( Qu'il ait en sa main un tonnerre. Voilà le maître de la Terre (5). L'artisan (6) exprima si bien Qu'on trouva qu'il ne manquoit rien Même l'on dit l'Ouvrier (8) que Eut à peine achevé l'Image, Qu'on le vit frémir le premier, A la foiblesse du Sculpteur, Le Poëte autrefois n'en dut guère (10), Craignant la haine et la colèrè. Il étoit enfant en ceci ; Les enfans n'ont l'ame occupée Qu'on ne fâche point leur poupée. Le cœur suit aisément l'esprit (11): Ils embrassoient violemment Chacun tourne en réalités, Autant qu'il peut, ses propres songes : Il est de feu pour les mensonges (12). (Depuis La Fontaine). FRANÇ. Fables en chansons, L. I. f. 31. OBSERVATIONS DIVERSES. L'antiquité n'a fourni au poète français que le germe de cet apologue. C'étoit à lui à faire un Dieu du bloc informe. J'ai entendu mettre cette fable à côté de celles du Chêne et du Roseau, dès Animaux malades, etc. j'ai même entendu des critiques la porter an-dessus. Non, il n'y a pas de rangs dans la famille des Graces. Au reste ces sortes de préférences, en fait de chefsd'oeuvre, ne sont qu'affaire de prédilection; et la prédilection ne s'explique pas. Cependant il s'en faut beaucoup que celle-ci soit aussi parfaite que plusieurs autres de ce recueil. L'analyse nous montrera quelques défauts à travers des beautés d'un ordre supérieur; le plus essentiel est de manquer d'action, ce qui doit sans doute en affoiblix l'intérêt. (1) Un bloc de marbre étoit si beau, Qu'un Statuaire en fit l'emplette. Il n'y a rien de remarquable à ce qu'un Statuaire fasse emplette d'un bloc de marbre qui lui convient. (2) Qu'en fera, dit-il, mon ciseau ? est bien plus poétique, que s'il eût dit: qu'en ferai-je? C'est là le vrai style d'Homere : chez lui ce n'est pas Vulcain qui opère; il commande à ses fourneaux; et ses fourneaux obéissent. (3) Sera-t il Dieu, table ou cuvette. Ces derniers ouvrages sont-ils assez nobles pour venir se placer dans l'imagination de l'artiste, à côté de ce qu'il y a de plus sublime? Cuvette sur-tout est trop mesquin; cuve auroit quelque chose de moins étroit: et encore? Convenons qu'ici le poète s'est trouvé gêné par la rime. (4) Il sera Dieu, est sublime. Que d'intermédiaires il faut franchir, avant d'arriver à l'idée qu'un morceau de marbre devienne un Dieu ! (5) Tremblez, humains; faites des vœux : Voilà le Mattre de la terre. Donatello, fameux sculpteur, donnant à une statue le dernier coup de maillet, lui cria: Parle. - Il s'étoit donc fait connoître au coeur du poète comme à celui de l'artiste, cet enthousiasme sublime, mouvement surnaturel, faculté céleste, qu'un commentateur d'Aristote ressentoit luimême alors qu'il le définissoit : Une vive représentation dans l'esprit, et une émotion dans l'ame proportionnée à l'objet. Pénétré de cette émotion religieuse, il voit non plus la statue que son art vient de créer, mais Jupiter armé de sa foudre; mais le Maître de la terre, et à ses pieds les humains qui tremblent, et attendent d'un seul de ses regards les destinées de l'univers. (6) L'artisan. Nous avons déjà vu ce mot au lieu d'artiste. Ils ne sont pas synonymes. (7) Qu'on trouva qu'il ne manquoit rien A Jupiter que la parole. Oserons-nous le dire? cette idée affoiblit l'image. Ce n'est pas à la parole que Phidias, et Homère son maître, distinguoient leur Jupiter Olympien. A la seule majesté de son front, au seul mouvement de sa tête auguste ils laissent reconnoître le souverain des Dieux : Annuit et totum nutu tremefecit Olympum. (8) L'ouvrier n'est pas plus noble qu'artisan. Ce mot n'étoit pas encore tombé en roture au dernier siècle. M. Rollin appelle ainsi Phidias. (Hist, anc. T. III. édit. in-12, p. 435.) (9) Frémir le premier, Et redouter son propre ouvrage. Encore sublime, encore marqué au coin de l'enthousiasme, l'unique foyer du génie; tant le poète a pris fortement l'empreinte de l'objet qu'il a conçu ! Tout cela justifie le mot d'Aristote : « Que le génie n'est que l'imitation fidelle de la nature dans son beau ». Remarquons que La Fontaine a composé cette fable de stances d'égale mesure. Au lieu de vers irréguliers, bien plus analogues an génie du poète et au genre qu'il traite, ce sont, en quelque sorte, des strophes sans doute parce que l'élevation des pensées et des expressions donne à cet apologue l'air d'une ode. (10) Le Poète autrefois n'en dut guère, pour dire, ne le céda pas. Expression surannée et vicieuse. Poète est ici de deux syllabes, comme dans la fable intitulée l'Horoscope: Même précaution nuisit au Poète Eschyle. On a dit que le satyrique Régnier étoit le premier qui l'eût employé ainsi. (V. H. Etienne, Apologie pour Hérodote, T. I. ch. 3. pag. 17.) On se trompe. Baïf avoit dit dans un de ses sonnets: Amour est tel que les Poètes le feignent. (11) Le cœur suit aisément l'esprit. Il y auroit plus de vérité peut-être à dire que c'est l'esprit qui suit le cœur. L'exemple de Pygmalion est bien loin de préjudicier à notre dernier sentiment. Dans son cœur passionné respiroit, sous le nom et les traits de son amante, cette Vénus que son art sut dégager du marbre où elle etoit enfermée. (12) L'homme est de glace aux vérités, Il est de feu pour les mensonges. Vers devenus proverbes. On en a fait plusieurs fois l'épigraphe des fables de notre poète. M. Aubert a dit de même : Il est de glace aux trésors qu'il possède; Il est de feu pour tout ce qu'il n'a pas. (Liv. I. fab. 11.) FABLE VII. La Souris métamorphosée en Fille. (Avant La Fontaine ). ORIENTAUX. Pilpay, Contes Indiens, T. II. pag. 385. - GRECS. Esope, fab. 172. Gabrias, fab. 16. FRANÇAIS. Sarrazin (*). UNE Souris tomba du bec d'un Chat-huant : Je ne l'eusse pas ramassée : Mais un Bramin (1) le fit : je le crois aisément, (*) Dans son Ode à Chapelain, sur la métamorphose d'une Souris en Femme : Déclarons la Souris sans blasme, Lui donnons figure de Femme. La Souris étoit fort froissée : De cette sorte de prochain Nous nous soucions peu : mais le peuple Bramin Que notre ame, au sortir d'un Roi, Entre dans un Ciron, ou dans telle autre bête Sur un tel fondement le Bramin crut bien faire Dans un corps qu'elle eût eu pour hôte au temps jadis. De l'âge de quinze ans, et telle et si gentille, Vous n'avez qu'à choisir, car chacun est jaloux C'est toi qui seras notre gendre. Non, dit-il, ce Nuage épais Est plus puissant que moi, puisqu'il cache mes traits, Je vous conseille de le prendre. Et bien, dit le Bramin au Nuage volant, Es-tu né pour ma fille ? Hélas! non; car le Vent |