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A MONSEIGNEUR

LE DUC DE BOURGOGNE,

Qui avoit demandé à M. de La Fontaine une Fable qui fût nommée le Chat et la Souris.

POUR plaire au jeune Prince à qui la Renommée

Destine un Temple en mes écrits, Comment composerai-je une Fable nommée. Le Chat et la Souris ?

Dois-je représenter dans ces vers une Belle,
Qui douce en apparence, et toutefois cruelle,
Va se jouant des cœurs que ses charmes ont pris
Comme le Chat de la Souris ?

Prendrai-je pour sujet les jeux de la Fortune?
Rien ne lui convient mieux; et c'est chose commune
Que de lui voir traiter ceux qu'on croit ses amis,
Comme le Chat fait la Souris.

Introduirai-je un Roi, qu'entre ses favoris
Elle respecte seul, Roi qui fixe sa roue,
Qui n'est point empéché d'un monde d'ennemis;
Et qui des plus puissans, quand il lui plaît, se joue
'Comme le Chat, de la Souris.

Mais insensiblement, dans le tour que jai pris,
Mon dessein se rencontre; et, si je ne m'abuse,
Je pourrois tout gáter par de plus longs récits:

Le jeune Prince alors se joúroit de ma Muse,
Comme le Chat de la Souris.

FABLE V

Le vieux Chat et la jeune Souris.

(Avant La Fontaine). LATINS. Abstemius, fab. 151 (*). Camérar. fab. 70 et 215.

UNE jeune Souris de peu d'expérience,

Crut fléchir un vieux Chat, implorant sa clémence, Et payant de raisons le Rominagrobis:

Laissez-moi vivre : une Souris

De ma taille et de ma dépense
Est-elle à charge en ce logis?
Affamerois-je, à votre avis,

L'hôte, l'hôtesse, et tout leur monde?
D'un grain de bled je me nourris:

Une noix me rend toute ronde.

A présent je suis maigre; attendez quelque temps:
Réservez ce repas à Messieurs vos enfans.

Ainsi parloit au Chat la Souris attrapée.

L'autre lui dit tu t'es trompée.

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Est-ce à moi que l'on tient de semblables discours?
Tu gagnerois autant de parler à des sourds.
Chat et vieux, pardonner ! Cela n'arrive guères.
Selon ces loix, descends là-bas,

(*). Sous le titre De Vulpe Gallinam incubantem occidere volente

Meurs, et va-t-en tout de ce pas
Haranguer les sœurs Filandières.
Mes enfans trouveront assez d'autres repas.
Il tint parole. Et pour ma Fable

Voici le sens moral qui peut y convenir (1):

La jeunesse se flatte, et croit tout obtenir :
La vieillesse est impitoyable (2).

(Depuis La Fontaine ). FRANÇAIS. Fables en chansons, L. VI. fab. 18.

OBSERVATIONS DIVERSE S.

(1) Voici le sens moral, etc. On lit dans la Satyre Ménippée : «Vous lui mistes une folle et indiscrette ambition en la tête pour faire de lui comme le Chat faiț la Souris, c'est-à-dire, après vous en être joué, de la manger». (Harangue de M. d'Aubray aux Etats-Généraux sous la Ligue, T. I. p. 126.) De tous les rapports à établir entre le sujet de cet apologue et la moralité, celui-ci est le plus vague et le plus froid. Je ne sais pourquoi tout sujet de commande retrécit le génie : pour avoir droit à nos suffrages, son essor doit être libre et indépendant. Nulle part l'adoption ne valut lá nature.

(2) La vieillesse est impitoyable. Comment le poète a-t-il pu oublier sa fable du Vieillard et des trois Jeunes Hommes ?

FABLE VI.

Le Cerf malade.

(Avant La Fontaine ). ORIENTAUX. Tanaq. Faber ex Arab. Lockm. fab. 3.

EN pays plein de Cerfs, un Cerf tomba malade;

Incontinent maint camarade

Accourt à son grabat le voir, le secourir,
Le consoler du moins: multitude importune.
Eh! Messieurs, laissez-moi mourir :
Permettez qu'en forme commune

La Parque m'expédie; et finissez vos pleurs.
Point du tout : les Consolateurs

De ce triste devoir tout au long s'acquittèrent
Quand il plut à Dieu s'en allèrent.
Ce ne fut pas sans boire un coup,
C'est-à-dire, sans prendre un droit de pâturage.
Tout se mit à brouter les bois du voisinage.
La pitance du Cerf en déchut de beaucoup.
Il ne trouva plus rien à frire :

D'un mal il tomba dans un pire ;
Et se vit réduit à la fin

A jeûner et mourir de faim.

Il en coûte à qui vous réclame (1),
Médecins du corps et de l'ame!

O temps! ô mœurs! J'ai beau crier,
Tout le monde se fait payer.

(Depuis La Fontaine ). FRANÇAIS. Richer, Liv. VIII. fab. 15. -LATINS. Desbillons, Liv. VIII. fab. 23.

OBSERVATIONS DIVERSES.

Le sujet de cette fable ressemble beaucoup à celui du Jardinier et son Seigneur; mais elle est bien loin d'en avoir les agrémens.

(1) Il en coûte à qui vous réclame, etc. Officia sancta quantò veneunt! dit le Cerf dans l'apologue latin de Desbillons. Nous sommes étonnés que le grave Jésuite se soit permis de traduire et d'offrir aux regards de la jeunesse cette satyre peu réfléchie d'usages fondés sur la raison, sur l'autorité, sur la nécessité elle-même. L'homme dévoué aux fonctions du ministère est-il un ange, pour être indépendant des besoins de la terre? Le prêtre, dit S. Paul, doit vivre de l'autel. Il n'a pas droit d'exiger, à la bonne heure, mais il a celui de desirer et de recevoir.

FABLE VII.

La Chauve-Souris, le Buisson et le Canard.

Avant La Fontaine). GRECS. Esope, fab. 42.

LE Buisson, le Canard, et la Chauve-Souris,
Voyant tous trois qu'en leur pays

Ils faisoient petite fortune,

Vont trafiquer au loin, et font bourse commune (1).
Ils avoient des Comptoirs, des Facteurs, des Agents,
Non moins soigneux qu'intelligents,

Des Registres exacts de mise et de recette.
Tout alloit bien: quand leur emplette,
En passant par certains endroits
Remplis d'écueils et fort étroits,
Et de trajet très-difficile,

Alla toute emballée au fond des magasins,

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