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III.

CINNA,

TRAGEDIE.

36

ACTEURS.

OCTAVE CESAR AUGUSTE, Empereur de Rome.

LIVIE, Impératrice.

CINNA, fils d'une fille de Pompée, Chef de la conjuration contre Auguste.

MAXIME, autre Chef de la conjuration.

ÆMILIE, fille de C. Toranius tuteur d'Auguste, & proscrit par luy durant le Trium-virat.

FULVIE, Confidente d'Emilie.

POLYCLETE, Affranchy d'Auguste.

EVANDRE, Affranchy de Cinna.

EUPHORBE, Affranchy de Maxime

La Scéne eft à Rome.

CINNA,

TRAGEDIE.

ACTE I.

SCENE PREMIERE.

EMILIE.

Impatiens defirs d'une illustre vengeance
Dont la mort de mon pére a formé la naissance,
Enfants impétueux de mon ressentiment,
Que ma douleur féduite embraffe aveuglément,
Vous prenez fur mon ame un trop puiffant empire
Durant quelques momens fouffrez que je respire,
Et que je confidére, en l'état où je fuis,
Et ce que je hazarde, & ce que je poursuis.
Quand je regarde Auguste au milieu de fa gloire,
Et que vous reprochez à ma triste mémoire

Que par fa propre main mon pére massacré
Du Trofne où je le voy fait le prémier degré,
Quand vous me prefentez cette fanglante image,
La caufe de ma haine, & l'effet de fa rage,
Je m'abandonne toute à vos ardens transports,
Et croy pour une mort luy devoir mille morts.
Au milieu toutefois d'une fureur fi juste,
J'aime encor plus Cinna, que je ne hais Auguste,
Et je fens refroidir ce bouillant mouvement,
Quand il faut pour le fuivre expofer mon Amant.
Ouy, Cinna, contre moy moy-mesme je m'irrite
Quand je fonge aux dangers où je te précipite.
Quoy que pour me fervir tu n'appréhendes rien,
Te demander du fang, c'eft expofer le tien.
D'une fi haute place on n'abat point de teftes,
Sans attirer fur foy mille & mille tempeftes,
L'iffuë en eft douteufe, & le péril certain :
Un amy déloyal peut trahir ton dessein,
L'ordre mal concerté, l'occafion mal prise,
Peuvent fur fon autheur renverfer l'entreprife,
Tourner fur toy les coups dont tu le veux fraper,
Dans fa rüine mefme il peut t'enveloper,

Et quoy qu'en ma faveur ton amour éxécute,
Il te peut en tombant écrafer fous fa chûte.
Ah! ceffe de courir à ce mortel danger,

Te perdre en me vengeant ce n'est pas me venger.
Un cœur eft trop crüel quand il trouve des charmes
Aux douceurs que corrompt l'amertume des larmes,
Et l'on doit mettre au rang des plus cuifants malheurs
La mort d'un ennemy qui coûte tant de pleurs.

Mais peut-on en verfer alors qu'on venge un pére?

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