d'Esope sont une ample matière pour ces talents. Elles embrassent toutes sortes d'événemens et de caractères. Ces mensonges sont proprement une manière d'Histoire, où on ne flatte personne. Ce ne sont pas choses de peu d'importance que ces sujets. Les Animaux sont les Précepteurs des Hommes dans mon Ouvrage. Je ne m'étendrai pas davantage là-dessus : vous voyez mieux que moi le profit qu'on en peut tirer. Si vous vous connoissez maintenant en Orateurs et en Poètes, vous vous connoîtrez encore mieux quelque jour en bons Politiques, et en bons Généraux d'Armée; et vous vous tromperez aussi peu au choix des personnes, qu'au mérite des actions. Je ne suis pas d'un áge (3) à espérer d'en étre témoin. Il faut que je me contente de travailler sous vos ordres. L'envie de vous plaire me tiendra lieu d'une imagination que les ans ont affoiblie. Quand vous souhaiterez quelque Fable, je la trouverai dans ce fonds-là. Je voudrois bien que vous y pussiez trouver des louanges dignes du Monarque qui fait maintenant le destin de tant de Peuples et de Nations, et qui rend toutes les parties du Monde attentives à ses conquêtes, à ses victoires, et à la paix, qui semble se rapprocher, et dont il impose les conditions avec toute la modération que peuvent souhaiter nos ennemis. Je me le figure comme un Conquérant qui veut mettre des bornes à sa gloire et à sa puissance, et de qui on pourroit dire à meilleur titre, qu'on ne l'a dit d'Alexandre, qu'il va tenir les Etats de l'Univers, en obligeant les ministres de tant de Princes de s'assembler, pour terminer une guerre qui ne peut étre que ruineuse à leurs maîtres. Ce sont des sujets au-dessus de nos paroles : je les laisse à de meilleures plumes (4) que la mienne : et suis avec un profond respect, MONSEIGNEUR, Votre très-humble, très-obéissant et très-fidèle serviteur, DE LA FONTAINE. OBSERVATIONS DIVERSE S. (1) Monseigneur le Duc de Bourgogne. Fils du Dauphin, fils unique de Louis XIV, et Dauphin lui-même par la mort de son père, en 1711. C'est cet illustre élève de Fénélon, si digne de son maître, dont les excellentes et aimables qualités offroient l'image vivante de Télémaque sous la conduite de Minerve. Il mourut âgé de 30 ans, le 18 février 1712, laissant à son siècle les plus vifs regrets, et à la postérité une mémoire immortelle. (2) D'un âge où à peine, etc. Il étoit dans sa huitième année. La Fontaine, fable 9 de ce même livre : Ce qui m'étonne est qu'à huit ans Un Prince en fable ait mis la chose, etc. (3) Je ne suis pas d'un âge. Notre poète étoit alors dans sa 71e. année. (4) Je les laisse à de meilleures plumes, etc. Quelque juste prévention qu'on ait, en général, contre les épîtres dédicatoires, celle-ci mérite d'être distinguée par le caractère de son auteur, celui du prince auquel elle s'adresse, et du sujet qu'elle traite. Le poètey loue son art sans exageration, son héros sans bassesse ; il y parle de lui-même avec une noble simplicité. FABLE PREMIÈRE. Les Compagnons d'Ulysse. A MONSEIGNEUR LE DUC DE BOURGOGN E. (Avant La Fontaine). GRECS. Homère, Odiss. ch. 10. LATINS. Ovid. Metam. Liv. XIV. ITAL. Anonyme cité par Champfort, T. II. pag. 345. PRINCE, l'unique objet (1) du soin des immortels, Dans la carrière de la gloire. Quelque Dieu le retient: [c'est notre Souverain ], Cette rapidité fut alors nécessaire : Peut-être elle seroit aujourd'hui téméraire. Je m'en tais; aussi bien les Ris et les Amours S'abandonnèrent à des charmes Qui métamorphosoient en Bêtes les humains. Les Compagnons d'Ulysse, après dix ans d'alarmes, Où la fille du Dieu du jour (4), Elle leur fit prendre un breuvage Quelques momens après leur corps et leur visage, Les autres sous une autre forme : Il sut se défier de la liqueur traîtresse. Comme il joignoit à la sagesse La mine d'un Héros et le doux entretien, Prit un autre poison peu différent du sien (6). Ulysse étoit trop fin pour ne pas profiter Il obtint qu'on rendroit à ses Grecs leur figure. Ulysse y court, et dit : L'empoisonneuse coupe A son remède encore, et je viens vous l'offrir : Je n'ai pas la tête si folle. Moi, renoncer aux dons que je viens d'acquérir? Ulysse, du Lion court à l'Ours : Eh! mon frère, Ah! vraiment, nous y voici, Reprit l'Ours à sa manière ; Comme me voilà fait ! Comme doit être un Ours. Qui t'a dit qu'une forme est plus belle qu'une autre? Est-ce à la tienne à juger de la nôtre ? Je m'en rapporte aux yeux d'une Ourse mes amours. Te déplais-je? Va-t-en, suis ta route et me laisse : Je vis libre, content, sans nul soin qui me presse; Et te dis tout net et tout plat (7) : |