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POLYEUCTE

MARTYR,

TRAGEDIE CHRESTIENNE.

ACTEURS.

FELIX, Sénateur Romain, Gouverneur d'Arménie. POLYEUCTE, Seigneur Arménien, gendre de Félix. SEVERE, Chevalier Romain, Favory de l'Empereur Décie.

NEARQUE, Seigneur Arménien, amy de Polyeuce. PAULINE, Fille de Félix, & Femme de Polyeuce. STRATONICE, Confidente de Pauline.

ALBIN, Confident de Félix.

FABIAN, Domestique de Sévére.

CLEON, Domestique de Félix.

TROIS GARDES.

La Scène eft à Méliténe capitale d'Arménie,
dans le Palais de Félix.

POLYEUCTE

MARTYR,

TRAGEDIE CHRÉTIENNE.

ACTE I.

SCENE PREMIERE.

POLYEUCTE, NEARQUE.

NEARQUE.

Quoy? vous vous arrétez aux fonges d'une femme! De fi foibles fujets troublent cette grande ame! Et ce cœur tant de fois dans la guerre éprouvé S'alarme d'un péril qu'une femme a resvé!

POLYEUCTE.

Je fçay ce qu'eft un fonge, & le peu de croyance
Qu'un homme doit donner à son extravagance,
Qui d'un amas confus des vapeurs de la nuit
Forme de vains objets que le réveil détruit.
Mais vous ne fçavez pas ce que c'eft qu'une femme,
Vous ignorez quels droits elle a fur toute l'ame,
Quand après un long temps qu'elle a fçeu nous charmer
Les flambeaux de l'Hymen viennent de s'allumer.
Pauline fans raifon dans la douleur plongée
Craint, & croit déja voir ma mort qu'elle a fongée,
Elle oppofe fes pleurs au deffein que je fais,
Et tasche à m'empescher de fortir du Palais;
Je méprise fa crainte, & je cède à ses larmes,
Elle me fait pitié fans me donner d'alarmes,
Et mon cœur attendry, fans eftre intimidė,
N'ofe déplaire aux yeux dont il eft poffédé.
L'occafion, Néarque, eft-elle fi pressante,
Qu'il faille eftre infenfible aux foufpirs d'une Amante?
Par un peu de remise épargnons fon ennuy,
Pour faire en plein repos ce qu'il trouble aujourd'huy.

NEARQUE.

Avez-vous cependant une pleine affeurance
D'avoir affez de vie, ou de perfévérance?

Et Dieu qui tient vostre ame & vos jours dans fa main,
Promet-il à vos vœux de le pouvoir demain?

Il est toûjours tout juste, & tout bon, mais fa Grace
Ne descend pas toûjours avec mefme efficace.
Après certains momens que perdent nos longueurs

Elle quitte ces traits qui pénétrent les cœurs,
Le noftre s'endurcit, la repouffe, l'égare,
Le bras qui la versoit en devient plus avare,
Et cette fainte ardeur qui doit porter au bien
Tombe plus rarement, ou n'opére plus rien.
Celle qui vous preffoit de courir au Baptefme,
Languiffante dėja, ceffe d'eftre la mesme,
Et pour quelques foufpirs qu'on vous a fait oüir,
Sa flame fe diffipe, & va s'évanoüir.

POLYEUCTE.

Vous me connoiffez mal, la mefme ardeur me brusle,
Et le defir s'accroift quand l'effet se recule.

Ces pleurs que je regarde avec un œil d'époux
Me laiffent dans le cœur auffi Chrétien que vous;
Mais pour en recevoir le facré caractére

Qui lave nos forfaits dans une eau falutaire,
Et qui purgeant noftre ame, & deffillant nos yeux
Nous rend le prémier droit que nous avions aux Cieux,
Bien que je le préfére aux grandeurs d'un Empire,
Comme le bien fupréme, & le feul où j'aspire,
Je croy, pour fatisfaire un juste & faint amour,
Pouvoir un peu remettre, & différer d'un jour.

NEARQUE.

Ainfi du Genre humain l'ennemy vous abuse,
Ce qu'il ne peut de force, il l'entreprend de rufe.
Jaloux des bons deffeins qu'il tasche d'ébranler,
Quand il ne les peut rompre, il pouffe à reculer:
D'obstacle fur obstacle il va troubler le vostre,

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