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ACTE III.

SCENE PREMIERE.

D. RODRIGUE, ELVIRE.

ELVIRE.

Rodrigue, qu'as-tu fait? où viens-tu, miserable?

D. RODRIGUE.

Suivre le triste cours de mon fort déplorable.

ELVIRE.

Où prens-tu cette audace & ce nouvel orgueil
De paroiftre en des lieux que tu remplis de deuil?
Quoy! viens-tu jusqu'icy braver l'Ombre du Comte?
Ne l'as-tu pas tüé?

D. RODRIGUE.

Sa vie étoit ma honte,

Mon honneur de ma main a voulu cét effort.

ELVIRE.

Mais chercher ton azile en la maifon du mort!

Jamais un meurtrier en fit-il fon refuge?

D. RODRIGUE.

Et je n'y viens auffi que m'offrir à mon Juge.
Ne me regarde plus d'un vifage étonné,

Je cherche le trépas après l'avoir donné.

Mon Juge eft mon amour, mon Juge est ma Chiméne, Je mérite la mort de mériter fa haine,

Et j'en viens recevoir comme un bien fouverain, Et l'Arreft de fa bouche, & le coup de sa main.

ELVIRE.

Fuy plûtoft de ses yeux, fuy de sa violence,
A fes prémiers transports defrobe ta presence;
Va, ne t'expose point aux prémiers mouvemens
Que pouffera l'ardeur de fes reffentimens.

D. RODRIGUE.

Non, non, ce cher objet à qui j'ay pû déplaire,
Ne peut pour mon fupplice avoir trop de colére,
Et j'évite cent morts qui me vont accabler,
Si pour mourir plûtoft je puis la redoubler.

ELVIRE.

Chiméne eft au Palais de pleurs toute baignée,
Et n'en reviendra point que bien accompagnée.
Rodrigue, fuy de grace, ofte-moy de foucy,
Que ne dira-t'on point fi l'on te voit icy?
Veux-tu qu'un médifant pour comble à sa mifére
L'accufe d'y fouffrir l'affaffin de fon père?
Elle va revenir, elle vient, je la voy;

Du moins pour fon honneur, Rodrigue, cache-toy.

SCENE II.

D. SANCHE, CHIMENE, ELVIRE.

D. SANCHE.

Ouy, Madame, il vous faut de fanglantes victimes,
Voftre colére eft juste, & vos pleurs légitimes,
Et je n'entreprens pas à force de parler,
Ny de vous adoucir, ny de vous confoler:
Mais fi de vous fervir je puis eftre capable,
Employez mon épée à punir le coupable,
Employez mon amour à venger cette mort,
Sous vos commandemens mon bras fera trop fort:

CHIMENE.

Malheureufel

D. SANCHE.

De grace acceptez mon fervice.

CHIMENE.

J'offencerois le Roy qui m'a promis justice.

D. SANCHE.

Vous fçavez qu'elle marche avec tant de langueur, Qu'affez fouvent le crime échape à fa longueur; Son cours lent & douteux fait trop perdre de larmes, Souffrez qu'un Cavalier vous venge par les armes, La voye en eft plus feure & plus prompte à punir.

CHIMENE.

C'est le dernier reméde, & s'il y faut venir,
Et que de mes malheurs cette pitié vous dure,
Vous ferez libre alors de venger mon injure.

D. SANCHE.

C'eft l'unique bonheur où mon ame prétend, Et pouvant l'espérer je m'en vay trop content.

SCENE III.

CHIMENE, ELVIRE.

CHIMENE.

Enfin je me voy libre, & je puis fans contrainte
De mes vives douleurs te faire voir l'atteinte,
Je puis donner paffage à mes tristes foufpirs,
Je puis t'ouvrir mon ame & tous mes déplaisirs.
Mon père eft mort, Elvire, & la prémiére épée
Dont s'eft armé Rodrigue a fa trame coupée.
Pleurez, pleurez, mes yeux, & fondez-vous en eau,
La moitié de ma vie a mis l'autre au tombeau,
Et m'oblige à venger, après ce coup funeste
Celle que je n'ay plus fur celle qui me reste.

ELVIRE.

Repofez-vous, Madame.

CHIMENE.

Ah! que mal à propos

Dans un malheur fi grand tu parles de repos!
Par où fera jamais ma douleur apaisée,
Si je ne puis haïr la main qui l'a causée ?
Et que doy-je espérer qu'un tourment éternel,
Si je poursuis un crime aimant le criminel?

ELVIRE.

Il vous prive d'un père, & vous l'aimez encore !

CHIMENE.

C'est peu de dire aimer, Elvire, je l'adore,
Ma paffion s'oppose à mon ressentiment,
Dedans mon ennemy je trouve mon Amant,
Et je fens qu'en dépit de toute ma colére
Rodrigue dans mon cœur combat encor mon pére.
Il l'attaque, il le preffe, il céde, il fe défend,
Tantoft fort, tantoft foible, & tantoft triomphant :
Mais en ce dur combat de colére & de flame
Il déchire mon cœur fans partager mon ame,
Et quoy que mon amour ait fur moy de pouvoir,
Je ne confulte point pour fuivre mon devoir.
Je cours fans balancer où mon honneur m'oblige;
Rodrigue m'eft bien cher, fon intérest m'afflige.
Mon cœur prend fon party, mais malgré fon effort,
Je fçay ce que je fuis, & que mon père eft mort.

ELVIRE.

Penfez-vous le poursuivre ?

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