Verrès, et rien ne vous paroîtra de trop dans ces reproches ; liscz dans Tite-Live et dans Tacite les harangues de Lycortas, préteur des Achéens, surtout le discours si véhément du breton Galgacus; et vous conviendrez que Tite-Live et Tacite n'ont pas mieux peint les excès de l'avarice romaine. Tout le reste de ce discours est d'une beauté également soutenue. Il n'en coûte pas plus à La Fontaine d'être sublime que d'être naïf. Peut-être que ces deux extrêmes du génie humain se correspondent jusqu'à se confondre l'un dans l'autre ; peut-être même que le sublime n'est, comme le dit un écrivain moderne, que le naïf du grand. (Palissot, Mém. litter. art. P. Corneille.) (18) Ils ne nous apprendront Que la mollesse et que le vice. Prédiction trop bien vérifiée par la dégénération des Scythes et autres peuples du Nord, lorsqu'ils eurent été subjugués par les armes et par les vices des Romains. (V. Strabon et Athénée, dans Rollin, Histoire Anc. T. III. édit. in-12, p. 87.) (19) Patrice, Sénateur. Ce n'est point assez de fire, de relire encore cet admirable apologue; il faut le savoir par cœur. Le Vieillard et les trois jeunes Hommes. (Avant La Fontaine). GRECS. Epigr. de l'Antologie; le Sort (*), LATINS. Abstemius, fab. 167. UN octogénaire plantoit (1). Passe encor de bâtir; mais planter à cet âge! (*) « Trois jeunes filles, en jouant, tiroient au sort, pour savoir laquelle des trois descendroit au ténébreux empire; le sort tomba sur la plus jeune; elle se moque, en folâtrant, d'un malheur qu'elle croit éloigné; mais, contre son attente, l'infortunée, rentrée dans sa maison, se laissa tomber du haut du toit, comme un fruit déjà mûr pour l'autre vie. Assurément il radotoit. Car, au nom des Dieux, je vous prie (3), Quel fruit de ce labeur pouvez-vous recueillir? Autant qu'un Patriarche il vous faudroit vieillir. A quoi bon charger votre vie (4) Des soins d'un avenir qui n'est pas fait pour vous? Ne songez desormais qu'à vos erreurs passées (5). Quittez le long espoir et les vastes pensées (6); Tout cela ne convient qu'à nous. Il ne convient pas à vous-mêmes (7), De se donner des soins pour le plaisir d'autrui? Plus d'une fois sur vos tombeaux. Le Vieillard eut raison: l'un des trois jouvenceaux L'autre, afin de monter aux grandes dignités, Que lui-même il voulut enter; Et, pleurés du Vieillard, il grava sur leur marbre(14) Ce que je viens de raconter. (Depuis La Fontaine). FRANÇAIS. Fables en chansons, L. IV. fab. 12. ITAL. Luig. Grillo, fav. 54. OBSERVATIONS DIVERSES. (1) Un octogénaire, etc. M. l'abbé Batteux a fait sur cette fable un commentaire dont nous conservons ici les traits principaux. Qu'on cherche ailleurs, dit l'estimable Académicien, des débuts plus simples, plus nets, plus riches, d'un ton plus piquant : Passe encor de bátir; mais planter à cet age! Vers devenn proverbe. (2) Disoient trois jouvenceaux. Dans Abstemius, il n'y en a qu'un. On sent combien trois jeunes gens, au lieu d'un seul, opposés au vieillard, qui leur survit à tous, multiplient l'intérêt. Assurément il radotoit; l'étourderie, l'impertinence de ce propos feront bien mieux ressortir la réponse du vieillard. (3) Au nom des Dieux, ete. Affectueux. Je vous prie est familier. Labeur, très poétique: qu'on mette travail à la place. Patriarche tout cela est d'une familiarité qui sent son pro→ tecteur. (4) A quoi bon charger votre vie, etc. Comme si à cet âge, la vie n'étoit point déjà un fardeau assez pesant, sans la charger encore ! (5) Ne songez désormais qu'à vos erreurs passées. Le caractère de jeune homme est peint dans ce discours. Le fonds en est désobligeant; le onseil est un reproche amer; ils le jugent d'après eux-mêmes. (6) Quittez le long espoir et les vastes pensées. Votre vie doit être si courte ! -Admirez l'harmonie imitative de ce vers; en même temps quelle force de pensées et quelle précision! Tout cela ne convient qu'à nous, tient de l'orgueil du Chêne dans la fable de ce nom. (7) Il ne convient pas à vous-mêmes. Le vrai ton de la nature; simple, mais avec autorité, sans pédantisme: comment se fâcheroient-ils fâcheroient ils d'une expression qu'eux-mêmes viennent de prononcer? (8) Tout établissement, etc. Cette maxime très-belle, très-importante, est placéé, on ne peut mieux, dans la bouche d'un vieil→ lard d'une expérience consommée. (9) La main des Parques blêmes. C'est le pallida mors d'Horace. Le poète a imité le reste de la pensée de l'auteur latin; mais en la rajeunissant par un tour nouveau. (10) Est-il aucun moment, etc. Raisonnément plein de philosophie. On voit avec quelle force il est rendu, et quel est l'effet du mot seulement, placé au bout du vers. C'est une pensée de Séneque le tragique dans son Thyeste. (11) Mes arrière-neveux, etc. Il n'est rien de plus noble que ce sentiment. Si nos pères n'avoient travaillé que pour eux, de quoi jouirions-nous? (12) Cela même est un fruit que je goute aujourd'hui. Quel mélange de sentiment et de véritable philosophie! (Champfort.) Le poète Racan met au nombre des plaisirs restés au vieillard, celui de voir avec lui Vieillir les bois qu'il a plantés. Et quand il ne les verroit point vieillir, il y a quelque douceur à les planter pour ses petits enfans, pour la seule postérité. Serit arbores quæ alteri sæculo prosint. Cette noble jouissance a été bien sentie par l'auteur de ces vers: Des biens près d'échapper ont-ils quelques appas? (Berenger, Fable du Villageois philosophe dans Fabl. franç L. III. f. 7.) (13) Je puis enfin compter l'Aurore. Ce tour poétique donne un air gracieux à une pensée très-triste par elle-même; le sentiment qu'il exprime est d'ailleurs conforme au caractère de cet âge; il n'est pas un vieillard, quelque avancé qu'on le suppose, dit Cicéron, qui ne se flatte de l'espérance de vivre encore une année. (14) Et pleurés du vieillard, il grava sur leur tombe. Le carac tère du vieillard se sontient jusqu'au bout. Son langage respiroit l'indulgence et la bonté; ses actions ne le démentent pas. Il reeneille les restes dispersés des infortunés jeunes gens. Quoiqu'ils eussent parlé avec peu de respect; il a tout pardonné à la vivacité de leur âge; il gémit de les voir sitôt moissonnés. Il leur élève un monument funèbre ; il grave de sa main l'inscription du monument; il les pleure! La Fontaine touchoit à la vieillesse quand il composa ce bel apologue. On diroit qu'il a voulu se peindre lui-même. Il n'y a rien de médiocre dans cette pièce. La pureté du style est égale à l'intérêt de l'action, à la gravité du sujet. Un critique sévère relèvera sans doute le défaut de correspondance grammaticale dans le nominatif du verbe, grava sur leur tombe avec le plurier pleurés du vieillard: l'observation ne seroit pas sans justesse; mais peut-être que la poésie de La Fontaine seroit moins admirable, si elle étoit plus travaillée; et cette molle négligenc a dit M. Fréron, décèle le grand maître et l'écrivain original. FABLE IX. Les Souris et le Chat-huant (*). (Voyez la note 4.) IL ne faut jamais dire aux gens, Ecoutez un bon mot, oyez une merveille. Savez-vous si les écoutans En feront une estime à la vôtre pareille? On abattit un Pin pour son antiquité, Vieux Palais d'un Hibou, triste et sombre retraite le (*) Voyez sur le Chat-huant, Liv. V. fab. 18. Note. temps, |