles d'un jour, qu'on la voit se fixer de préférence aux édifices abandonnés dont nous sommes fatigués de remuer les ruines, et que n'inquiète plus le mouvement d'une population turbulente. Les hommes n'y sont plus, dit-elle, et elle construit paisiblement sa demeure au lieu qui a déjà vu passer plus d'une génération sans s'émouvoir de leurs ébranlements. Si elle redescend aux villes et aux campagnes, elle ne se fixe qu'à la maison paisible où nul bruit ne troublera sa petite colonic, et à l'abri de laquelle la hutte solide qu'elle s'est si soigneusement pratiquée peut subsister assez longtemps pour lui épargner l'année prochaine de nouveaux labeurs. Si vous l'avez observée, notre hirondelle se prévient volontiers en faveur des figures bienveillantes; elle se fie, comme une étrangère de lointain pays, aux procédés de bon accueil;

1.

elle aime qu'on ne la dérange pas, et s'abandonne à qui l'aime. Je ne suis pas sûr que sa présence promette le bonheur pour l'avenir, mais elle me le démontre intelligiblement dans le présent. Aussi je n'ai jamais vu la maison aux nids d'hirondelles sans me sentir favorablement prévenu en faveur de ses habitants. Il n'y a là, j'en suis sûr, ni les orgies tumultueuses de la débauche, ni le fracas des querelles domestiques. Les valets n'y sont pas cruels; les enfants n'y sont pas impitoyables; vous y trouverez quelque sage vieillard ou quelque tendre jeune fille qui protége le nid d'hirondelle, et j'irais, un million sur la main, y cacher ma tête proscrite, sans souci du lendemain. Les gens qui ne chassent pas l'oiseau importun et sa couvée babillarde sont essentiellement bons, et les bons sont heureux de tout le bonheur qu'on peut goûter sur la terre.

[ocr errors]

DE CHATEAUBRIAND.

Cet écrivain célèbre naquit à Saint-Malo le 4 septembre 1768, et mourut à Paris le 4 juillet 1848. Sous-lieutenant au régiment de Navarre en 1786, Chateaubriand quitta la France en 1791 pour faire un grand voyage dans l'Amérique du Nord. Il revint en Europe en 1792, servit pendant quelque temps avec les émigrés dans l'armée dite des Princes, et fut blessé au siége de Thionville. Il se rendit ensuite en Angleterre, et y séjourna jusqu'au moment où la révolution du 18 brumaire (10 novembre 1799) permit aux émigrés de rentrer en France. En 1803, Napoléon, alors premier consul, l'attacha à l'ambassade de Rome, mais il ne remplit ces fonctions que pendant peu de temps; en 1806, il partit pour Jérusalem, et visita successivement la Grèce, la Syrie, l'Egypte et l'Espagne. Sous la première restauration, il fut nommé par le gouvernement royal ambassadeur en Suède; pendant les cent-jours, il alla rejoindre Louis XVIII à Gand, et fut créé pair de France, quand ce prince, après la bataille de Waterloo, monta pour la seconde fois sur le trône. Mais, à force d'être royaliste, Chateaubriand avait fini par l'être plus que le roi, et, en se plaçant à la tête du parti exagéré qu'on appelait alors le parti des ultra, il tomba en disgrâce, vit saisir quelques-uns de ses livres, et fit une opposition des plus vives à la monarchie qu'il avait appelée de tous ses vœux, et qu'il avait servie de sa plume avec beaucoup plus d'ardeur et de talent qu'aucun autre écrivain de son époque. Cette opposition dura jusqu'en 1820; mais, à cette date, Chateaubriand se rapprocha du pouvoir, et il fut successivement ambassadeur à Berlin en 1821, ambassadeur à Londres en 1822, ministre plénipotentiaire au congrès de Vérone et ministre des affaires étrangères. Son influence à cette

L'ÉLOQUENCE CHRÉTIENNE.

255

époque fut prépondérante dans les conseils du gouvernement, et cette influence contribua à décider la guerre d'Espagne en 1823, guerre tout à fait impopulaire en France, parce qu'elle avait pour objet de combattre les idées libérales. En 1828, il fut ambassadeur à Rome, et occupa ce poste pendant un an. Rentré dans la vie privée au moment où éclata la révolution de 1830, il essaya, mais en vain, de soutenir le gouvernement de Charles X, et fit une violente opposition au roi Louis-Philippe. Cette opposition, qui se manifesta pendant trois ou quatre ans avec une extrême vivacité, s'apaisa vers 1836, et M. de Chateaubriand, à dater de cette époque, ne s'occupa plus que de littérature. Il mourut en 1848, et, suivant ses volontés, fut inhumé sur une petite île, au milieu de la rade de Saint-Malo.

Les détails que nous venons de donner montrent qu'en politique M. de Chateaubriand eut plutôt des passions que des principes. Sa vie ne fut qu'une série de contradictions, et, malgré les hautes positions qu'il a occupées, il ne peut être rangé parmi les grands hommes d'État; mais, au milieu de ses contradictions, il eut du moins le mérite d'être sincère.

Comme écrivain, M. de Chateaubriand est, sans aucun doute, celui qui a le plus occupé l'opinion, et qui a exercé sur les esprits de son temps la plus grande influence. Ses principaux ouvrages sont le Génie du christianisme, dans lequel il démontre la vérité et la grandeur de la religion chrétienne; l'Itinéraire de Paris à Jérusalem, les Martyrs, Atala, Réné, les Etudes historiques et les Mémoires d'outre-tombe. Esprit plus brillant que profond, et poëte plutôt que penseur, M. de Chateaubriaud a excellé avant tout à peindre les scènes de la nature; il a des beautés de style de premier ordre, mais ces beautés sont souvent entachées de mauvais goût, et, en cherchant la grandeur, il tombe dans l'exagération. Aussi ses œuvres, tout en gardant une grande popularité, sont-elles jugées aujourd'hui beaucoup plus sévèrement que lors de leur publication, et c'est là précisément ce qui le distingue des écrivains tels que Bossuet, Pascal, la Bruyère, dont le temps n'a fait que confirmer la gloire.

L'ÉLOQUENCE CHRÉTIENNE.

Les anciens n'ont connu que l'éloquence judiciaire et politique : l'éloquence morale, c'est-à-dire l'éloquence de tout temps, de tout gouvernement, de tout pays, n'a paru sur la terre qu'avec la loi évangélique. Cicéron défend un client, Démosthène combat un adversaire, ou tâche de rallumer l'amour de la patrie chez un peuple dégénéré; l'un et l'autre ne savent que remuer les passions, et fondent toutes leurs espérances de succès sur le trouble qu'ils jettent dans les cœurs. L'éloquence de la chaire a cherché les siens dans une région plus élevée. C'est en combat

tant les mouvements de l'âme qu'elle prétend la séduire ; c'est en apaisant toutes les passions qu'elle s'en veut faire écouter. Dieu et la charité, voilà son texte, toujours le même, toujours inépuisable. Il ne lui faut ni les cabales d'un parti, ni des émotions populaires, ni de grandes circonstances pour briller. Dans la paix la plus profonde, sur le cercueil du citoyen le plus obscur, elle trouvera ses mouvements les plus sublimes; elle saura intéresser pour une vertu ignorée; elle fera couler des larmes pour un homme dont on n'a jamais entendu parler. Incapable de crainte et d'injustice, elle donne des leçons aux rois, mais sans les insulter; elle console le pauvre, mais sans flatter ses vices. La politique et les choses de la terre ne lui sont point inconnues; mais ces choses, qui faisaient les premiers motifs de l'éloquence antique, ne sont pour elle que des raisons secondaires : elle les voit des hauteurs où elle domine, comme un aigle aperçoit du sommet de la montagne les objets abaissés de la plaine.

LA FÈTE-DIEU.

Il n'en est pas des fêtes chrétiennes comme des cérémonies du paganisme; on n'y traîne pas en triomphe un boeuf-dieu, un bouc sacré; on n'est pas obligé, sous peine d'être mis en pièces, d'adorer un chat ou un crocodile, ou de se rouler ivre dans les rues, en commettant toutes sortes d'abominations, pour Vénus, Flore ou Bacchus : dans nos solennités, tout est essentiellement moral. Si KÉglise en a seulement banni les danses, c'est qu'elle sait combien de passions se cachent sous ce plaisir en apparence innocent.

Le Dieu des chrétiens ne demande que les élans du cœur et les mouvements égaux d'une âme que règle le paisible concert des vertus. Et quelle est, par exemple, la solennité païenne qu'on peut opposer à la fête où nous célébrons le nom du Seigneur?

Aussitôt que l'aurore a annoncé la fête du Roi du monde, les maisons se couvrent de tapisseries de laine et de soie, les rues se jonchent de fleurs, et les cloches appellent au temple la troupe des fidèles. Le signal est donné : tout s'ébranle, et la pompe commence à défiler.

On voit paraître d'abord les corps qui composent la société des peuples; leurs épaules sont chargées de l'image des pro

« PreviousContinue »