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LE COCUAGE.

Que le Cocuage n'est pas un mal, mais un bien.

P Auvres gens, dites-moi, qu'est ce que cocuage!

Quel tort vous fait-il? quel dommage? Qu'est-ce enfin que ce mal, dont tant de gens de bien Se moquent avec jufte cause?

Quand on l'ignore, ce n'eft rien,

Quand on le fait, c'eft peu de chose.
Vous croïez cependant que c'eft un fort grand cas
Tâchez-donc d'en douter, & ne reffemblez pas
A celui-là qui bût dans la coupe enchantée.
Profitez du malheur d'autrui.

Si cette hiftoire peut foûlager vôtre ennui,
Je vous l'aurai bien tôt contée.

Mais je vous veux premierement

Prouver par bon raifonnement,

Que ce mal dont la peur vous mine & vous confume
N'eft mal qu'en vôtre idée, & non point dans l'effet.
En mettez-vous vôtre bonnet

Moins aifément que de coûtume?
Cela s'en va-t'il pas tout net?

Voiez-vous qu'il en refte une feule apparence?
Une tache qui nuife à vos plaisirs fecrets?
Ne retrouvez-vous pas toujours les mêmes traits?
Vous appercevez-vous d'aucune difference?
Je tire donc ma confequence,
H

LA FONTAINE,

Et

Et dis, malgré le peuple ignorant & brutal,
Cocuage n'eft point un mal.

Oui, mais l'honneur eft un étrange affaire.
Qui vous foûtient que non? Ai-je dit le contraire ?
Et bien l'honneur, l'honneur; je n'entens que ce mot.
Apprenez qu'à Paris ce n'eft pas comme à Rome;
Le cocu qui s'afflige y paffe pour un fot,

Et le cocu qui rit, pour un fort honête homme:
Quand on prend comme il faut cet accident fatal,
Coçuage n'eft point un mal.

Prouvons que c'eft un bien: la chofe eft fort facile. Tout vous rit; vôtre femme eft fouple comme un gan; Et vous pourriez avoir vint Mignonnes en ville, Qu'on n'en fonneroit pas deux mots en tout un an. Quand vous parlez, c'eft dit notable:

t

On vous met le premier à table:

C'eft pour vous la place d'honneur,
Pour vous le morceau du Seigneur;

Heureux qui vous le fert! La blondine Chiorme
Afin de vous gagner n'épargne aucun moïen :
Vous étes le Patron; donc je conclus en forme,
Cocuage eft un bien.

Quand vous perdez au jeu, l'on vous donne revanche,
Même vôtre homme écarte & fes As & fes Rois.
Avez vous fur les bras quelque Monfieur Dimanche,
Mille bourfes vous font ouvertes à la fois.

Ajoûtez que l'on tient vôtre femme en haleine,
Elle n'en vaut que mieux, n'en a que plus d'appas:
Menelas rencontra des charmes dans Helene,
Qu'avant qu'être à Pâris la Belle n'avoit pas.
Ainfi de votre époufe: on veut qu'elle vous plaife:
Qui dit prude au contraire, il dit laide ou mauvaise,
Incapable en Amour d'apprendre jamais rien.
Pour toutes ces raifons je perfifte en ma these,
Cocuage eft un bien.

Avis aux cocus fur la maniere de recevoir cet accident

fatal

* C'est un étrange fait, qu'avec tant de lumieres,
Vous vous effarouchiez toûjours fur ces matieres,
Qu'en cela vous mettiez le fouverain bonheur,
Et ne conceviez point au monde d'autre honneur.
Etre avare,
brutal, fourbe, méchant & lâche,
N'eft rien, à vôtre avis, auprès de cette tache ?
Et de quelque façon qu'on puiffe avoir vêcu,
On eft homme d'honneur, quand on n'eft point cocu
A le bien prendre au fond, pourquoi voulez-vous

J

croire

Que de ce cas fortuit dépende vôtre gloire?
Et qu'une ame bien née ait à fe reprocher
L'in uftice d'un mal qu'on ne peut empêcher?
Pourquoi voulez-vous, dis-je, en prenant une femme,
Qu'on foit digne à fon choix de loüange ou de blâme,
Et qu'on s'aille former un monftre plein d'effroi
De l'affront que nous fait fon manquement de foi?
Mettez-vous dans l'efprit qu'on peut du cocuage.
Se faire en galant homme une plus douce image,
Que des coups du hazard aucun n'étant garent,
Cet accident de foi doit être indifferent,

Et qu'enfin tout le mal, quoi que le monde glofe,
N'eit que dans la façon de recevoir la chofe;
Et pour fe bien conduire en ces difficultez,
Il y faut, comme en tout, fuir les extrémitez;
N'imiter pas ces gens un peu trop débonnaires,

Qui tirent vanité de ces fortes d'affaires,

De leurs femmes toujours vont citant les galans,
En font par tout l'éloge, & prônent leurs talens.
Témoignent avec eux d'étroites fimpathies,
Sont de tous leurs cadeaux, de toutes leurs parties,
Et font qu'avec raifon les gens font étonnez,
De voir leur hardieffe à montrer là leur nez.

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* MOLIERE.

Ce procedé fans doute eft tout-à-fait blâmable:
Mais l'autre extrémité n'eft pas moins condamnable.
Si je n'approuve pas ces amis, des galans,

Je ne fuis
pas auffi pour ces gens
turbulens,
Dont l'imprudent chagrin qui tempête & qui gronde,
Attire au bruit qu'il fait les yeux de tout le monde ;
Et qui par cet éclat femblent ne pas vouloir,
Qu'aucun puiffe ignorer ce qu'ils peuvent avoir.
Entre ces deux partis il en eft un honête,
Où dans l'occafion l'homme prudent s'arrête,
Et quand on le fait prendre on n'a point à rougir
Du pis dont une femme avec nous puiffe agir.
Quoi qu'on en puiffe dire, enfin le cocuage
Sous des traits moins affreux aifément s'envisage,
Et comme je vous dis, toute l'habileté

Ne va qu'à le favoir tourner du bon côté.

Ceux qui fe moquent des cocus deviennent fort fouvent le
Jujet de la rifée publique.

Lors que je crains pour vous, c'est cette raillerie
Dont ces pauvres maris ont fouffert la furie :
Car enfin vous favez qu'il n'eft grands ni petits,
Que de vôtre critique on ait vûs garentis;
Et vos plus grands plaifirs font par tout où vous étes
De faire cent éclats des intrigues fecretes.
Vous devez donc fonger que qui fe rit d'autrui
Doit craindre qu'en revanche on rie auffi de lui.
J'entens parler le monde, & les gens fe délaffent
A venir débiter les chofes qui fe paffent:

Mais quoi que l'on divulgue aux endroits où je fuis,
Jamais on ne m'a vû triompher de ces bruits;
J'y fuis affez modeste; & bien qu'aux occurences
Je puiffe condamner certaines tolerances;
Que mon deffein ne foit de fouffrir nullement
Ce que quelques maris fouffrent paisiblement,
Pourtant je n'ai jamais affecté de le dire;
Car enfin il faut craindre un revers de fatire

Et

Et l'on ne doit jamais jurer fur de tels cas,
De ce qu'on pourra faire, ou bien ne faire pas.
Ainfi quand à mon front, par un fort qui tout mene,
Il feroit arrivé quelque difgrace humaine,
Après mon procedé, je fuis prefque certain,
Qu'on fe contentera de s'en rire fous main,
Et peut-être qu'encor j'aurai cet avantage,
Que quelques bonnes gens diront que c'est dommage,
Mais de vous cher compere, il en eft autrement,
Je vous le dis encor, vous rifquez diablement.
Comme fur les maris accufez de fouffrance,
De tour tems vôtre langue a daubé d'importance,
Qu'on vous a vu contre eux un Diable déchaîné,
Vous devez marcher droit pour n'être point berné,
Et s'il faut que fur vous on ait la moindre prise,
Gare qu'aux carrefours on ne vous tympanise.

On devroit fe moquer des femmes & non des maris lors qu'ils font cócus.

Quant à moi je fuis für, aïant tout compaffé,
Qu'il vaut mieux être encor cocú que trépaflè.
Quel mal cela fait-il? La jambe en devient-elle
Plus tortue après tout, & la taille moins belle?
Pefte foit qui premier trouva l'invention
De s'affliger l'efprit de cette vifion,

Et d'attacher l'honneur de l'homme le plus fage
Aux chofes que peut faire une femme volage.
Puis qu'on tient à bon droit tout crime perfonnel,
Que fait là nôtre honneur pour être criminel?
Des actions d'autrui l'on nous donne le blâme;
Si nos femmes fans nous ont un commerce infame,
Il faut que tout le mal tombe fur nôtre dos,
Elles font la fottife, & nous fommes les fots.
C'est un vilain abus, & les gens de police
Nous devroient bien regler une telle injustice.
N'avons nous pas affez de fâcheux accidens
Qui nous viennent happer en dépit de nos dents?

Les

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