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Logeoient, entre autres habitans,

Force Souris sans piés, toutes rondes de graisse.
L'oiseau les nourrissoit parmi des tas de blé,
Et de son bec avoit leur troupeau mutilé :
Cet Oiseau raisonnoit, il faut qu'on le confesse.
En son temps, aux Souris le compagnon chassa :
Les premières qu'il prit, du logis échappées,
Pour y remédier, le drôle estropia

Tout ce qu'il prit ensuite. Et leurs jambes coupées,
Firent qu'il les mangeoit à sa commodité,
Aujourd'hui l'une, et demain l'autre.

Tout manger à la fois, l'impossibilité

S'y trouvoit, joint aussi le soin de sa santé.
Sa prévoyance alloit aussi loin que la nôtre (1):
Elle alloit jusqu'à leur porter

Vivres et grains pour subsister.

Puis, qu'un Cartésien (2) s'obstine

A traiter ce Hibou de montre, et de machine?
Quel ressort lui pouvoit donner

Le conseil de tronquer un peuple mis en mue (3)?
Si ce n'est pas là raisonner,

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La raison m'est chose inconnue.
Voyez que d'arguments il fit.

Quand ce peuple est pris, il s'enfuit :

Donc il faut le croquer aussitôt qu'on le happe.

Tout; il est impossible. Et puis, pour le besoin

N'en dois-je pas garder? Donc il faut avoir soin De le nourrir sans qu'il échappé.

Mais comment?-Otons lui les piés. Or trouvez-moi Chose, par les humains, à sa fin mieux conduite.

Quel autre art de penser (4) Aristote et sa suite
Enseignent-ils, par votre foi?

OBSERVATIONS DIVERSES.

(1) Sa prévoyance alloit, etc. Est-ce un éloge, est-ce une satyre? Car rappelons-nous que c'est le même écrivain qui a dit: Chose étrange! on apprend la tempérance aux chiens,

Et l'on ne peut l'apprendre aux hommes.

(Liv. VIII. fab. 7.)

(2) Puis, qu'un Cartésien s'obstine, etc. Réflexions ingénieusess, vues nouvelles, dialectique serrée, nerveuse et parfaitement dialoguée; tout se réunit pour ajouter au charme de la diction l'autorité de la raison. Mais quand l'opinion du poète ne seroit ici qu'une erreur, eh! qui n'aimeroit pas mieux se tromper avec l'apologiste des animaux, que d'avoir raison avec cette triste philosophie qui ne voit en eux que des machines?

(3) Mis en mue. Espèce de cage longue, étroite et obscure, ой l'on enferme la volaille pour l'engraisser. P. Michault ( dans son Doctrinal de Cour, fait vers l'an 1460):

Jours vicieux que tout rompt et dévoie,
Contraint vertu de se tenir en mue.

(4) Quel autre art de penser Aristote et sa suite, etc. Aristote, philosophe qui réduisit en principes la logique, ou l'art de penser. Il fut le chef d'une secte qui, sous le nom de Péripateticiens, a long-temps régné dans l'école. Les écarts des disciples né préjudicient point à la gloire du maître. Quant à cet art de penser dont le poète parle ici, il fait allusion au célèbre ouvrage publié sous ce titre, , par MM. de Port-Royal (Arnauld et Nicolle ).

(Note de l'auteur). « Ce n'est point une fable; et la chose, quoique merveilleuse et presque incroyable, est véritablement arrivée. J'ai peut-être porté trop loin la prévoyance du Hibou; car je ne prétends pas établir dans les bêtes un progrès de raisonnement tel que celui-ci: mais ces exagérations sont permises à la poésie, sur-tout dans la manière d'écrire dont je me sers ».

É PILOGUE.

C'EST ainsi que ma Muse, aux bords d'une onde pure (1),

Traduisoit en langue des Dieux

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Tant d'êtres empruntant la voix de la nature (2).
Truchement de peuples divers,

Je les faisois servir d'acteurs en mon ouvrage :
Car tout parle dans l'Univers:

Il n'est rien qui n'ait son langage.

Plus éloquens chez eux qu'ils ne sont dans mes vers,
Si ceux que j'introduis me trouvent peu fidèle;
Si mon œuvre n'est pas un assez bon modèle,
J'ai du moins ouvert le chemin (3):

D'autres pourront y mettre une dernière main.
Favoris des neuf Sœurs, achevez l'entreprise :
Donnez mainte leçon que j'ai sans doute omise :
Sous ces inventions il faut l'envelopper:

Mais vous n'avez que trop de quoi vous occuper.
Pendant le doux emploi de ma Muse innocente (4);
Louis dompte l'Europe; et d'une main puissante
Il conduit à leur fin les plus nobles projets

Qu'ait jamais formés un Monarque. Favoris des neuf Sœurs, ce sont là des sujets Vainqueurs du temps et de la Parque.

OBSERVATIONS DIVERSE S.

(1) Aux bords d'une onde pure. L'eau de l'Hyppocrène, fontaine sacrée où puisent les poètes.

(2) Tant d'étres, empruntant la voix de la Nature. Qu'est-ce que cette voix de la Nature? le langage des hommes ? Mais l'accent des animaux n'est-il pas aussi pour eux la voix de la Nature? Cette idée est vague, elle est obscure, parce qu'elle est trop générale.

(3) J'ai du moins ouvert le chemin. Pas tout-à-fait. Poète enchanteur, inimitable, vous avez agrandi la carrière, vous l'avez semée de fleurs, et pour vous, l'immortelle y croît à chaque pas. Mais elle étoit ouverte avant vous: elle fut marquée par les chûtes de la plupart de ceux qui vous y précédèrent; et s'il en est qui l'aient parcourue avec quelque distinction, leurs succès mêmes ne font qu'ajouter à l'éclat de votre gloire, tant vous êtes supérieur à toute espèce de comparaison!

(4) Pendant le doux emploi, etc. M. Coste a bien remarqué dans ces vers une imitation des beaux vers qui terminent les Geor giques:

Hæc super arvorum cultu, etc.

ainsi traduits par Virgile Delille:

Ma Muse ainsi chantoit les rustiques travaux,

Les vignes, les essaims, les moissons, les troupeaux;
Lorque Cesar, l'amour et l'effroi de la terre,
Faisoit trembler l'Euphrate au bruit de son tonnerre,
Rendoit son joug aimable à l'Univers dompté,
Et marchoit à grands pas vers l'immortalité.

Et moi je jouissois d'une retraite obscure, etc.

Un autre traducteur des georgiques, le poète Ségrais, en avois fait, comme La Fontaine, l'application à Louis XIV.

Fin du onzième livre.

LE DU C

DE BOURGOGNE (1).

MONSEI

EIGNEUR,

Je ne puis employer pour mes Fables, de protection qui me soit plus glorieuse que la vôtre. Ce goút exquis, et ce jugement si solide que vous faites paroître dans toutes choses au-dela d'un âge où à peine (2) les autres Princes sont-ils touchés de ce qui les environne avec le plus d'éclat; tout cela, joint au devoir de vous obéir et à la passion de vous plaire, m'a obligé de vous présenter un ouvrage dont l'Original a été l'admiration de tous les siècles, aussi bien que celle de tous les Sages. Vous m'avez` même ordonné de continuer; et si vous me permet¬ tez de le dire, il y a des sujets dont je vous suis redevable, et où vous avez jeté des graces qui ont été admirées de tout le monde. Nous n'avons plus besoin de consulter ni Apollon, ni les Muses, ni aucune des Divinités du Parnasse. Elles se rencontrent dans les présens que vous a faits la Nature, et dans cette science de bien juger des Ouvrages de l'esprit, à quoi vous joignez déjà celle de connoître toutes les règles qui y conviennent. Les Fables

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