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suivi ce concours de tant de circonstances aussi puissantes que diverses. Je tondis. Tondre n'est pas attaquer le pied. C'est le Luxuriem segetum tenerá depascit in herba, de Virgile. L'herbe ainsi tondue se répare bientôt à grand intérêt. Après tout, combien donc en a-t-il mangé? La largeur de ma langue. Et voilă tout son délit.

Je n'en avois nul droit, puisqu'il faut parler net.

On croiroit, à voir ce rapprochement de circonstances, que l'Ane a voulu diminuer sa faute. Un aveu si clair et si franc lève tous les doutes, et lui laisse sa dangereuse innocence. On s'attend au succès.

A ces mots on cria haro sur le Baudet.

Henri Etienne, ainsi que beaucoup d'autres, a pris le mot de haro pour une corruption de ha Raoul! cri normand, pour appeller le duc Raoul à son aide. C'est une erreur : haro vient de l'allemand her arms. Crier haro, c'est appeller à soi tout le peuple d'une ville. Clément Marot:

Puis dessus moi le grand haro criastes.

(Ep. aux Dames de Paris).

On l'a écrit aussi harol. Le même Henri Etienne : « Les diables font comme les Procureurs et Avocats, qui font semblant de se vouloir entremanger en criant harol pour le droit de leurs parties. » (Apolog. pour Hérod. T. III. pap. 338). Au reste, quand l'étymologie de ce mot seroit obscure, le sens ne l'est pas. C'est le mot suspect de nos Comités révolutionnaires.

Un Loup quelque peu Clerc.

Pasquier a bien expliqué ce mot Clerc : « Lequel dans sa naïve et originaire signification, appartient aux ecclésiastiques; et comme ainsi fut qu'il n'y eut qu'eux qui fissent profession de bonnes lettres; aussi par une métaphore nous appellâmes grand Clerc, l'homme savant, Mauclerc celui qu'on tenoit pour bête, et lą science fut appellée Clergie. » Une harangue suppose un lettré, et voilà pourquoi le poète appelle son Loup quelque peu Clerc.

Prouva, par sa harangue,

Qu'il falloit dévouer ce maudit animal,

Ce pelé, ce galeux, d'où venoit tout le mal.

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Dévouer est proprement livrer aux dieux infernaux, par suite d'un vou. Ce pelé, ce galeux : Quand la victime est condamnée c'est à qui versera sur elle le plus d'imprécations; elle devient le Bouc émissaire chargé des iniquités de tout un peuple. Au défaut de reproches vrais, on se jette sur les injures les plus dégoûtantes comme les plus vides de sens : et c'est-là, c'est dans les plus frivoles prétextes qu'on voit la source de tous les maux dont on est accablé.

Sa peccadille fut jugée un cas pendable.

Verres cassés sont cas pendables, a dit de même Bosquillon, en parlant d'un esclave condamné à mort sur ce léger prétexte (Conte de l'Adroit Esclave, dans un Recueil de pièces anciennes et modernes, T. I. pag. 113).

Manger l'herbe d'autrui! quel crime abominable!

Rien que la mort n'étoit capable

D'expier son forfait: on le lui fit bien voir.

Ces vers forment l'analyse de la fable, les conclusions du rapporteur, l'acte d'accusation, la sentence de mort, et le refrein de l'assemblée contre l'accusé. Francais Révolutionnaires, comment se fait-il que cette fable soit notre histoire?

FABLE 1 I.

Le mal marié.

(Avant La Fontaine). GRECS. Esope, fab. 74, ed. Rob. Steph. pag. 91. LATINS. Camerar. pag. 124.

Que le bon soit toujours camarade du beau,

Dès demain je chercherai femme (1);

Mais comme le divorce entr'eux n'est pas nouveau, Et que peu de beaux corps, hotes d'une belle ame, Assemblent l'un et l'autre point,

Ne trouvez pas mauvais que je ne cherche point (2).

J'ai vu beaucoup d'hymens, aucuns d'eux ne me tenten
Cependant des humains presque les quatre parts,
S'exposent hardiment au plus grand des hasards;
Les quatre parts aussi des humains se repentent.
J'en vais alléguer un, qui s'étant repenti,
Ne put trouver d'autre parti,

Que de renvoyer son épouse
Querelleuse, avare et jalouse.

:

Rien ne la contentoit (3), rien n'étoit comme il faut,
On se levoit trop tard, on se couchoit trop tôt (4):
Puis du blanc, puis du noir, puis encore autre chose.
Les valets enrageoient, l'époux étoit à bout ;
Monsieur ne songe à rien, monsieur dépense tout,
Monsieur court, monsieur se repose (5).

Elle en dit tant, que monsieur à la fin,
Lassé d'entendre un tel lutin (6) >
Vous la renvoie à la campagne

Chez ses parents. La voilà donc compagne
De certaines Philis qui gardent les Dindons (7);
Avec les gardeurs de Cochons.

Au bout de quelque temps qu'on la crut adoucie,
Le mari la reprend. Eh bien! qu'avez-vous fait?
Comment passiez-vous votre vie?
L'innocence des champs est-elle votre fait ?
Assez, dit-elle; mais ma peine

Etoit de voir les gens plus paresseux qu'ici.

Ils n'ont des troupeaux nul souci.

Je leur savois bien dire (8); et m'attirois la haine

De tous ces gens si peu soigneux.

Eh! madame, reprit son époux tout-à-l'heure (9); ·

Si

Si votre esprit est si hargneux

Que le monde qui ne demeure

Qu'un moment avec vous,

et ne revient qu'au soir,

Est déjà lassé de vous voir,

Que feront des valets qui, toute la journée,
Vous verront contre eux déchaînée (10)?

Et

que pourra faire un époux

Que vous voulez qui soit jour et nuit avec vous ?
Retournez au village: adieu. Si de ma vie

Je vous rappelle, et qu'il m'en prenne envie,
Puisse-je chez les morts avoir, pour mes péchés,
Deux femmes comme vous sans cesse à mes côtés!

OBSERVATIONS DIVERSES.

(1) Dès demain je chercherai femme. Il fut pourtant marié ce bon La Fontaine. Raison de plus, me dira-t-on, pour médire des femmes. Quoi qu'il en soit de cette opinion, l'on conviendra que si elle n'est pas sans reponse du côté de la vérité, elle ne laisse aucune objection à faire sous le rapport du style et de la narration. Quand on a lu les charmans détails qui composent ce joli conte, il faut se taire et admirer.

Et que peu de beaux corps, hôtes d'une belle ame. Notre poète, plein de la lecture des anciens philosophes, avoit lu sans doute dans Xenophon : « Comme le mot beau se joint toujours au mot bon; quand je voyois quelqu'un d'une belle figure, j'allois le trouver et je tâchois de découvrir si le beau et le bon se trouvoient réunis l'un à l'autre ; mais qu'il s'en falloit que cela fût ainsi! Je crus appercevoir que quelques-unes de ces belles figures recéloient des ames corrompues » ( Econom. trad. de Gail, ch. VI, pag. 55). (2) Ne trouvez pas mauvais que je ne cherche point. Cette idée rappelle l'épigramme naïve et plaisante de Montcrif sur la méme matière:

Amis, je vois beaucoup de bien
Dans le parti qu'on me propose;
Tome II.

B

Mais toutefois ne pressons rien.
Prendre femme est étrange chose :
Il faut y penser mûrement;
Gens sages en qui je me fie,

M'ont dit que c'est fait prudemment

Que d'y songer toute la vie.

(3) Rien ne la contentoit, etc. On reconnoît les mêmes traits, les mêmes tournures, de semblables expressions dans le portrait que Boileau a fait de

Sa revêche bizarre

Qui sans cesse d'un ton par la colère aigri,
Gronde, choque, dément, contredit un mari.
Il n'est point de repos ni de paix avec elle;
Son mariage n'est qu'une longue querelle :
Laisse-t-elle un moment respirer son époux;

Ses valets sont d'abord l'objet de son courroux. . . .
(Sat. X. v. 350.)

16 ans

L'ouvrage où se trouvent ces vers est de 1694, c'est-à-dire, après la publication de cette seconde partie des Fables, en 1678. Si donc l'un des deux poètes a imité l'autre, ce ne peut être La Fontaine. Les vers de Boileau sont beaux sans doute; peut-être le paroîtroient-ils moins à côté de ceux de notre fabuliste.

(4) On se levoit trop tard, on se couchoit trop tôt. La généralité de l'inculpation la rend plus imposante: ce n'est pas d'un seul individu qu'elle se plaint, c'est de tout le monde. Boileau a dit de même :

De ces coquins déjà l'on se trouvoit lassé... :
Alors on ne mit plus de borne à la lésine,

On condamna la cave, on ferma la cuisine.

(Ibid. v. 301.)

(5) Monsieur ne songe à rien; Monsieur dépense tout; Monsieur court, etc. Ces répétitions sont bien le langage de l'humeur. La société en offre des témoignages journaliers: c'est là le livre qui a fourni toutes ces heureuses imitations dont nos auteurs comiques sont pleins. Mais combien l'art des gradations donne de vie et d'ordre à ce tableau, par-là sur-tout bien supérieur à celui du célèbre satyrique! L'esprit de contradiction empoisonne

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