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FABLE XIII.

Le Renard, les Mouches et le Hérisson.

(Avant La Fontaine). GRECS. Esope, dans Aristote (Rhethoric. Liv. II ) [*]. — LATINS. Tibère César, dans Joseph ( Antiquités juives). Philib. Hegemon, fab. 19. Faerne, fab. 17. Camérar. fab. 255, pag. 298. Ménage, fab. 4. — FRANÇAIS. Dans un Recueil des Etats tenus en France, vol. in-4°. Paris, 1651, pag. 213.

Aux traces de son sang, un vieux hôte des bois,
Renard fin, subtil et matois,

Blessé par des Chasseurs, et tombé dans la fange,
Autrefois attira ce parasite ailé,

Que nous avons Mouche appellé.

Il accusoit les Dieux, et trouvoit fort étrange
Que le Sort à tel point le voulût affliger,
Et le fit aux Mouches manger.

Quoi! se jetter sur moi, sur moi, le plus habile
De tous les hôtes des forêts!

Depuis quand les Renards sont-ils un si bon mets?
Et que me sert ma queue? Est-ce un poids inutile?
Va, le Ciel te confonde, animal importun :

Que ne vis-tu sur le commun!

Un Hérisson du voisinage,

Dans mes vers nouveau personnage,

Voulut le délivrer de l'importunité

Du peuple plein d'avidité :

Je les vais, de mes dards,

de mes dards, enfiler par centaines,

[*] Manque dans la collection de Planude.

Voisin Renard, dit-il, et terminer tes peines. Garde-t-en bien, dit l'autre : ami, ne le fais pas : Laisse-les, je te prie, achever leur repas.

Ces animaux sont souls: une troupe nouvelle
Viendroit fondre sur moi, plus âpre et plus cruelle.

Nous ne trouvons que trop. de mangeurs ici-bas:
Ceux-ci sont Courtisans, ceux-là sont Magistrats.
Aristote appliquoit cet apologue aux Hommes.
Les exemples en sont communs (1),
Sur-tout au pays où nous sommes.

Plus telles gens sont pleins, moins ils sont importuns.

(Depuis La Fontaine.) FRANÇAIS. Imitation dans Muses helvé tiennes, pag. 250, vol. in-8°. Lausanne, 1775. Le Jeune, Liv. V. fab. 8, les Guépes et le Boucher. - LATINS. Desbillons, L. III. fab. 41.

NOTE D'HISTOIRE NATURELLE.

HERISSON, petit animal terrestre, gros comme un Lapin. Le dessus de son corps est couvert d'une espèce d'armure hérissée de piquans durs et pointus, variés de brun et de blanchâtre, qu'il élève et abaisse à son gré. Quand il a peur, il se ramasse en forme de boule, et cachant ainsi sa tête et ses piés, ne presente à l'attaque de son ennemi qu'une masse épineuse. Il ne sort que nuit pour pourvoir à sa nourriture. Après qu'il a détaché avec ses pattes les grappes de raisins, il se roule par dessus, et dès qu'il sent ses pointes chargées de butin, il s'enfuit dans sa retraite toujours cachée dans les bois ou dans les cavernes, et dans les vieilles masures.

Tome 11.

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OBSERVATIONS DIVERSES.

Le sujet de cette fable, dit l'abbé Batteux, est dans Esopë. Aristote la cite dans sa Rhétorique'comme un modèle capable de faire juger du goût de l'auteur, et de sa manière énergique d'enseigner. (Princ. de Littér. T. II. p. 39.) La voici traduite du grec. « Un Renard voulant passer une rivière, tomba dans une fosse bourbeuse. Aussitôt il y fut assailli par une infinité de grosses Mouches, qui le tourmentèrent long-temps. Il passe un Hérisson; touché de le voir souffrir ainsi : Voulez-vous, lui dit-il, que je vous délivre de ces insectes cruels qui vous dévorent? Gardez-vous-en bien, répondit le Renard. Eh pourquoi donç? Parce que celles-ci vont être saoules de mon sang; et si vous les chassez, il en viendra d'autres plus affamées, qui me suceront ce qui m'en reste ». Toutes les Fables grecques auroient ce sens profond et cette énergique simplicité, que La Fontaine n'en auroit pas moins les premiers droits à notre admiration, par le charme des détails et la magie du style.

L'allégorie est visible, dit encore le même abbé Batteux. Le Renard représente le peuple foulé par ses magistrats, qui sont euxmêmes représentés par les Mouches. Le Hérisson représente les accusateurs des magistrats. Le Renard est malheureux; mais il est prudent et patient dans son malheur. Le Hérisson est choisi pour représenter les accusateurs, plutôt que tout autre animal, parce qu'étant hérissé de pointes, il pouvoit blesser en voulant guérir: caractère assez ordinaire aux accusateurs, en pareil cas, qui veulent changer de maître souvent pour régner à leur tour, et peut-être avec plus de dureté que ceux qu'ils accusent. (Ibid. p. 41.) (1) Les exemples en sont communs,

Sur-tout au pays où nous sommes. Le peuple, instrument et toujours victime des factions, ne change jamais son état que pour le détériorer. Ces renouvellemens de constitution ne peuvent se faire qu'aux dépens de sa fortune et de son sang, parce que le dernier venu a toujours besoin de s'engraisser. Non parcit populis regnum breve.

FABLE XIV.

L'Amour et la Folie.

(Avant La Fontaine). FRANÇAIS. Louise Labé, Débat de Folie et d'Amour.

Tour est mystère dans l'Amour,

Ses flèches, son carquois, son flambeau, son enfance. . Ce n'est pas l'ouvrage d'un jour,

Que d'épuiser cette Science.

Je ne prétends donc point tout expliquer ici :
Mon but est seulement de dire à ma manière,

Comment l'Aveugle que voici,

(C'est un Dieu) comment, dis-je, il perdit la lumière? Quelle suite eut ce mal, qui peut-être est un bien. J'en fais juge un amant, et ne décide rien (1).

La Folie et l'Amour jouoient un jour ensemble.
Celui-ci n'étoit pas encor privé des yeux.

Une dispute vint : l'Amour veut qu'on assemble
Là-dessus le conseil des Dieux:

L'autre n'eut pas la patience.

Elle lui donne un coup si furieux,

Qu'il en perd la clarté des Cieux.

Vénus en demande vengeance.

Femme et mère, il suffit pour juger de ses cris:
Les Dieux en furent étourdis,

Et Jupiter, et Némésis,

Et les Juges d'Enfer, enfin toute la bande.

Elle représenta l'énormité du cas;

Son fils, sans un bâton, ne pouvoit faire un pas.
Nulle peine n'étoit pour ce crime assez grande :
Le dommage devoit être aussi réparé.
Quand on eut bien considéré

L'intérêt du public, celui de la patrie,
Le Résultat enfin de la suprême Cour
Fut de condamner la Folie

A servir de guide à l'Amour.

(Depuis La Fontaine ). ITAL. Luig. Grillo, fav. 8o. —ANGLOIS. Dodsley, English fab. 20.

OBSERVATIONS DIVERSES.

PRÉCIS du dialogue de Louise Labé, intitulé: Débats de Folie et d'Amour. A la suite d'une dispute très-vive entre l'Amour et la Folie, celle-ci tire les yeux an fils de Vénus, et les lui bande. Sujet du premier discours. L'Amour désespéré va cacher sa honte loin de l'Olympe. Vénus le rencontre : elle essaie de dénouer la bande; mais les nœuds sont indissolubles. Vénus: allons, mon fils, vers Jupiter, et lui demandons vengeance de cette malheureuse. Second discours. Jupiter ne veut point condamner la Folie sans l'avoir entendue ; elle est appelée : la cause se plaide solemnellement devant le consistoire des Dieux. Mercure accepte l'emploi de défenseur de la Folie; Apollon se charge de la cause de l'Amour. Après un long plaidoyer, où les traits d'esprit les plus fins percent à travers les subtilités d'une érudition sans goût, selon le style de ce temps-là, Jupiter prononce cet arrêt: Vous commandons vivre amiablement ensemble, sans vous outrager l'un l'autre, et guidera Folie l'aveugle Amour, et le conduira par-tout où bon lui semblera. (Louise Labé, surnommée la belle Cordière. Lyon, édit. de Duplain, 1762, ↑ vol. in-12.) Mais ces vers:

(1) Comment l'aveugle que voici,

(C'est un Dieu) comment, dis-je, il perdit la lumière :
Quelle suite eut le mal qui peut-être est un bien.

J'en fais juge un amant, et ne décide rien.

Ces vers n'ont point eu de modèle, et trouveront difficilement des

imitateurs.

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