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nos trois dépouilles opimes, nous franchîmes la barrière de Berlin, sans risquer d'être pris pour des braconniers fraudeurs, et nous allâmes de ce pas offrir au comte de R..., comme jadis Méléagre à la belliqueuse Atalante, la hure du sanglier de Calydon.

EN PRUSSE.

(1847)

C'est assurément un grand plaisir que celui de voir des pays nouveaux; mais je sais un plaisir plus grand, celui de revoir un pays connu. Les voyages, comme toutes choses en ce monde sublunaire, ont une bonne et une mauvaise face. Si l'on me demandait ce qu'ils offrent de plus pénible en leurs diverses péripéties, je dirais que c'est justement ce qu'ils ont de plus commun, de plus inévitable, le départ; que c'est le moment de quitter, souvent sans espoir de retour, un pays où l'on s'habituait à vivre, des personnes que l'on s'habituait à aimer, et qui doivent projeter sur le reste de la vie un souvenir amer et doux. A quelque lieu qu'on aille en les quittant, fût-ce dans un pays plus aimé, fûtce dans la patrie, l'heure de partir est toujours pleine de regrets et de tristesse. Mais aux chagrins du départ quelle charmante compensation présen

tent les joies du retour! quel plaisir, après une absence qui pouvait être éternelle, de retrouver les mêmes lieux, les mêmes personnes, le même accueil, les mêmes sensations, et de rattacher en tous points deux époques de la vie, comme si elles étaient sans intermédiaire et sans intervalle, comme si la seconde n'avait d'autre passé que la première!

Ce plaisir m'attendait à Berlin. Dès que j'eus revu cette cité toute neuve, qui, petit hameau sous le margrave Albert de Brandebourg, en 1220; simple bourgade, il y a deux siècles, sous Frédéric-Guillaume le grand électeur; enfin, sous le gros Guillaume, capitale de la monarchie nouvellement érigée par l'empereur Léopold, en 1701; grandissant, comme l'État, pendant les cinquante années du règne glorieux de Frédéric le Grand; atteignant cent mille âmes de population au commencement de ce siècle, et quatre cent mille aujourd'hui, sera bientôt la première ville d'Allemagne par le nombre de ses habitants; comme par l'activité, les lumières et la civilisation; dès que j'eus revu cette capitale moderne du plus moderne des grands États européens, j'embauchai un ami, un Russe, qui, parti de Saint-Pétersbourg, traversait la Prusse pour aller passer l'hiver à Paris, et l'emmenai faire un pèlerinage armé,

Je revis avec lui d'abord la petite ville de Bernau, sœur très-aînée de Berlin, comme le prouvent

assez ses vieilles tours de brique rouge sur chacune desquelles perche un nid de cigognes. Elle garde l'honneur historique d'avoir été saccagée par Jean Zyska du Calice; mais, depuis les Hussites, elle est descendue au rang de ces tristes et mornes bicoques si communes en Allemagne, dont Mme de Staël disait que le temps y tombe goutte à goutte. Je revis ensuite le village de Lanke, avec son grand château vide, où l'on pourrait caserner un régiment; son parc immense, où manœuvrerait une armée, et même une flotte, tant le lac qu'il renferme est vaste et profond; ses belles forêts de pins et de hêtres, assises sur des collines et coupées par une série d'autres petits lacs qui se versent les uns dans les autres, et dont bientôt peut-être un grand aqueduc mènera jusqu'à Berlin les eaux limpides et salubres. Je retrouvai à leur poste les trois gardes-chasse, dont les figures honnêtes et bonasses sont plus faciles à retenir que les noms tudesques, et avec eux le petit Bellement, mon héros de l'autre campagne, cachant toujours un cœur de lion sous sa chétive enveloppe de roquet. Nous fùmes cordialement reçus par leur chef, l'OberFörster, vieux militaire à cheveux blancs et à moustaches noires, vrai grognard prussien, grave, silencieux, n'ouvrant guère la bouche que pour mordre de côté le bec de sa pipe, aimant d'ailleurs à se rappeler et à rappeler aux autres qu'il fit, en

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