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Je ne veux point changer d'état.

Le Prince Grec au Loup va proposer l'affaire :
Il lui dit, au hasard d'un semblable refus :
Camarade, je suis confus

Qu'une jeune et belle Bergère
Conte aux Echos les appétits gloutons
Qui t'ont fait manger ses moutons.
Autrefois on t'eût vu sauver sa bergerie :
Tu menois une honnête vie.
Quitte ces bois, et redevien (8),

Au lieu de Loup, homme de bien.

En est-il, dit le Loup? Pour moi, je n'en vois guère.
Tu t'en viens me traiter de bête carnacière :

Toi qui parles, qu'es-tu? N'auriez-vous pas sans moi
Mangé ces animaux que plaint tout le Village?
Si j'étois homme, par ta foi,
Aimerois-je moins le carnage?

Pour un mot, quelquefois, vous vous étranglez tous;
Ne vous êtes-vous pas l'un à l'autre des Loups?
Tout bien considéré, je te soutiens en somme,
Que scélérat pour scélérat,

Il vaut mieux être un Loup qu'un homme;
Je ne veux point changer d'état.

Ulysse fit à tous une même semonce :

Chacun d'eux fit même réponse,

Autant le grand que le petit.

La liberté, les bois, suivre leur appétit,
C'étoient leurs délices suprêmes (9):
Tous renonçoient aux los (10) des belles actions.
Ils croyoient s'affranchir suivant leurs passions,

Ils étoient esclaves d'eux-mêmes.

Prince, j'aurois voulu vous choisir un sujet
Où je pusse mêler le plaisant à l'utile:
C'étoit sans doute un beau projet,

Si ce choix eût été facile:

Les Compagnons d'Ulysse enfin se sont offerts:
Ils ont force pareils en ce bas Univers,
Gens à qui j'impose pour peine

Votre censure et votre haine.

(Depuis La Fontaine). FRANÇAIS. Les Animaux raisonnables, comédie en un acte, représentée en 1718 au Théâtre de la Foire. Voyez le Recueil des pièces de théâtre, T. III. Fables en chansons, Liv. V. fab. 19. Ulysse et les Syrènes (dans un Recueil de vers choisis, 1 vol. in-12, Paris, Josse, 1693).

OBSERVATIONS DIVERSES.

(1) L'unique objet, nous semble trop exclusif.

(2) Le Héros. Louis, dauphin, fils du roi Louis XIV, celui à qui notre poète a dédié la première partie de ses fables. Il avoit eu pour instituteurs Bossuet, le savant Huet, évêque d'Avranches, et le duc de Montausier, qui ne développèrent point dans leur élève l'héroïsme guerrier dont La Fontaine lui fait honneur. Cependant il prit Philisbourg en 1788, et M. de La Monnoie l'en complimenta par une assez belle ode (T. I. p. 48). Mais ce sont là toutes fictions poétiques. Il eût été bon et juste, ce qui vaut mieux que d'être un conquérant.

(3) Lui qu'un mois a rendu maître et vainqueur du Rhin. C'est cette brillante expédition que Boileau, mieux que l'histoire, a immortalisée dans sa fameuse épître du passage du Rhin.

.

(4) La fille du Dieu du jour. Circé, fille d'Apollon, de qui elle tenoit cet art des enchantemens qui soumettoit à son empire toute lanature.

d'une Taupe.

(5) Exemplum ut Talpa. De la taille, par exemple, Erasme n'a point parlé de ce proverbe ; ce qui nous étque de la

part d'un écrivain si exact et si savant. Boileau, dans sa Dissertation sur Joconde : « Que si Homère a été justement blâmé dans son Odyssée, qui est pourtant un ouvrage tout comique, comme l'a remarqué Aristote; si, dis-je, il a été repris par de fort habiles critiques, pour avoir mêlé dans cet ouvrage l'histoire des compagnons d'Ulysse changés en Pourceaux, comme étant indignes de la majesté de son sujet, etc.» (T. II. p. 178.)

(6) Prit un autre poison peu différent du sien. On devine sans peine quel est cet autre poison que La Fontaine semble craindre d'appeler par son nom.

(7) Et te dis tout net et tout plat. Expression triviale.

(8) Et redevien. «Plusieurs poètes très-estimés retranchent l's à la seconde personne de l'impératif. Racine :

Cours, ordonne et revien.

(Phèdre, act. II. sc. 3.)

Vaugelas opine en faveur de cette terminaison. (Beauzée.)

(9) C'étoient leurs délices. Tous les exemplaires portent : c'étoit leurs délices; c'est une faute ; mais elle étoit commune du temps de La Fontaine.

(10) Au'los. Clém. Marot:

1

Car bien peu sert la poésie gente,
Si bien et loz on n'en veult attirer.

Et avant Marot, Eust. Deschamps :

(Epitre 2.)

Cils (celui-là) aura loz, doulz regart, etc.

(Poés. manusc. fol. 149. col. 4.) Dans tous ces exemples, loz est le laus des Latins, louange.

Un littérateur célèbre explique par la métempsycose la fable des Compagnons d'Ulysse. Leur changement en Pourceaux signifie que les ames des hommes imprudens et vicieux sont obligées d'animer les corps des animaux les plus immondes. (Le marquis d'Argens, Lettres Chinoises. Lettr. 69. sur la métempsycose.)

FABLE I I.

Le Chat et les deux Moineaux.

A MONSEIGNEUR

LE DUC DE BOURGOGNE.

(Avant La Fontaine). FRANÇAIS. Furetière, fab. 34.

UN Chat contemporain (1), d'un fort jeune moineau,

Fut logé près de lui dès l'âge du berceau.

La cage et le panier avoient mêmes Pénates (2).
Le Chat étoit souvent agacé par l'Oiseau :
L'un s'escrimoit du bec, l'autre jouoit des pattes.
Ce dernier toutefois épargnoit son ami,
Ne le corrigeant qu'à demi.
Il se fût fait un grand scrupule
D'armer de pointes sa férule (3).
Le Passereau, moins circonspect,
Lui donnoit force coups de bec:
En sage et discrette personne,

Maître Chat excusoit ces jeux:

Entre amis il ne faut jamais qu'on s'abandonne
Aux traits d'un courroux sérieux.

Comme ils se connoissoient tous deux dès leur bas âge,
Une longue habitude en paix les maintenoit ;
Jamais en vrai combat le jeu ne se tournoit.

Quand un Moineau du voisinage

S'en vint les visiter, et se fit compagnon

Du

Du pétulant Pierrot, et du sage

Raton.

Entre les deux oiseaux il arriva querelle :

Et Raton de prendre parti.

Cet inconnu, dit-il, nous la vient donner belle,
D'insulter ainsi notre ami!

Le Moineau du voisin viendra manger le nôtre!
Non, de par tous les Chats. Entrant lors au combat,
Il croque l'étranger: Vraiment, dit maître Chat,
Les Moineaux ont un goût exquis et délicat !
Cette réflexion fit aussi croquer l'autre.

Quelle morale puis-je inférer de ce fait?
Sans cela, toute Fable est un œuvre imparfait.

J'en crois voir quelques traits; mais leur ombre m'abuse.
Prince, vous les aurez incontinent (4) trouvés :
Ce sont des jeux pour vous, et non point pour ma Muse:
Elle et ses sœurs n'ont pas l'esprit que vous avez.
(Depuis La Fontaine ). LATINS. Desbillons, Liv. X. fab. 54.
OBSERVATIONS DIVERSES.

(1) Contemporain. L'idée du poète n'est pas que ces animaux vécussent dans le même temps, mais dans la même habitation. Il falloit commensal, au lieu de contemporain.

(2) La cage et le panier avoient mêmes Pénates. On ne peut pas dire qu'une cage et un panier eussent des Dieux domestiques. (3) D'armer de pointes sa férule. Comme certains pédans accou tumés à faire plier sons la férule magistrale le corps, la volonté et jusques à la raison de leurs élèves; et ces mêmes hommes, despotes de colléges, on les a vu des premiers crier à la liberté.

(4) Incontinent. Ce mot a vieilli. Ménage ne l'aimoit pas. ( Rem. sur Malherbe, p. 569.) On en verroit pourtant encore quelques exemples, même dans les meilleurs écrivains de ce siècle. Voltaire; «< Comment nos membres obéissent-ils incontinent à notre vo lonté ? » (Poème sur le désastre de Lisbonne, note i.)

Tome II.

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