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Défiez vous des belles paroles des gens qui se vantent d'ètre vertueux. Jugez-en par leurs actions, et non par leurs dis

cours.

LA VILLE DE TYR.

J'admiràis l'heureuse situation de cette grande ville, qui est au milieu de la mer, dans une île : la côte voisine est délicieuse par sa fertilité, par les fruits exquis qu'elle porte, par le nombre de villes et de villages qui se touchent presque, enfin, par la douceur de son climat; car les montagnes mettent cette côte à l'abri des vents brùlants du midi. Elle est rafraîchie par le vent du nord qui souffle du còté de la mer. Ce pays est au pied du Liban, dont le sommet fend les nues et va toucher les astres; une glace éternelle couvre son front; des fleuves pleins de neige tombent, comme des torrents, des rochers qui environnent sa tête. Au-dessus, on voit une vaste forêt de cèdres antiques, qui paraissent aussi vieux que la terre où ils sont plantés, et qui portent leurs branches épaisses jusque vers les nues. Cette forêt a sous ses pieds de gras pâturages dans la pente de la montagne; c'est là qu'on voit errer les taureaux qui mugissent. Les brebis qui bèlent, avec leurs tendres agneaux, bondissent sur l'herbe. Là coulent mille ruisseaux d'une eau claire. Enfin, on voit audessous de ces pâturages le pied de la montagne, qui est comme un jardin, le printemps et l'automne y règnent ensemble, pour y joindre les fleurs et les fruits. Jamais, ni le souffle empesté du midi, qui sèche et qui brûle tout, ni le rigoureux aquilon, n'ont osé effacer les vives couleurs qui ornent ce jardin.

C'est auprès de cette belle côte que s'élève, dans la mer, l'île où est bâtie la ville de Tyr. Cette grande ville semble nager audessus des eaux, et être la reine de toutes les mers. Les marchands y abondent de toutes les parties. du monde, et ses habitants sont eux-mêmes les plus fameux marchands qu'il y ait dans l'univers. Quand on entre dans cette ville, on croit d'abord que ce n'est point une ville qui appartienne à un peuple particulier, mais qu'elle est la ville commune de tous les peuples, et le centre de leur commerce. Elle a deux grands môles semblables à deux bras qui s'avancent dans la mer, et qui embrassent un vaste port. On voit comme une forêt de mâts de navires, et ces navires sont si nombreux, qu'à peine peut-on découvrir la mer qui les porte. Tous les citoyens s'appliquent au commerce, et

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leurs grandes richesses ne les dégoûtent jamais du travail nécessaire pour les augmenter. On y voit de tous côtés le fin lín d'Égypte, et la pourpre tyrienne deux fois teinte d'un éclat merveilleux. Cette double teinture est si vive, que le temps ne peut l'effacer. On s'en sert pour des laines fines, qu'on rehausse d'une broderie d'or et d'argent.

Les Phéniciens ont le commerce de tous les peuples, jusqu'au détroit de Gades, et ils ont même pénétré dans le vaste océan qui environne toute la terre. Ils ont fait aussi de longues havigations sur la mer Rouge; et c'est par ce chemin qu'ils vont chercher, dans des fles inconnues, de l'or, des parfums, et divers animaux qu'on ne voit point ailleurs. Je ne pouvais rassasier mes yeux du spectacle magnifique de cette grande ville où tout était en mouvement. Je n'y voyais point, comme dans les villes de la Grèce, des hommes oisifs et curieux qui vont chercher des nouvelles dans la place publique, ou regarder les étrangers qui arrivent sur le port. Les hommes sont occupés à décharger leurs vaisseaux, à transporter leurs marchandises, où les vendre, ou à ranger leurs magasins, et à tenir un compte exact de ce qui leur est dû par les négociants étrangers; les femmes ne cessent jamais de filer les laines, ou de faire des dessins de broderies, ou de ployer les riches étoffes.

LA TERRE.

Qui est-ce qui a suspendu ce globe de la terre, qui est immobile? qui est-ce qui en a posé les fondements? Rien n'est, ce semble, plus vil qu'elle; les plus malheureux la foulent aux pieds; mais c'est pourtant pour la posséder qu'on donne les plus grands trésors. Si elle était plus dure, l'homme ne pourrait en ouvrir le sein pour la cultiver; si elle était moins dure, elle ne pourrait le porter; il enfoncerait partout, comme il enfonce dans le sable ou dans un bourbier. C'est du sein inépuisable de la terre que sort tout ce qu'il y a de plus précieux.

Cette masse informe, vile et grossière, prend toutes les formes les plus diverses, et elle seule donne tour-à-tour tous les biens que nous lui demandons. Cette boue si sale se transforme en mille beaux objets qui charment les yeux. En une seule année elle devient branches, boutons, feuilles, fleurs, fruits et semences, pour renouveler ses libéralités en faveur des hommes; rien ne l'épuise. Plus on déchire ses entrailles, plus elle est libéral

Après tant de siècles pendant lesquels tout est sorti d'elle, elle m'est point encore usée. Elle ne ressent aucune vieillesse; ses entrailles sont encore pleines des mêmes trésors. Mille générations ont passé dans son sein. Tout vieillit, excepté elle seule; elle rajeunit chaque année au printemps.

Elle ne manque point aux hommes; mais les hommes insen sés se manquent à eux-mêmes, en négligeant de la cultiver. C'est par leur paresse et par leurs désordres, qu'ils laissent croître les ronces et les épines, en la place des vendanges et des moissons. Ils se disputent un bien qu'ils laissent perdre. Les conquérants laissent en friche la terre, pour la possession de laquelle ils ont fait périr tant de milliers d'hommes, et ont passé leur vie dans une terrible agitation Les hommes ont devant eux des terres immenses qui sont vides et incultes; et ils renversent le genre humain pour un coin de cette terre si négligée. La terre, si elle était bien cultivée, nourrirait cent fois plus d'hommes qu'elle n'en nourrit. L'inégalité même des terroirs, qui paraît d'abord un défaut, se tourne en ornement et en utilité. Les montagnes se sont élevées, et les vallons sont descendus en la place que le Seigneur leur a marquée.

Ces diverses terres, suivant les divers aspects du soleil, ont leurs avantages. Dans ces profondes vallées on voit croître l'herbe fraîche pour nourrir les troupeaux. Auprès d'elle s'ouvrent de vastes campagnes revêtues de riches moissons. Ici, des coteaux s'élèvent comme un amphithéâtre, et sont couronnés de vignobles et d'arbres fruitiers. Là, de hautes montagnes vont porter leur front glacé jusque dans les nues, et les torrents qui en tombent sont les sources des rivières. Les rochers qui montrent leur cime escarpée soutiennent la terre des montagnes, comme les os du corps humain en soutiennent les chairs. Cette variété fait le charme des paysages; en même temps elle satisfait aux divers besoins des peuples : il n'y a point de terroir si ingrat qui n'ait quelque propriété.

LES MISSIONNAIRES.

Ni les sables brûlants, ni les déserts, ni les montagnes, ni la distance des lieux, ni les tempêtes, ni les écueils de tant de mers, ni l'intempérie de l'air, ni le milieu fatal de la ligne, où l'on découvre un ciel nouveau, ni les flottes ennemies, ni les côtes barbares, ne peuvent arrêter ceux que Dieu envoie. Qui

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sont-ils ceux qui volent comme les nuées ? Vents, portez-les sur vos ailes. Que le Midi, que l'Orient, que les îles inconnues les attendent et les regardent en silence venir de loin. Qu'ils sont beaux les pieds de ces hommes qu'on voit venir du haut des montagnes apporter la paix, annoncer les biens éternels, prêcher le salut et dire: O Sion, ton Dieu règnera sur toi! Les Voici, ces nouveaux conquérants, qui viennent sans armes, excepté la croix du Sauveur. Ils viennent, non pour enlever les richesses et répandre le sang des vaincus, mais pour offrir leur propre sang et communiquer le trésor céleste'.

Peuples qui les vîtes venir, quelle fut d'abord votre surprise! et qui peut la représenter? Des hommes qui viennent à vous, sans être attirés par aucun motif ni de commerce, ni d'ambition, ni de curiosité; des hommes qui, sans vous avoir jamais vus, sans savoir même où vous êtes, vous aiment tendrement,quittent tout pour vous, et vous cherchent au travers de toutes les mers avec tant de fatigues et de périls, pour vous faire part de la vie eternelle qu'ils ont découverte ! Nations ensevelies dans l'ombre de la mort, quelle lumière a brillé sur vos tètes !

IL FAUT CHERCHER LA SIMPLICITÉ DANS LES PLAISIRS.

Quand on ne s'est encore gâté par aucun grand divertissement, et qu'on n'a fait naître en soi aucune passion ardente, on trouve aisément la joie la santé et l'innocence en sont les vraies sources; mais les gens qui ont eu le malheur de s'accoutumer aux plaisirs violents perdent le goût des plaisirs modérés, et s'ennuient toujours dans une recherche inquiète de la joie.

On se gâte le goût pour les divertissements comme pour les viandes; on s'accoutume tellement aux choses de haut goût que les viandes communes et simplement assaisonnées deviennent fades et insipides. Craignons donc ces grands ébranlements de l'âme qui préparent l'ennui et le dégoût : surtout ils sont plus à craindre pour les enfants, qui résistent moins à ce qu'ils sentent, et qui veulent être toujours émus ; tenons-les dans le goût des choses simples; qu'il ne faille point de grands apprêts de viandes pour les nourrir ni de divertissements pour les réjouir. La sobriété donne toujours assez d'appétit, sans avoir besoin de le réveiller par des ragoûts qui portent à l'intempérance. La tempérance, disait un ancien, est la meilleure

ouvrière de la volupté : avec cette tempérance, qui fait la santé du corps et de l'âme, on est toujours dans une joie douce et modérée; on n'a besoin ni de machines, ni de spectacles, ni de dépenses pour se réjouir; un petit jeu qu'on invente, une lecture, un travail qu'on entreprend, une promenade, une conversation innocente qui délasse après le travail, font sentir une joie plus pure que la musique la plus charmante.

Les plaisirs simples sont moins vifs et moins sensibles, il est vrai. Les autres enlèrent l'âme en remuant les ressorts des passions; mais les plaisirs simples sont d'un meilleur usage : ils donnent une joie égale et durable sans aucune suite maligne. Ils sont toujours bienfaisants, au lieu que les autres plaisirs sont comme les vins frelatés, qui plaisent d'abord plus que les naturels, mais qui nuisent à la santé le tempérament de l'âme se gåte, aussi bien que le goût, par la recherche de ces plaisirs vifs et piquants.

MADAME DE MAINTENON.

Cette femme célèbre, fille du calviniste d'Aubigné, naquit en 1635. Orpheline à dix-sept ans, elle épousa le poëte Scarron, l'un des hommes les plus spirituels et les plus laids de son temps, et qui était perclu de tous ses membres. Veuve en 1660. elle retomba dans la misère, jusqu'au moment où madame de Montespan, favorite de Louis XIV, la nomma gouvernante des enfants illégitimes du roi. Madame de Maintenon finit par prendre dans le cœur de Louis XIV une part de l'affection que ce prince avait eue pour madame de Montespan; et à la mort de la reine, arrivée en 1683, un mariage secret l'unit au roi de France. A dater de cette époque, elle fut pendant trente ans la compagne assidue de la vieillesse de Louis XIV, et à la mort de ce prince elle se retira dans la maison de Saint-Louis, à Saint-Cyr, qu'elle avait fondée pour y élever des jeunes filles nobles dont elle dirigeait elle-mème l'éducation. Les contemporains ont, en grande partie, fait peser sur elle la responsabilité des fautes et des malheurs qui attristèrent les dernières années du règne de Louis XIV. La plupart des historiens qui de nos jours se sont occupés d'elle ont chefché à la justifier de ce reproche. Il nous paraît, quant à nous, fort difficile de se prononcer avec une entiere certitude dans un sens ou dans un autre. Toujours est-il qu'il a fallu une grande habileté à madame de Maintenon, née dans le calvinisme, pour s'élever jusqu'au rang de la femme

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