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Ils font des vœux pour nous qui les perfécutons,
Et depuis tant de temps que nous les tourmentons,
Les a-t'on veus mutins? les a-t'on veus rebelles?
Nos Princes ont-ils eu des foldats plus fidelles?
Furieux dans la guerre, ils fouffrent nos bourreaux,
Et lyons au combat, ils meurent en agneaux.
J'ay trop de pitié d'eux pour ne les pas défendre.
Allons trouver Félix, commençons par fon gendre,
Et contentons ainfi d'une feule action,

Et Pauline, & ma gloire, & ma compaffion.

Fin du quatrième Ade.

ACTE V.

SCENE PREMIERE.

FELIX, ALBIN, CLEON.

FELIX.

Albin, as-tu bien veu la fourbe de Sévére?
As-tu bien veu fa haine, & vois-tu ma misére?

ALBIN.

Je n'ay veu rien en luy qu'un rival généreux,
Et ne voy rien en vous qu'un pére rigoureux.

FELIX.

Que tu discernes mal le cœur d'avec la mine!
Dans l'ame il hait Félix, & dédaigne Pauline,
Et s'il l'aima jadis, il estime aujourd'huy
Les restes d'un rival trop indignes de luy.
Il parle en fa faveur, il me prie, il menace,
Et me perdra, dit-il, fi je ne luy fais grace,
Tranchant du généreux il croit m'épouvanter;
L'artifice eft trop lourd pour ne pas l'éventer.
Je fçay des gens de Cour quelle eft la Politique,
J'en connoy mieux que luy la plus fine pratique :

C'eft en vain qu'il tempefte, & feint d'eftre en fureur,
Je voy ce qu'il prétend auprès de l'Empereur,
De ce qu'il me demande il m'y feroit un crime,
Epargnant fon rival je ferois sa victime,

Et s'il avoit affaire à quelque mal-adroit,

Le piége eft bien tendu, fans doute il le perdroit:
Mais un vieux Courtifan eft un peu moins crédule,
Il voit quand on le jouë, & quand on diffimule,
Et moy, j'en ay tant veu de toutes les façons,
Qu'à luy-mefme au befoin j'en ferois des leçons.

ALBIN.

Dieux ! que vous vous gefnez par cette défiance!

FELIX.

Pour fubfister en Cour c'eft la haute science. Quand un homme une fois a droit de nous haïr, Nous devons prefumer qu'il cherche à nous trahir, Toute fon amitié nous doit eftre fuspecte:

Si Polyeucte enfin n'abandonne fa fecte,

Quoy que fon protecteur ait pour luy dans l'esprit, Je suivray hautement l'ordre qui m'eft préscrit.

ALBIN.

Grace, grace, Seigneur, que Pauline l'obtienne.

FELIX.

Celle de l'Empereur ne fuivroit pas la mienne, Et loin de le tirer de ce pas dangereux

Ma bonté ne feroit que nous perdre tous deux.

Mais Sévére promet...

ALBIN.

FELIX.

Albin, je m'en défie,

Et connoy mieux que luy la haine de Décie,
En faveur des Chrétiens s'il choquoit fon couroux,
Luy-mefme affeurément se perdroit avec nous.

Je veux tenter pourtant encor une autre voye, Amenez Polyeucte, & si je le renvoye,

S'il demeure infenfible à ce dernier effort,
Au fortir de ce lieu qu'on luy donne la mort.

ALBIN.

Voftre ordre eft rigoureux.

FELIX.

Il faut que je le fuive Si je veux empefcher qu'un defordre n'arrive. Je voy le Peuple émeu pour prendre fon party, Et toy-mefme tantoft tu m'en as adverty. Dans ce zéle pour luy qu'il fait déja paroistre, Je ne fçay fi long-temps j'en pourrois eftre maistre: Peut-eftre dès demain, dès la nuit, dès ce soir, J'en verrois des effets que je ne veux pas voir, Et Sévère auffi-toft courant à sa vengeance M'iroit calomnier de quelque intelligence. Il faut rompre ce coup qui me feroit fatal.

ALBIN.

Que tant de prévoyance est un étrange mal!

Tout vous nuit, tout vous perd, tout vous fait de l'ombrage;
Mais voyez que fa mort mettra ce Peuple en rage,
Que c'eft mal le guérir que le defespérer.

FELIX.

En vain après fa mort il voudra murmurer,
Et s'il ofe venir à quelque violence,

C'est à faire à céder deux jours à l'infolence :
J'auray fait mon devoir, quoy qu'il puisse arriver.
Mais Polyeucte vient, taschons à le fauver.
Soldats, retirez-vous & gardez bien la porte.

SCENE II.

FELIX, POLYEUCTE, ALBIN.

FELIX.

As-tu donc pour la vie une haine fi forte,
Malheureux Polyeucte, & la loy des Chrétiens
T'ordonne-t'elle ainfi d'abandonner les tiens?

POLYEUCTE.

Je ne hay point la vie, & j'en aime l'usage,
Mais fans attachement qui fente l'esclavage,
Toûjours preft à la rendre au Dieu dont je la tiens;
La raifon me l'ordonne, & la loy des Chrétiens,
Et je vous montre à tous par là comme il faut vivre,
Si vous avez le cœur affez bon pour me fuivre.

III.

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