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peuplé. C'est là que le dîner nous attendait; et la simplicité, la cordialité régnèrent autour de la table non moins qu'autour du chaudron. Personne ne quítta les habits qu'il portait depuis le matin ; chacun dîna comme il avait chassé, sans faire autre toilette que de laver ses mains noircies de poudre. C'était vraiment un singulier contraste : d'un côté, salle de palais, brillant éclairage, riche service, vaisselle d'argent, mets fins, vins délicats, valets en somptueuse livrée; de l'autre, une bande de chasseurs dans leur simple appareil, commençant par la casquette et finissant par les grosses bottes. Un spectateur de cette scène étrange eût pu se croire aux saturnales des vieux Romains, à ce jour de l'année où les maîtres servaient à table leurs esclaves.

Après quoi, la chasse fut close, et bonsoir la compagnie.

EN ANGLETERRE.

(1848)

Kepler demandait à Dieu « un lecteur dans cent ans. » A Kepler cette modeste ambition était bien permise. Je ne l'ai pas si haute, et pour de bonnes raisons. Mais aujourd'hui je demande à Dieu qu'un de mes lecteurs ait conservé quelque mémoire du second chapitre de ce petit livre : Une chasse en Angleterre. Il se rappellerait avec quels regrets amers je dus quitter le royaume soi-disant uni, après une maigre promenade dans quelques enclos du comté d'Hereford, et sans avoir pu mettre à profit l'invitation que j'avais reçue pour cette terre du comté de Norfolk, vraie terre promise, si célèbre par ses navets et ses perdreaux. Il y a sept anşil y a sept siècles que cette déconvenue m'est arrivée. Mais comme tout vient à point à qui sait attendre, l'occasion manquée alors vient de se retrouver aujourd'hui, avant que l'impitoyable

vieillesse m'ait ôté l'œil et le jarret, ces choses indispensables, qui ne s'achètent point, hélas! comme la poudre et le plomb, et qu'on ne renouvelle pas chaque année avec le permis de chasse.

Retardée par les pluies d'août, l'ouverture se faisait un peu tard dans nos plaines de la Brie, et je goûtais à peine les délices permises par l'arrêté de M. le préfet de Seine-et-Marne, qu'il fallut brușquement repasser la Manche. C'était un autre festival, celui de Norwich, qui me rappelait pour la seconde fois en Angleterre au commencement de l'automne, alors que la saison est close, et que toute la fashion quitte Londres avec autant de hâte et d'unanimité que si la peste s'était déclarée dans le West-End. La leçon de l'autre fois m'avait profité, et mon nouveau voyage ne ressembla plus à celui de la fiancée du roi de Garbe. Résultat singulier et presque miraculeux des inventions que ce siècle a vu faire! Le vendredi matin, je chassais encore à quelques lieues de Paris pour emporter au delà du détroit une bourriche de cailles, fort rares chez nos voisins, partant fort recherchées, et le samedi soir, grâce au chemin de fer du Nord, au paquebot-poste, aux South-Eastern et Eastern-Counties-railways, je couchais dans le comté de Norfolk, à cent vingt milles au delà de Londres.

J'avais bien compté, dans mes calculs et mes

préparatifs, continuer dès le lendemain la chasse un moment interrompue par ce rapide trajet, et reprendre, à un jour d'intervalle pour cent cinquante lieues de distance, mon fusil pour ainsi dire encore chaud. Ce projet me souriait; c'était curieux et attrayant. Mais j'avais encore compté sans mon hôte, et littéralement, puisque je logeais sur le sol britannique. Le lendemain de samedi, c'est dimanche.... Eh bien, raison de plus pour prendre un innocent plaisir. Le dimanche est le jour du repos et celui des fêtes. Oui, sur tout le

continent, j'en conviens, de Cadix à Archangel; mais, en Angleterre, le dimanche est le jour du néant. Il est rayé du calendrier, il est rayé de la vie. Le dimanche on n'existe pas. Voulez-vous diner comme d'habitude? bien vous prendra d'avoir fait vos provisions la veille, car il ne se vend rien au marché. Voulez-vous visiter des amis? les maisons sont closes; il n'y a d'ouverts que les temples, aux heures du prêche. Voulez-vous écrire ou recevoir des lettres? la poste ne fait aucun service; elle vous retient jusqu'au lendemain les nouvelles de votre pays, vos communications les plus chères ou les plus pressées. O sottise humaine! ô bizarre contradiction! L'on n'a point assez de railleries en Angleterre contre les papistes qui font maigre le vendredi, qui mangent, ce jour-là, des grenouilles au lieu de roast-beef, et l'on y pousse à ce point le fé

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