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FONTENELLE.

Neveu du grand Corneille par sa mère, Fontenelle est le patriarche des littérateurs français, car il est né à Rouen le 11 février 1657, et il est mort à Paris le 9 janvier 1757. Esprit vif, brillant et varié, il s'essaya dans tous les genres et réussit dans quelques-uns. Il a fait des comédies, des tragédies, des opéras, des pastorales, des dialogues des morts, mais son principal mérite est d'avoir tenté le premier une alliance entre l'érudition, les sciences et la littérature, en popularisant par un style animé, souvent entaché de recherche, mais toujours élégant et ingénieux, des notions qui, jusqu'à lui, étaient restées concentrées entre un petit nombre d'hommes spéciaux. Les Entretiens sur la pluralité des mondes, l'Histoire des Oracles, l'Histoire de l'Académie des sciences, les Eloges des Académiciens, ont ouvert chez nous une voie nouvelle et marqué le point de départ de la vulgarisation des sciences.

LES ÉCLIPSES.

Dans toutes les Indes orientales on croit que, quand le soleil et la lune s'éclipsent, c'est qu'un certain dragon, qui a les griffes fort noires, les étend sur ces astres dont il veut se saisir; et vous voyez pendant ce temps-là les rivières couvertes de têtes d'Indiens qui se sont mis dans l'eau jusqu'au cou, parce que c'est une situation très-propre, selon eux, à obtenir du soleil et de la lune qu'ils se défendent bien contre le dragon. En Amérique, on était persuadé que le soleil et la lune étaient fâchés quand ils s'éclipsaient, et Dieu sait ce qu'on ne faisait pas pour se raccommoder avec eux. Mais les Grecs, qui étaient si raffinés, n'ont-ils pas cru longtemps que la lune était ensorcelée, et que · des magiciennes la faisaient descendre du ciel pour jeter sur les herbes une certaine écume malfaisante? Et nous, n'avonsnous pas eu belle peur nous-mêmes, à une certaine éclipse de soleil, qui, à la vérité, fut totale? Une infinité de gens ne se tinrent-ils pas enfermés dans des caves? En vérité, tout cela est trop honteux pour les hommes: il devrait y avoir un arrêt du genre humain qui défendît qu'on parlât jamais d'éclipse, de peur que l on ne conserve la mémoire des sottises qui ont été faites ou dites sur ce chapitre-là. Mais ne faudrait-il pas aussi

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que le même arrêt abolît la mémoire de toutes choses, et défendît qu'on parlât jamais de rien car je ne sache rien au monde qui ne soit le monument de quelque sottise des hommes.

LES SCIENCES.

On traite volontiers d'inutile ce qu'on ne sait point, c'est une espèce de vengeance; et comme les mathématiques et la physique sont assez généralement inconnues, elles passent assez généralement pour inutiles. La source de leur malheur est manifeste elles sont épineuses, sauvages et d'un accès difficile.

Nous avons une lune pour nous éclairer pendant nos nuits Que nous importe, dira-t-on, que Jupiter en ait quatre ? Pourquoi tant d'observations si pénibles, tant de calculs si fatigants, pour connaître exactement leur cours? Nous n'en serons pas mieux éclairés, et la nature, qui a mis ces petits astres hors de la portée de nos yeux, ne paraît pas les avoir faits pour nous. En vertu d'un raisonnement si plausible, on aurait dû négliger de les observer avec le télescope et de les étudier, et il est sûr qu'on y eût beaucoup perdu. Pour peu qu'on entende les principes de la géographie et de la navigation, on sait que depuis que ces quatre lunes de Jupiter sont connues, elles nous ont été plus utiles par rapport à ces sciences que la nôtre elle-même; qu'elles servent et serviront toujours de plus en plus à faire des cartes marines incomparablement plus justes que les anciennes, et qui sauveront apparemment la vie à une infinité de navigateurs. N'y eût-il dans l'astronomie d'autre utilité que celle qui se tire des satellites de Jupiter, elle justifierait suffisamment ces calculs immenses, ces observations si assidues et si scrupuleuses, ce grand appareil d'instruments travaillés avec tant de soin, ce bâtiment superbe uniquement élevé pour l'usage de cette science.

En outre, ce n'est pas une chose que l'on doive compter parmi les simples curiosités de la science que les sublimes réflexions où elles nous conduisent sur l'auteur de l'univers. Ce grand ouvrage, toujours plus merveilleux à mesure qu'il est plus connu, nous donne une si grande idée de son ouvrier, que nous en sentons notre esprit accablé d'admiration et de respect. Surtout, l'astronomie et l'anatomie sont les deux sciences qui nous offrent le plus sensiblement deux grands caractères du

Créateur l'une, son immensité, par les distances, la grandeur et le nombre des corps célestes; l'autre, son intelligence infinie, par la mécanique des animaux.

CORNEILLE ET RACINE.

Corneille n'a eu devant les yeux aucun auteur qui ait pu le guider; Racine a eu Corneille.

Corneille a trouvé le théâtre français très-grossier, l'a porté à un haut point de perfection; Racine ne l'a pas soutenu dans la perfection où il l'a trouvé.

Les caractères de Corneille sont vrais, quoiqu'ils ne soient pas communs; les caractères de Racine ne sont vrais que parée. qu'ils sont communs.

Quelquefois les caractères de Corneille ont quelque chose de faux, à force d'être nobles et singuliers; souvent ceux de Racine ont quelque chose de bas, à force d'être naturels.

Quand on a le cœur noble, on voudrait ressembler aux héros de Corneille; et, quand on a le cœur petit, on est bien aise que les héros de Racine nous ressemblent.

On rapporte des pièces de l'un le désir d'être vertueux; et des pièces de l'autre, le plaisir d'avoir des semblables dans ses faiblesses.

Le tendre et le gracieux de Racine se trouvent quelquefois dans Corneille; le grand de Corneille ne se trouve jamais dans Racine.

Racine n'a presque jamais peint que des Français, et que le siècle présent, même quand il a voulu peindre un autre siècle et d'autres nations; on voit dans Corneille toutes les nations et tous les siècles qu'il a voulu peindre. Le nombre des pièces de Corneille est beaucoup plus grand que celui des pièces de Racine, et cependant Corneille s'est beaucoup moins répété luimême que Racine n'a fait.

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Dans les endroits où la versification de Corneille est belle, elle est plus hardie, plus noble, plus forte, et en même temps aussi nette que celle de Racine; mais elle ne se soutient pas dans ce degré de beauté, et celle de Racine se soutient toujours dans le sien.

Des auteurs inférieurs à Racine ont réussi après lui dans son

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genre; aucun auteur, même Racine, n'a osé toucher, après Corneille, au genre qui lui était particulier.

VOLTAIRE.

Nous avons cherché dans notre Introduction à indiquer, autant que nous pouvions le faire en peu de mots, quel était le caractère du génie de Voltaire; nous n'avons donc point à y revenir ici, et nous nous bornerons à quelques détails purement biographiques.

Suivant quelques écrivains, François-Marie-Arouet de Voltaire serait né à Châtenay, village du département de la Seine, à deux kilomètres de Sceaux; mais il est plus probable qu'il naquit à Paris, et la date de sa naissance est fixée au 20 février 1694. Il fut élevé au collège Louis le Grand, dirigé par les jésuites, et quand il eut terminé ses études, il fut d'abord attaché, avec le titre de page, au marquis de Châteauneuf, et fit en cette qualité un voyage en Hollande. De retour en France, il fut placé par son père, et contre son gré, dans une étude de procureur. Une satire publiée contre Louis XIV, en 1715, l'année même de la mort de ce prince, lui ayant été attribuée, il fut mis à la Bastille; mais son innocence fut bientôt reconnue; il recouvra la liberté après une courte détention et débuta au théâtre par la tragédie d'OEdipe. En 1726, il eut des démêlés avec le chevalier de Rohan-Chabot; celui-ci, après l'avoir attiré dans un guet-apens, le fit bâtonner par ses domestiques. Voltaire lui envoya un cartel; le chevalier, pour toute réponse, le fit enfermer une seconde fois à la Bastille, et après six mois de captivité, il fut exilé et se retira en Angleterre. Il y reçut un accueil des plus distingués, et quand il obtint de rentrer en France, en 1730, il se fit l'apologiste des mœurs, des idées et des institutions de l'Angleterre. De 1730 à 1735 il habita Paris, où il obtint de brillants succès au théâtre; mais, à la suite de la publication des Lettres philosophiques, qui furent brûlées par la main du bourreau, il jugea prudent de quitter la capitale; il alla vivre en Champagne, à Cirey, chez la marquise du Châtelet, tout prêt à passer la frontière s'il se voyait menacé; ce ne fut qu'en 1743, à la mort du cardinal de Fleury, qu'il revint à Paris. Il y resta jusqu'en 1750, époque à laquelle il se rendit à Berlin, à la demande du roi Frédéric, qui lui accorda une pension de 20,000 livres. L'intimité entre le monarque et l'écrivain fut d'abord assez grande; mais elle ne tarda point à se refroidir, et en 1753 Voltaire fut obligé de quitter la Prusse. Pendant cinq ans il vécut tour à tour à Lyon, à Colmar, aux environs de Lausanne, à Genève; en 1758, il acheta la belle terre de Ferney, aujourd'hui chef-lieu de canton du département de l'Ain, et c'est du fond de cette retraite qu'il exerça sur la France et sur l'Europe une domi

nation littéraire jusque-là sans exemple. En 1778 il fit son dernier voyage à Paris, et il y mourut le 30 mai, après avoir refusé les secours de la religion.

La faute irréparable de Voltaire, la triste et coupable erreur de sa vie entière, nous l'avons déjà dit, fut sa haine passionnée contre la religion. Cette haine surprend d'autant plus de la part d'un aussi grand esprit, que Voltaire, comme on l'a dit justement, avait la passion de la justice et de l'humanité, et que les plus beaux passages de ses tragédies, de ses poésies, de ses écrits en prose, sont précisément ceux dans lesquels il sait résister aux entraînements de l'esprit irréligieux, et où il s'inspire des idées chrétiennes, comme dans Zaïre, la plus belle de toutes ses compositions scèniques.

LETTRE A MILORD HARVEY, GARDE DES SCEAUX D'ANGLeterre,

1740.

Je fais compliment à votre nation, Milord, sur la prise de Porto-Bello, et sur votre place de garde des sceaux. Vous voilà fixé en Angleterre ; c'est une raison pour moi d'y voyager encore. Ne jugez point, je vous prie, de mon Essai sur le siècle de Louis XIV par les deux chapitres imprimés en Hollande avec tant de fautes qui rendent l'ouvrage inintelligible; mais surtout soyez un peu moins fâché contre moi de ce que j'appelle le siècle dernier le siècle de Louis XIV. Je sais bien que Louis XIV n'a pas eu l'honneur d'être le maître ni le bienfaiteur d'un Bayle, d'un Newton, d'un Halley, d'un Addison, d'un Dryden; mais dans le siècle qu'on nomme de Léon X, le pape Léon X avait-il tout fait ? n'y avait-il pas d'autres princes qui contribuèrent à polir et à éclairer le genre humain? Cependant le nom de Léon X a prévalu, parce qu'il encouragea les arts plus qu'aucun autre. Eh! quel roi donc en cela a rendu plus de services à l'humanité que Louis XIV? Quel roi a répandu plus de bienfaits, a marqué plus de goût, s'est signalé par de plus beaux établissements? Il n'a pas fait tout ce qu'il pouvait faire, sans doute, parce qu'il était homme; mais il a fait plus qu'aucun autre, parce qu'il était un grand homme : ma plus forte raison pour l'estimer beaucoup, c'est qu'avec des fautes connues, il a plus de réputation qu'aucun de ses contemporains; c'est que, malgré un million d'hommes dont il a privé la France, et qui tous ont été intéressés à le décrier, toute l'Europe l'estime et le met au rang des plus grands et des meil leurs monarques.

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