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Plutôt qu'à Paul, plutôt qu'à moi.
Jean Lapin allégua la coutume et l'usage.

Ce sont, dit-il, leurs loix qui m'ont de ce logis
Rendu Maître et Seigneur; et qui, de père en fils,
L'ont de Pierre à Simon, puis à moi Jean, transmis.
Le premier occupant est-ce une loi plus sage?
Or bien (5), sans crier davantage,

Rapportons-nous, dit-elle, à Raminagrobis (6).
C'étoit un Chat, vivant comme un dévot hermite,
Un Chat faisant la chattemite (7),

Un saint homme de Chat, bien fourré, gros et gras,
Arbitre expert sur tous les cas.

Jean Lapin pour Juge l'agrée.
Les voilà tous deux arrivés

Devant sa Majesté fourrée.

:

Grippeminaud (8) leur dit : Mes enfans, approchez, Approchez je suis sourd, les ans en sont la cause. L'un et l'autre approcha, ne craignant nulle chose. Aussitôt qu'à portée il vit les contestans,

Grippeminaud le bon apôtre,

Jettant des deux côtés la griffe en même-temps,
Mit les plaideurs d'accord en croquant l'un et l'autre.

Ceci ressemble fort aux débats qu'ont par fois
Les petits Souverains se rapportant aux Rois.

L. II,

(Depuis La Fontaine). FRANÇAIS. Fables en chansons, fab. 2. M. l'abbé Aubert, Liv. VI, fab. 4 (*). —LATINS. Jaïus, Biblioth. Rhetor. T. I. pag. 740. Desbillons, L. VII. pag. 22. — ITAL. Luig. Grillo, fav. 44.

(*) Deux Moineaux se sont pris de querelle, le Chat s'offre pour arbitre; il est agréé : le dénouement du drame est le même.

NOTES D'HISTOIRE NATURELLE.

LE CHAT. Voyez Liv. III. fab. 6.

LA BELETTE. Voyez même livre, fab. 17.

LE LAPIN, animal dont l'extérieur présente assez la forme du Lièvre; comme lui, timide, vorace, agile, le Lapin n'échappe guère à la poursuite du Renard, du Loup ou de l'Oiseau de proie, que pour tomber sous la main de l'homme. Sa chair blanche et molle est délicate; sa fécondité l'a rendu très-commun.

OBSERVATIONS DIVERSES.

(1) C'est une rusée. J'ai vu des jeunes gens embarrassés sur le sens de ce vers. L'habitude de rencontrer de vieux mots dans La Fontaine éloignoit de leur esprit l'idée que ce fût l'adjectif rusé, et leur faisoit soupçonner quelque substantif inconnu au langage moderne. J'ai vu d'autres critiques d'un âge plus mûr chercher vainement à l'accorder, soit avec le vers suivant : quelle adresse y a-t-il à s'emparer d'un gîte ouvert, et dont le maître est absent ?* soit avec le dénouement: est-ce être bien rusé que de s'enferrer sous la griffe d'un chat? Ce que j'oserois répondre à tous, c'est qu'un vers n'est pas bon, quand on ne l'entend pas, ou qu'on l'entend mal.

:

(2) Qu'il étoit allé faire à l'Aurore sa cour, etc. La prose cût dit brouter avant le lever du soleil. La poésie fait naître le thym et la rosée; elle personnifie le jour commençant; elle amène à la cour de l'Aurore le jeune Lapin. Ce sont des images riantes à la place d'une idée vulgaire et stérile. Ce qui suit est naïf, et d'une aimable familiarité.

(3) Janot lapin. Un Janot est celui dont une bonhommie simple excite en nous l'enjouement, et finit par nous faire rire à ses dépens. Tel Janot de la société est le Lapin de la fable.

(4) O Dieux hospitaliers ! que vois-je? etc. Le premier cri de l'innocence qu'on opprime est une invocation à la divinité. Le poète l'a bien senti; et la Philosophie est forcée de convenir que l'homme est aussi essentiellement religieux qu'il est raisonnable.

M. de la Harpe, Eloge de La Fontaine, p. 20. « Ecoutez la Belette et le Lapin plaidant pour un terrier. Est-il possible de mieux discuter une cause ? Tout y est mis en usage, coutume, antorité, droit naturel, généalogie. On y invoque les Dieux hospitaliers. Ce sérieux qui est si plaisant, excité en nous ce rire de l'ame que feroit naître la vue d'un enfant heureux de peu de chose. »

:

(5) Or bien. Comme dans Malherbe bien est-il mal aisé. (Paraphr. du ps. 128.)

Bien semble être la mer une barre assez forte, etc.

Sur quoi Vaugelas a dit : « En vers, M. de Malherbe en a souvent usé; et je trouve qu'il a aussi bonne grace en vers qu'il l'a mauvaise en prose, pourvu qu'il soit bien placé, comme cet excellent ouvrier avoit accoutumé de s'en servir. »

(6) Raminagrobis. Rabelais donne ce nom à un vieux poète. (Voyez Pantagr. Liv. III. ch. 21. ) L'abbé Massieu y reconnoît le chanoine Cretin, loué par Clém. Marot (V. Hist. de la Poésie franç. p. 326.) Selon le Commentateur de Rabelais, il se composeroit des mots : Raoul, ermine et gros bis; ce qui signifie proprement; un Chat qui fait le gros monsieur sous sa robe d'hermine. (Rabelais, T. III. p. 114. note. ) Il est plus vieux que Rabelais; car on le trouve dans La Démoniaque. (Seconde journée, fol. 58. vol. in-8°. de la Passion de J. C. à personnages.)

(7) Un Chat faisant la chattemite,

Un saint homme de Chat, bien fourré, gros et gras. Vers pleins de gaîté. La chattemite s'emploie plus communément en adjectif. H. Etienne : caffards, patepelues, chattemites, loups ravissans, etc. (Apologie pour Hérodote, ch. 38. Tom. III. p. 220.) d'où vient l'adverbe chatemitiquement, dit l'éditeur, (Ibid. p. 217.) C'est se moquer que de dériver chattemite de catamitus: qui ne voit que ce mot vient de cata et mit's, chatte douce? Il faut voir dans les Nouvelles récréations, imprimées sous le nom de Bonaventure Desperriers (elles sont de J. Pelletier et de Nic. Denizot), le conte de l'Ecolier qui fit valoir le latin de son Curé. (V. Rabelais, Pantagr. T. IV. second prologue, p. xix.) - Bien fourré, gros et gras. Voltaire et Florian se sont emparés de ces riantes images, le premier, dans sa fable du Loup moraliste.

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Et vient, bien fourré, gros et gras, etc.

L'autre, dans ces vers:

L'un étoit gras à lard,

C'étoit l'aîné; sous son ermine,

D'un chanoine il avoit la mine,

Tant il étoit dodu, potelé, frais et beau.

(Le vieux chat et le vieux rat.)

(8) Grippeminaud, le bon apôtre. Autre nom burlesque imité de Rabelais, comme celui de Raminagrobis, dont il paroît être l'inverse. « Grippeminaut, Raminagrobis, minon à robe d'hermine, et duquel les griffes sont plus fortes que celles des simples chats fourrés. » M. Le Duchat (Notes sur Pantagruel. Liv. V. ch. XI. note 2. - Le bon apôtre. J. B. Rousseau ( Liv. I. Eptire I.)

Ne vous y fiez pas,

C'est un matois; il fait le bon apôtre.

Les détails de cette fable en font un chef-d'œuvre de narration: mais la morale n'en est pas consolante. Etre dépouillé par la Belette ou mangé par le Chat! Voila donc le cercle dans lequel la foiblesse et la bonhommie se trouvent enfermées! Si c'est là une vérité, certes elle n'est pas honorable pour l'espèce humaine. Encore si le poète laissoit entrevoir quelque asyle ou quelque dédommagement contre cette triste expectative! Mais falloit-il tant d'esprit pour nous apprendre qu'ici-bas les bonnes-gens sont faits pour être d'abord dupes, et puis victimes?

FABLE XVII.

La téte et la queue du Serpent.

(Avant La Fontaine). GRECS. Plutarque, dans la Vie d'Agis

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La tête avoit toujours marché devant la

La queue au ciel se plaignit,

Et lui dit :

Je fais mainte et mainte lieue,

Comme il plaît à celle-ci :

queue.

Croit-elle que toujours j'en veuille user ainsi?

Je suis son humble servante.

On m'a faite, Dieu merci,
Sa sœur et non sa suivante.

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Toutes deux de même sang,
Traitez-nous de même sorte :
Aussi bien qu'elle, je porte
Un poison prompt et puissant.
Enfin, voilà ma requête :

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