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petits que les grands rois. Mais non, toutes les cours se ressemblent, à cette différence près que les affaires qui agitent celles des potentats de troisième classe sont de la grandeur de leurs États sur la carte du monde, imperceptibles : c'est proprement la tempête dans un verre d'eau. Lorsque le vent de la disgrâce souffla sur ma tête, j'en ressentis, je l'avoue, plus de dépit que de chagrin, et je crois bien que le rouge me monta jusqu'audessus des yeux. Je ris ensuite, et de l'injure et de ma colère, et si j'en garde encore quelque rancune, en vérité, c'est moins pour moi que pour toi, lecteur ami; car enfin, si j'avais fait alors une belle chasse, tu lirais à présent une belle histoire. Nous perdons autant l'un que l'autre, n'est-il pas vrai? Partant quittes; et que Dieu te console comme il m'a consolė.

A DRESDE, HAMBOURG ET BERLIN.

(1848)

(Le récit suivant fut écrit à Berlin dans la seconde quinzaine de février 1848, entre la clôture de la chasse en Prusse et la nouvelle des événements de Paris. Un seul jour, le 24 février, un seul mot, la république, ont suffi pour le remplir des plus étranges anachronismes. Cependant je n'y veux rien changer; car ces anachronismes sont curieux, et, par cela du moins, j'ai quelque chance d'intéresser les lecteurs que n'ont point encore fatigués les chapitres précédents.)

« La curiosité n'est que vanité, dit Pascal. L plus souvent on ne veut savoir une chose que pour en parler. On ne voyagerait pas sur mer pour ne jamais en rien dire, et pour le seul plaisir de voir, sans espérance de s'en entretenir jamais avec personne. » Pascal a peut-être raison,

et peut-être plus qu'il ne croit; car, ce qu'il dit des voyages sur mer, est-ce qu'il n'aurait pu le dire aussi des parties de la chasse? qu'en pensez-vous, mes confrères? Eh bien, acceptons galamment la sentence du grand moraliste; répétons même, après lui, qu'on ne chasserait pas pour ne jamais en rien dire, et pour le seul plaisir de chasser, sans espérance de s'en entretenir jamais avec personne. Chassons donc, car il faut bien commencer par là; et puis causons, contons, bavardons, écrivons; mais sans mentir.... si c'est possible.

Après avoir traversé Dresde plusieurs fois, mais toujours en été, j'étais ravi d'y revenir au mois de novembre, justement à l'époque où commencent les chasses d'hiver. Je verrai de plus près, me disais-je, le pays intéressant à plus d'un titre dont cette ville est la capitale. Centre du vaste corps germanique, la Saxe réunit à des mœurs simples, hospitalières, antiques, une science fort avancée dans l'agriculture et l'industrie. Elle réalise le problème difficile, cherché partout et rarement résolu, de la vie à bon marché. Si, des pays de l'Europe que j'ai parcourus, l'on me demandait : Quel est le plus misérable? je répondrais (n'ayant pas vu l'Irlande) la Pologne. Et le plus heureux? la Saxe. Pourtant ces deux pays, si voisins, furent naguère et longtemps réunis sous le même sceptre. C'est pour être rois de Pologne que les électeurs

de Saxe, les successeurs des plus ardents protecteurs de Luther, s'étaient faits catholiques, seuls du peuple saxon. Frappant exemple de l'influence des situations politiques! La Pologne n'est plus une nation que dans le cœur de ses enfants; divisée, morcelée, elle appartient à des maîtres étrangers qui l'oppriment et la dépouillent, tandis que la Saxe, bien qu'affaiblie et diminuée par la guerre, par l'avidité de ses puissants voisins, a gardé du moins la possession d'elle-même, vivant en paix sous des lois douces et une administration qui n'est pas oppressive. Ainsi s'expliquent, entre ces deux nations, la misère de l'une, qui serre le cœur; le bien-être de l'autre, qui le réjouit.

J'étais sûr de ne pas m'exposer, cette fois, à la réponse que m'avait attirée, l'an dernier, la totale absence de sang noble dans mes veines. Je pouvais prétendre, la chasse ouverte, à faire comme tout le monde. J'adressai donc, avec pleine confiance, la même question au même notable de Dresde; et le lendemain, sans plus tarder, avec un air de triomphe et la joie d'un service pleinement rendu, il me remit un petit papier dûment signé et scellé, qui contenait cinq permissions dans cinq chasses royales. Je fus ébloui. Je me voyais déjà, pour la première fois de ma vie, en face des hardes de cerfs et des troupeaux de sangliers que renferment tous les parcs royaux de l'Allemagne. Mais, hélas !

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