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Qui du Tartare (2) sont voisins. Notre Trio poussa maint regret inutile,

Ou plutôt il n'en poussa point.

Le plus petit Marchand est savant sur ce point (3);
Pour sauver son crédit il faut cacher sa perte.
Celle que par malheur nos gens avoient soufferte
Ne put se réparer le cas fut découvert.

:

Les voilà sans crédit, sans argent, sans ressource, Prêts à porter le bonnet vert (4).

Aucun ne leur ouvrit sa bourse.

Et le sort principal, et les gros intérêts,
Et les Sergents, et les procès,

Et le créancier à la porte,

Dès devant la pointe (5) du jour,

N'occupoient le Trio qu'à chercher maint détour,
Pour contenter cette cohorte.

Le Buisson accrochoit les passants à tous coups (6):
Messieurs, leur disoit-il,
leur disoit-il, de grace apprenez-nous
En quel lieu sont les marchandises

Que certains gouffres nous ont prises:

Le Plongeon, sous les eaux s'en alloit les chercher.
L'Oiseau Chauve-Souris n'osoit plus approcher
Pendant le jour, nulle demeure:
Suivi des Sergents à toute heure,

En des trous il s'alloit cacher.

Je connois maint detteur (7), qui n'est ni Souris-Chauve,
Ni Buisson, ni Canard, ni dans tel cas tombé,
Mais simple grand Seigneur,qui tous les jours se sauve(8)
Par un escalier dérobé.

OBSERVATIONS DIVERSES.

(1) Vont trafiquer au loin, etc. Où peut être la vraisemblance. d'une pareille association? Le Buisson a-t-il pieds ou ailes, pour marcher et entreprendre un voyage au loin?

(2) Tartare. L'un des noms dont les poètes se servent pour désigner les enfers ou l'empire des morts.

(3) Le plus petit marchand, etc. Le poète a voulu sauver le fonds ingrat de son apologue par des détails, où perce l'esprit d'observation, exprimés avec autant de finesse que d'agrément. (4) Prêts à porter le bonnet vert. Boileau:

Ou que d'un bonnet vert le salutaire affront
Flétrisse les lauriers qui lui couvrent le front.

(Satyre I. vers 15.)

Allusion, dit son commentateur, à la coutume où l'on étoit en Italie, d'obliger tout cessionnaire de biens de porter un bonnet ou chapeau orange; et à Rome, un bonnet vert, pour marquer, ajoute-t-il, d'après Pasquier (Recherches, L. IV. c. 10), que celui qui fait cession de biens, est devenu pauvre par sa faute. Cette peine s'étoit également introduite en France, mais seulement depuis la fin du 16. siècle, suivant les arrêts rapportés par nos jurisconsultes : elle est aujourd'hui tombée en désuétude. ( Voyez Œuv. de Boileau, T. I. p. 17, édit iu-12, Paris, 1726.)

(5) Dès devant la pointe. Mauvaise construction: on diroit tout au plus dès avant.

(6) Le Buisson accrochoit, etc. M. Lessing (fable le Buisson): « Mais parle, disoit le Saule au Buisson, pourquoi as-tu tant d'avidité pour les habits des passans? qu'en veux-tu faire? quel secours veux-tu en tirer? Aucun, dit le Buisson. Aussi ne prétends-je pas les prendre je ne veux que les déchirer». (L. II. fab. 17.)

(7) Detteur n'est point français. Regrettons que l'autorité de La Fontaine et l'énergique précision de ce mot n'aient point encore paru des titres suffisans pour lui donner rang dans le langage

commun.

(8) Qui tous les jours se sauve. Comme la Chauve-souris. Mais le Canard et le Buisson, quels sont leurs imitateurs? Pour être régulière, la morale de la fable doit s'étendre à toutes ses parties.

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La querelle des Chiens et des Chats, et celle des· Chats et des Souris.

LA Discorde a toujours régné dans l'Univers ;
Notre monde en fournit mille exemples divers.
Chez nous cette Déesse a plus d'un tributaire.
Commençons par les Eléments:

Vous serez étonnés de voir qu'à tous moments
Ils seront appointés contraire (1).
'Outre ces quatre Potentats (2),
Combien d'êtres de tous états
Se font une guerre éternelle!

Autrefois un logis plein de Chiens et de Chats,
Par cent arrêts rendus en forme solemnelle,
Vit terminer tous leurs débats.

Le Maître ayant réglé leurs emplois, leurs repas,
Et menacé du fouet quiconque auroit querelle,
Ces animaux vivoient entre eux comme cousins;
Cette union si douce, et presque fraternelle,
Edifioit tous les voisins.

Enfin elle cessa. Quelque plat de potage,
Quelque os, par préférence, à quelqu'un d'eux donné,
Fit que l'autre parti s'en vint tout forcené

Représenter un tel outrage.

J'ai vu des Chroniqueurs attribuer le cas

Aux passe-droits qu'avoit une Chienne en gésine (3);

Quoi qu'il en soit, cet altercas (4)

Mit en combustion la salle et la cuisine:

Chacun se déclara pour son Chat, pour son Chien. On fit un Réglement dont les Chats se plaignirent, Et tout le quartier étourdirent.

Leur Avocat disoit, qu'il falloit bel et bien
Recourir aux Arrêts. En vain ils les cherchèrent.
Dans un coin où d'abord leurs agents les cachèrent,
Les Souris enfin les mangèrent.

Autre procès nouveau : le peuple Souriquois
En pâtit. Maint vieux Chat, fin, subtil et narquois (5),
Et d'ailleurs en voulant à toute cette race,

Les guetta, les prit, fit main basse.

Le Maître du logis ne s'en trouva que mieux.

J'en reviens à mon dire. On ne voit sous les Cieux
Nul animal, nul être, aucune créature

Qui n'ait son opposé : c'est la loi de nature.
D'en chercher la raison, ce sont soins superflus.
Dieu fit bien ce qu'il fit (6), et je n'en sais pas plus.
Ce que je sais, c'est qu'aux grosses paroles

On en vient, sur un rien,plus des trois quarts du temps.
Humains, il vous faudroit encore à soixante ans
Renvoyer chez les Barbacoles (7).

OBSERVATIONS DIVERSES.

(1) Appointés contraire. Terme de barreau qu'il falloit laisser à ces antres de la chicane, où la langue est aussi souvent violée que la justice.

(2) Potentats. Métaphore hardie qui ne sied au style de l'apologue, que parce que tout sied à La Fontaine.

(3) Une Chienne en gésine. Nous avons déjà vu ce mot: une

chienne étant en gésine. (Fable, la Lice et sa Compagne. ) « Les Truies en leur gésine ne sont nourries que de fleurs d'orangers». (Pantagr. Liv. IV. ch. 7.)

(4) Altercas ou altercat, comme appointé contraire.

(5) Narquois, expliqué par ses accessoires. « Ce bonhomme fut apperçu par un grand dégousté narquois ». ( Touches du sieur Des Accords, L. I. Escraign. 27.)

(6) Dieu fit bien ce qu'il fit. Fable 4 du Liv. IX, le Gland ot la Citrouille :

Voyez la note.

Dieu fait bien ce qu'il fait.

(7) Barbacoles. «Terme plaisant et burlesque, emprunté des Italiens, pour désigner un maître d'école qui, pour se rendre plus vénérable à ses écoliers, porte une longue barbe, barbam colit». (Coste.) Champfort ne voit dans cette fable qu'une espèce de radotage». (T. II. p. 348.) Est-ce dans ces termes que le satyrique Latin parle de la vieillesse d'Homère et de ses momens de sommeil ?

FABLE IX.

Le Loup et le Renard.

(Avant La Fontaine). ORIENTAUX. Pilpay, Contes Indiens, T. III. pag. 116. — FRANÇAIS. Fabliaux du XIVe. siècle, la Confession du Renard. (Voyez Le Grand, T. I. in-8°. p. 383, et T. IV. p. 207.) Marie de France. Ysopet, du Loup qui avoit fait un vœu (dans le manusc. de la biblioth. de S. Germain-des-Prés, no. 1830).

D'où
'où vient que personne en la vie (1)
N'est satisfait de son état?

Tel voudroit bien être Soldat,

A qui le Soldat porte envie.

Certain Renard voulut, dit-on,
Se faire Loup. Eh! qui peut dire

Que

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